Ukraine : «Maïdan a fait plus pour l’Église que vingt ans d’indépendance»
(RV) Témoignage - Certains l'appellent le curé de Maïdan, du nom de la place
de Kiev où se situe l'épicentre de la contestation. Le père Michel, en Ukraine Mychajlo
Dymyd, est prêtre de l’Eglise gréco-catholique ukrainienne et professeur à
l’Université catholique de Lviv, une ville à l’ouest du pays. Il accompagne ses
étudiants sur cette place de la capitale ukrainienne depuis fin novembre 2013. Cet
engagement auprès de ceux qui militent à Maïdan lui a valu plusieurs passages devant
les tribunaux. Une situation qu'il relativise face à la souffrance vécue par les Ukrainiens
et au courage de ceux qui ont perdu la vie pour ce qui est pour lui une « révolution
». Audrey Radondy l'a joint par téléphone vendredi.
Pourquoi est-ce
important pour vous d’accompagner vos étudiants ? C’est un cri du cœur. C’est
un cri qui pousse à aller de l’avant. Quand mes étudiants, tous les étudiants de l’Ukraine
se sont soulevés, je me suis demandé quel était le sens de cette mobilisation. J’ai
compris que c’était un combat pour le respect de la liberté offert à tous dès la naissance
par le Seigneur. Et c’est dans le respect de cette liberté que j’ai demandé à mes
étudiants : « est-ce que je peux venir avec vous comme père spirituel sur le Maïdan
? » Ils ont accepté avec une grande joie. Et depuis ce moment, je passe beaucoup
de temps sur la place et chaque jour j’écris la prédication pour Maïdan, qu’on peut
lire et écouter sur mon Facebook. Je parle aussi avec beaucoup de journalistes pour
qu’ils ressentent un peu l’esprit de Maïdan. Cette place ce n’est pas seulement un
lieu géographique : demain, cette place sera le lieu de la résurrection des cœurs.
L’esprit de Maïdan doit se répandre dans le cœur de tous les Ukrainiens, cet esprit
de dignité, d’amour doit se répandre dans les familles, dans les villages, dans les
associations, dans les églises, partout.
Après des mois de manifestation,
qui est présent sur la place ? Les gens de toute l’Ukraine participent aux
manifestations. Ceux de Kiev sont les plus nombreux et, ce qu’on remarque, c’est
que ceux qui parlent russe sont plus nombreux que ceux qui parlent ukrainien. Ce qui
montre bien que le peuple est vraiment représenté. Il y a toujours aussi les étudiants
qui sont à l’origine de cette révolution, car oui, c’est une révolution ! Il y a eu
jusqu’à un million de personnes sur Maïdan et ça continue jusqu’à aujourd’hui. Car
comme disent toutes les Églises d’Ukraine, jusqu’à aujourd’hui il n’y a pas de dialogue.
Il y a eu des tables rondes mais sans dialogue.
Et justement quel est le
rôle joué par les Églises ? Sur la place, les Églises et spécialement l’Église
gréco-catholique ukrainienne jouent notamment un rôle de pacificateur, un rôle de
bénédiction versée sur la souffrance et le sacrifice des gens, même ceux qui ne sont
pas morts, ils se sacrifient en venant sur la place, en vivant sur cette place. Certains
se réunissent dans des tentes où est célébrée chaque jour l’eucharistie et selon moi,
c’est la chose la plus importante qui se passe sur Maïdan. Ils demandent la bénédiction
du Seigneur et ils s’en remettent au Seigneur pour tous les espoirs que portent aujourd’hui
chaque Ukrainien de bonne volonté. C’est donc d’anoblir le cœur de tous ceux qui portent
un sacrifice aujourd’hui en Ukraine, comme partout dans le monde. Et il y a aussi
un aspect plus humaniste, humanitaire.
Alors l’Église, par toutes les manières
possibles, essaye d’aider chaque partie de Maïdan. Par exemple, j’ai passé une nuit
dans une église où il y a un petit hôpital et où beaucoup de manifestants se font
soigner, comme des policiers qui viennent prendre un café ou un médicament. Voilà,
c’est ça la place de l’Église : aider, aider, aider et le dire à tout le monde, nous
sommes ici pour combattre le mal mais pas le pécheur, c’est ça la grande lutte que
nous devons mener. Aujourd’hui toutes les Églises d’Ukraine ont bien précisé que le
responsable de toutes les violences en Ukraine est le président Ianoukovitch. Mais
d’autre part, le mal se trouve dans le cœur de chaque personne, car chaque péché que
nous faisons est le mal. Et si nous voulons combattre le mal, nous devons commencer
par chercher le bien que nous pouvons faire pour la société en commençant par faire
le bien en nous-même. La prière, la prédication c’est déjà bien mais ça ne peut pas
toucher le cœur de tout le monde, avec la charité on peut donc toucher plus de personnes.
Et c’est ce que nous faisons.
Comment pouvez-vous expliquer que l’Eglise
soit devenue un repère pour ces manifestants ? Le problème du manque de dialogue,
le problème de la souffrance, de l’inégalité sociale et le manque de vérité et donc
chaque personne, chaque institution qui recherche la vérité dans un sens véridique
est très bien accepté par le peuple. Jeudi, un homme m’a demandé : « Père de quelle
Eglise êtes-vous ? C’est simplement pour des statistiques ». Je lui ai donc répondu
de l’Église gréco-catholique et il m’a répondu : « moi je suis athée et je vous
remercie ». Quand un prêtre prie à Maïdan, tout le monde prie avec lui, qu’il
soit athée ou qu’il croit en quelque chose, il prie à sa manière. Et le fait que quelqu’un
prie avec lui, mais d’une autre manière, ne le met pas en colère. Chacun comprend
la prière de l’autre et lève son cœur vers le Seigneur. Ça c’est le rôle de l’Eglise
sur Maïdan.
Et qu’est-ce que Maïdan a apporté à l’Église ? J’ai
écrit sur ma page Facebook que Maïdan a fait plus pour l’Église que vingt ans d’indépendance.
Nous sommes ensemble sur la place, quelle que soit la dénomination de notre Église.
Il n’y pas de différence, nous prions tous ensemble et nous ressentons que nous sommes
une Église de Dieu, et sur cette place une "Église de Kiev", qui malheureusement aujourd’hui
dépend de diverses juridictions, entre Rome, Moscou et Constantinople, mais ici à
Maïdan nous ne faisons qu’un. Je crois que cela portera de grands fruits pour nos
relations dans le futur. Voilà c’est ça qu’a apporté le Maïdan aux Eglises.