CENTRAFRIQUE : « On ne peut pas dire qu’on est chrétien et tuer son frère »
La présidente centrafricaine de transition, Catherine Samba Panza, a affirmé mercredi
vouloir aller en guerre contre les milices d'autodéfense anti-balaka, coupables selon
elle de nombreuses exactions dans le pays. Elle s’exprimait dans la région de Mbaïki
à environ 80 km au sud-ouest de Bangui, lors d'une visite en compagnie du ministre
français de la Défense Jean-Yves Le Drian. Pour certains, ces violences prennent
de plus en plus un aspect ethnique et religieux. Amnesty International n’hésite pas
d’ailleurs à parler de « nettoyage ethnique », évoquant les violences systématiques
commises à l’encontre des centrafricains. Apparus comme des milices luttant contre
la rébellion Séléka, à dominante musulmane, qui avait pris le pouvoir en mars 2013
et qui persécutait la communauté chrétienne, les anti-balaka, sont accusés à leur
tour de violences. Des violences que condamne avec force Mgr Dieudonné Nzapalainga,
l’archevêque de Bangui, interrogé par Xavier Sartre :
Quelle
est votre analyse de la situation en Centrafrique actuellement ? Autant que
je sache, il y a un groupe qui a décidé de prendre sa revanche. Il s’agit essentiellement
des jeunes qui ont vu des villages incendiés, pillés et des tueries, des exactions
suite à des violations de droits humains que des éléments de la Seleka avaient fait
endurer à des villages entiers. Or, ces jeunes, à l’époque où je les ai rencontrés,
parlaient de combattre la Seleka. Force est de constater que ce n’est pas ce qui se
passe sur le terrain. Maintenant, ces gens s’en prennent à des communautés musulmanes.
Ils nous ont toujours dit que les musulmans ne sont pas la Seleka. Tous les Seleka
ne sont pas musulmans. De même, nous avons dit que tous les anti-Balaka ne sont pas
chrétiens et tous les chrétiens ne sont pas anti-Balaka. Si les gens s’en prennent
à ce groupe, c’est pour aller piller, aller venger, c’est pour exprimer une haine.
Ce sont des sentiments purement humains et je pense que derrière ce qui se passe,
il y a des gens que j’ai appelé « des hommes politiques véreux » qui utilisent les
manettes. La preuve, vous avez des gens qui se prononcent comme des parrains de ces
groupes. En aucun cas, ni un prêtre, ni un pasteur avec qui je suis, ne s’est prononcé
pour diriger et appuyer cette idéologie. Je dénonce, je condamne les exactions et
je dénonce aussi l’amalgame qui est fait autour de cette situation car l’imam, le
pasteur et moi-même, nous parlons le même langage, nous avons posé le diagnostic depuis
le début. Aujourd’hui, on continue à jouer sur la cible religieuse et nous refusons
qu’on nous conduise vers ce chemin.
Comment faire pour être entendus par
les principaux concernés ? Nous avons refusé de faire l’amalgame et nous demandons
à ceux qui utilisent, qui manipulent les jeunes, d’être responsables au niveau national
et au niveau international. Ce qui nous a conduit dans cette situation, c’est l’impunité.
Des gens tuent et personne ne leur dit rien. Les gens pillent et incendient et ils
sont toujours en bonne santé et ils continuent à circuler. Il va falloir que ceux
qui ont tués répondent de leurs actes : ça veut dire réparation de ces fautes-là.
Nous pensons qu’il est temps que la justice renaisse de ses cendres en République
Centrafricaine. C’est comme ça qu’on pourra aussi redonner confiance aux pauvres qui
attendent qu’une solution, qu’une proposition soit faite pour qu’ils retrouvent la
quiétude.
Est-ce que vous vous êtes directement adressé aux anti-Balaka
? Les anti-Balaka ont lancé une attaque et deux jours plus tard, j’ai écrit
une lettre où j’ai été clair : je condamne les exactions ou les recours à la force
comme moyens pour arriver au pouvoir. Le moyen que je connais s’appelle le dialogue.
