(RV) Entretien - Mi-février, deux anciens responsables militaires rwandais
ont été acquittés par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Les deux hommes
avait été condamnés en première instance pour leurs implications dans le génocide
de 1994.
Ce sera un des derniers jugements que rendra le TPIR, puisque ce
tribunal a clos l’ensemble des procès de premières instance et doit encore juger une
quinzaine de dossiers en appel avant de fermer théoriquement à la fin de l’année.
Pour
Pierre Hazan, maitre de conférence de l’Université de Genève, cette instance
est née de ce qu’il appelle un « pêché originel » :
Que retiendrez-vous
de ces 20 années d'existence du TPIR ? Le Conseil de Sécurité a laissé faire
le génocide sans intervenir. Il y avait évidemment des raisons politiques à cela.
L’État américain se trouvait après la période de leur débâcle en Somalie et refusait
toute intervention si leurs intérêts nationaux n’étaient pas directement menacés.
Et donc, quelques mois après la fin du génocide, le Conseil de sécurité qui n’avait
pas bougé, décide de créer avec la résolution 955 le TPIR (Tribunal Pénal International
pour le Rwanda). Mais un seul pays s’oppose : le Rwanda, c’est-à-dire le gouvernement
qui a mis fin au génocide car il ne souhaite pas que le mandat du TPIR enquête au-delà
du crime de génocide, enquête sur d’autres crimes tels que le crime de guerre ou le
crime contre l’humanité dont les soldats auraient pu être responsables de ces crimes
de revanche.
Quelles sont les limites de ce tribunal ? Dès le départ,
ce tribunal est né avec un héritage lourd et problématique. Pendant un certain nombre
d’années, il va réussir à démontrer la réalité du génocide, ce qui à l’époque n’allait
pas de soi partout. Donc, en ce sens, c’est un véritable acquis mais uniquement les
crimes de génocide ont été sanctionnés. Au contraire, les crimes de revanche, les
crimes de guerre et les crimes contre l’humanité qui auraient été commis par d’autres
forces que par les génocidaires n’ont jamais fait l’objet de condamnation. Les autorités
rwandaises ont collaboré tant que le tribunal permettait d’établir l’importance et
la véracité du crime de génocide mais ils ont aussi bloqué le tribunal lorsque celui-ci
prenait une direction qui ne leur plaisait pas.
Tout à l’heure, vous parliez
de politique. Kigali dénonce toujours une ingérence politique, notamment de la France.
D’après vous, est-ce une réalité ? La France et le Rwanda sont passés par bien
des stades, souvent de tensions. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on est plutôt dans
une logique de décrispation et j’observe qu’un procès en compétence universelle s’est
ouvert à Paris contre un génocidaire. Donc, je vois quand même le signe d’une évolution
manifeste en France.
Quelle est la particularité de ce tribunal par rapport
aux autres instances judiciaires internationales ? Par exemple, celui pour le Rwanda
doit théoriquement fermer à la fin de l’année ... Ce qui est très frappant
lorsqu’on s’intéresse au mandat du Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie,
c’est qu’on s’aperçoit qu’il n’y a pas de date de fin de travaux. Il continuerait
à enquêter aussi longtemps que des crimes internationaux pourraient se poursuivre
et c’est ainsi que jusqu’en 1999, il a ouvert des enquêtes, notamment sur la guerre
du Kosovo. Alors que le Tribunal pour le Rwanda est limité à enquêter sur les crimes
commis en 1994, durant cette seule année où il y a eu le génocide. Or, dans les années
qui ont suivi, en 1996 et 1997, il y a eu des violences extrêmes notamment au Kivu.
L’armée rwandaise était elle aussi impliquée et jamais le tribunal n’a pu enquêter
sur les crimes qui ont été commis.
Photo : le 18 février, Onesphore R,
un ancien maire rwandais, accusé d'avoir pris part au génocide, attend le verdict
final de son procès, à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne.