(RV) Entretien - Communiquer est un exercice difficile et complexe. Savoir
ce que l’on veut transmettre est essentiel et savoir ce que l’on veut obtenir l’est
tout autant. Le message du Pape pour la 48ème Journée mondiale des communications
sociales est à ce titre tout particulièrement intéressant. Il y appelle notamment
à « bien communiquer » pour mieux « nous connaître les uns les autres
», et « à être plus unis ». Une communication donc « au service d’une authentique
culture de la rencontre ».
Cette journée a été mise en place par le Concile
Vatican II. Elle est célébrée dans plusieurs pays, sur la recommandation des évêques
du monde entier, le dimanche avant la Pentecôte. Cette année, elle sera donc fêtée
le 1er juin.
Communiquer avec les autres, s’ouvrir à leurs vérités, tout en
partageant la parole de Dieu. C’est ce que fait au quotidien Mgr Hervé Giraud,
évêque de Soissons et précurseur sur les réseaux sociaux. Plus de cinq mille personnes
reçoivent tous les jours ses « Twittomélies » publiées sur Twitter. En cent-quarante
caractères, c’est-à-dire une ligne et demie, il propose un verset de l’Évangile auquel
il ajoute un petit commentaire. Il explique à Audrey Radondy comment il a débuté sur
Twitter :
Pouvez-vous
nous raconter comment vous êtes arrivé sur Twitter ? J’ai expliqué, un jour,
dans une conférence à Paris, la manière dont je tenais mon blog, ma page internet
du site de mon diocèse. Lorsque j’ai terminé ma conférence, quelqu’un est venu me
voir en disant : « Mais est-ce que vous écrivez la parole de Dieu en un petit commentaire
qui a la dimension d’un tweet ? ». Alors, j’ai demandé : « c’est quoi twitter ? J’en
ai un peu entendu parler mais je n’ose pas me mettre sur ce réseau ». Et quand j’ai
vu de quoi il retournait, je me suis immédiatement inscrit. C’était exactement il
y a trois ans, le 23 janvier 2011. J’ai essayé d’être régulier, de mettre tous les
jours cette petite homélie et de garder ma posture d’évêque, avec une déontologie
précise et de rester vraiment celui qui annonce d’abord la parole de Dieu.
Et
donc, c’est vrai que j’ai été parmi ceux qui disaient à Rome qu’il fallait que le
Pape y soit et je me suis réjoui quand le Pape Benoît XVI s’est mis sur twitter parce
que ça a été comme une confirmation, non seulement pour moi, mais pour beaucoup de
bloggeurs catholiques, de twittos catholiques. Lorsqu’il avait dit « dans la substance,
de brefs messages, on peut exprimer des pensées profondes », ça nous a permis de dire
: « oui, on peut habiter ce réseau, ça n’est pas interdit et c’est vraiment une manière
d’être présent comme Jésus était présent dans tous les milieux qu’ils rencontraient
de villes en villages ».
Vous êtes donc l’inventeur de la « twittomélie
», qu’est-ce que c’est ? J’ai pris ce mot « twittomélie » car j’ai beaucoup
réfléchi ce 23 janvier 2011 et je me suis dit « tweet », « homélie », « twittomélie
», ce n’est pas une homélie. Donc en mettant le mot « tweet » devant, ça voulait bien
dire que ce n’était pas tout à fait une homélie, parce qu’une homélie, c’est en direct.
En même temps, c’est bien une homélie parce que je la dis aussi chaque jour aux personnes
à qui je dis la messe et avec qui je célèbre l’eucharistie. Donc, c’est bien de l’ordre
de l’homélie, c’est sur twitter et j’ai trouvé que le mot allait bien.
J’ai
simplement enlevé le « H »pour que ça soit plus simple en italien. J’ai essayé de
penser cela un peu plus universellement. Voilà, ça a donné un hashtag comme on dit,
un mot-clic, c’est-à-dire un mot clef qu’on peut retrouver. Maintenant, beaucoup ont
repris ce mot « twittomélie » en Italie mais aussi par des Français, des prêtres,
des fidèles laïcs lorsqu’ils commentent la parole de Dieu.
Et quel est
le profil des personnes qui sont abonnées à votre compte ? J’ai plus de 5000
abonnés de 40 pays différents. Donc, il y a notamment beaucoup d’Italiens, d’Espagnols,
mais aussi beaucoup de ressortissants d’Amérique du Sud et du Québec et puis évidemment,
majoritairement de France. Ce sont des profils de jeunes, principalement des 25-45
ans. Je commence à voir apparaître des personnes un peu plus âgées qui ont du temps,
qui commencent à aller sur ces réseaux sociaux dont twitter et qui découvrent qu’il
y a aussi la présence d’un lieu de spiritualité, qu’il y a de petites perles évangéliques
et que ça peut aussi être un service à leur rendre que d’être présent.
Justement,
quel dialogue avez-vous installé avec vos différents « followers », ceux qui vous
suivent sur twitter ? Petit à petit, certains découvrant qu’il y avait un évêque,
on demander à me rencontrer. Il y a eu par exemple les bloggeurs catholiques qui se
sont rencontrés à l’occasion de ce qu’ils appellent « la fraternité des amis de saint
Médard ». C’était une occasion où ils pouvaient à la fois prier, aller à la messe
et ces bloggeurs partageaient tout.
Un jour, ils m’ont beaucoup invité à venir
et je suis venu, ce qui m’a permis de connaître les visages de ceux qui avaient des
pseudonymes. Ils m’ont beaucoup remercié de venir les rencontrer, de leur parler parce
qu’ils se sont senti encouragés à blogger, c’est-à-dire à donner leurs réflexions,
à admettre des commentaires parfois difficiles sur des sujets de société ou de politique
et c’est ainsi que petit à petit, j’en ai rencontré un certain nombre. Évidemment,
je n’ai pas rencontré les 5000 qui me suivent mais j’en connais quand-même quelques
centaines.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les tweets du Pape François
? Ce qui est apprécié et appréciable, c’est qu’il sait trouver des mots simples
et toucher les gens. Ce sont des petites perles qui sont comprises par tous. Ils visent
vraiment ses dix millions d’abonnés et je trouve qu’il a un langage, des images, des
sentiments, des idées- il parle souvent de la tendresse par exemple- qui sont compris
de tous. Ça, je trouve que c’est très important. Maintenant, je souhaiterais peut-être
qu’il y ait un lien vers ses principaux textes ou messages pour qu’on puisse aller
lire un peu plus, pour qu’on en reste pas simplement à un tweet mais un texte un peu
plus long, profond. L’intérêt de twitter, je trouve, c’est que c’est un lieu d’informations
très précis et très avancé.
Quels changements avez-vous remarqué depuis
que vous twittez ? D’une certaine manière, j’ai élargi ma mission, non seulement
à mon diocèse mais aussi au-delà de mon diocèse. Un évêque, c’est vrai qu’il est principalement
évêque d’un diocèse, mais il est aussi membre du collège des évêques. Donc, c’est
vrai qu’on doit avoir une sollicitude du Concile, une sollicitude pour l’Église universelle.
C’est ma manière d’avoir cette sollicitude vis-à-vis de l’Église universelle que de
transmettre cette toute petite parole sur twitter. Cela a quand même aussi changé
mon rapport à l’information. Je m’informe à partir de mon fil twitter qui me sert
de fil d’information.
Et puis, ça a changé aussi mon rapport à la communication.
J’essaye d’être encore plus positif, de respecter encore plus les points de vue des
autres, de dire plus mais en peu de mots. J’ai essayé de prendre au sérieux ceux qui
ont des idées différentes que je lis aussi sur le fil de twitter. Ca transforme un
certain nombre de pratiques, ou du moins, ça les prolonge, ça les épanouit un peu
plus.
Ce qui a aussi beaucoup changé, c’est que depuis trois ans, ça m’a fait
connaître publiquement. Ce n’ était pas cherché mais j’ai donné beaucoup d’interviews,
à des radios, des télés, des magazines. Donc, il faut aussi un peu gérer ça parce
qu’on est un peu plus exposé. Mon but, c’est quand même d’abord de servir l’Évangile,
c’est-à-dire la parole de Dieu, ce n’est pas de me montrer.
Est-ce que vous
savez si d’autres évêques ont pris votre suite et se sont mis sur twitter ? Alors,
au début, les évêques étaient tout de même un petit peu méfiants, peut-être parce
que- ça remonte à loin- il y avait eu le procès que j’avais fait contre Facebook.
Certains me disaient : « Tu as eu ce problème et tu continues sur twitter ». En fait,
moi, je n’étais pas sur Facebook. Quand j’ai eu ce problème, c’était une question
d’usurpation d’identité. Mais j’ai dit : « Ce n’est pas parce qu’il y a eu un accident
qui n’était pas de ma faute que je ne reprends pas ma voiture. Et là, ce n’est même
pas ma voiture, je prends une moto. Enfin, c’est autre chose. »
Twitter c’est
un autre type de réseau ou de média social, ça n’a rien avoir avec Facebook. Et petit
à petit, je leur ai expliqué ce que c’était, ce que je faisais. On a un peu moins
souri de ma pratique quand les Papes s’y sont mis et quand on a vu que dans les informations,
en France, on parlait beaucoup de twitter, on allait sur twitter. Donc, c’est quelque
chose qui s’est fait par capillarité. Tout le monde connaît un peu ce mot-là.
Maintenant,
il y a 13 évêques qui sont sur twitter. Alors, tous ne twittent pas eux-mêmes. Pour
certains, c’est leur directeur de la communication. Mais moi, je tiens vraiment à
ce que ça soit ma propre parole. J’avoue toujours avoir une déontologie très stricte,
c’est-à-dire que je twitte en tant qu’évêque et je ne twitte que sur la parole de
Dieu, principalement. De temps en temps, je peux retwitter telle ou telle parole du
Pape mais c’est assez rare pour ne pas trop aller vers l’actualité ou parce que ça
serait trop envahissant pour le peu de temps que j’ai.
Vous avez même écrit
un livre là-dessus. Pourquoi ? Alors en fait, un certain nombre de personnes
ont su que j’écrivais ces petites homélies sur mon site et sur twitter. Ils m’ont
demandé si le livre existait. J’ai dit non. Alors, j’ai commencé en fait à éditer
un livre sur internet. J’ai pu l’offrir à mes neveux et nièces pour voir l’écho que
ça avait. Et puis, je me suis aperçu que des gens le demandait. Je me suis dit qu’au
bout de trois ans, j’avais fait le tour de l’horloge et je pouvais éditer mes milles
« twittomélies ».
Comme je le dis, d’une certaine manière, c’est un objet
qui n’est pas connecté et qui n’a pas de batterie non plus. Il suffit d’avoir un doigt,
c’est aussi digital. On peut l’avoir à la portée de la main, on peut le laisser trainer
devant une permanence ou n’importe. Les gens peuvent en lire deux ou trois. Pour moi,
le livre reste un média aussi important et je pense que cela se complète. D’ailleurs,
on l’a bien vu dans l’histoire des communications sociales : le cinéma n’a pas été
tué par la télévision et puis, le cinéma et la télévision n’ont pas été tué par internet
mais tout cela se complète et il y a des convergences qui se font.