J’insiste pour qu’on puisse utiliser ce moyen pour régler les différends en société.
Actuellement, je lance des appels en disant : tous ceux qui se disent chrétiens et
qui sont dans ce groupe ne doivent pas croire qu’ils sont cohérents avec leur foi.
On ne peut pas dire qu’on est chrétiens et tuer son frère, le brûler, le détruire.
On ne peut pas se dire qu’on est chrétiens et chasser son frère. Le frère, c’est l’autre.
Moi-même, j’ai accueilli ici le responsable de la communauté musulmane. Je vis avec
lui et je demande à ce que les chrétiens en fassent autant. L’amour doit être la caractéristique
propre des chrétiens. Or, là, actuellement, nous assistons à des divisions, à la haine,
à la vengeance, à des représailles, à des comportements qui sont à l’antipode des
valeurs évangéliques.
Vous avez évoqué des politiciens véreux qui soufflent
sur les braises. Qui sont ces politiciens véreux, comme vous les appelez ? Actuellement,
la violence ne connaît plus de limites. Contrairement à ce qu’on nous fait croire,
nous avons aussi des chrétiens qui sont pillés par les anti-Balaka. J’ai rencontré
une famille, dans leur maison, tout a été emporté. Ça veut dire que c’est un autre
gang ou un autre chef qui poussent ces gens-là . C’est la recherche du pouvoir, il
faut avoir le courage de le dire. On ne se bat pas pour être plus proche de Dieu ou
bien pour défendre sa foi. On se bat pour être au pouvoir. On se bat pour montrer
qu’on est le plus fort.
Pensez-vous que le gouvernement de transition et
l’ensemble des autorités de transition ont les capacités pour pouvoir affronter ce
sujet ? Le gouvernement a besoin de moyens pour devenir efficace et efficient.
Or, le gouvernement qui est arrivé est confronté à des difficultés de tout genre et
il est temps que les communautés nationale et internationale apporte leur contribution
pour aider ce gouvernement. Les gens ne sont pas payés depuis des mois. Nous avons
aussi la justice qui est en panne parce que les gendarmes ne jouent pas leur rôle.
Vous avez aussi les juges qui n’assument pas leur rôle. Les missions régaliennes dévolues
à un État ne sont pas actuellement accomplies.
Justement, comment jugez-vous
l’action aussi bien de la Misca (force militaire africaine) que de l’armée française
en Centrafrique ? La Misca et la Sangaris sont deux missions qui sont venues
pour nous aider. Nous pouvons être reconnaissants. Ces missions ont permis de stabiliser
la situation et d’éviter le pire. Force est de constater que nous devons aller plus
loin. Je reviens d’Europe où j’ai fait un plaidoyer pour demander la mission des Casques
bleus. Il nous faut plus d’hommes. Un pays de 623.000 km² ne pourra pas être sécurisé
avec 6.000 hommes. Vous avez les armes qui se sont disséminées dans tout le pays.
Il va falloir récupérer ces armes. L’administration a été détruite. Dans la mission
que nous imaginons et que nous souhaitons pour l’ONU, il faut dire qu’il y a un projet
de reconstruction de l’État, de la machine étatique. Vous savez que les écoles
et aussi les établissements de santé ne fonctionnent pas. Il va falloir les relancer.
Vous savez aussi qu’actuellement, le processus politique a quelques difficultés parce
qu’il manque de moyens. Nous savons que la première mission à nous, Centrafricains,
pour désarmer nos têtes, pour désarmer nos cœurs, pour commencer à vivre ensemble
avec nos frères et nos sœurs, est de nous réapproprier la dimension patriotique. En
aucun cas, je peux ôter la vie de mon frère ou de ma sœur, impunément.
(Photo
: L'imam de Bangui Oumar Kobine Layama accompagne l'archevêque de Bangui Mgr Dieudonné
Nzapalainga.)