Cardinal Poupard : « Benoît XVI, un humble ouvrier dans la vigne du Seigneur »
(RV) Entretien - Il y a un an, le 11 février 2013, le Vatican devenait le centre
du monde. Benoît XVI, à la surprise générale, annonçait renoncer au ministère d'Évêque
de Rome, successeur de Saint Pierre, huit ans après son élection le 19 avril 2005.
Un geste inédit dans l’Histoire moderne qui déclencha aussitôt une onde de choc. Alors
que les catholiques émus et abasourdis s’interrogeaient, les journalistes du monde
entier affluaient vers Rome pour suivre au plus près cet évènement et pour en mesurer
la portée.
Le cardinal Paul Poupard, président émérite du Conseil pontifical
pour la Culture, se trouvait dans la salle du Consistoire lorsque Benoit XVI en
latin a tourner une page d’Histoire. Il raconte ce moment à Hélène Destombes
Comment
avez-vous appris la renonciation de Benoît XVI ? Dès les premiers mots, j’ai
entendu « ingravescentem aetatem ». J’ai dit « Mon Dieu » et j’ai compris tout
de suite. Nous nous sommes alors regardés dans la salle du consistoire, je pouvais
lire sur le visage des cardinaux qui me faisaient vis-à-vis mes propres sentiments
: étonnement, stupeur, préoccupation et admiration. Le Pape a glissé, tout d’un coup,
il était parti avec cette douceur, cette humilité, cette transparence. Et du coup,
plus personne ne partait. Nous nous sommes donc retrouvés à deux, à trois, à quatre
en disant « Maintenant, qu’allons-nous faire ? ». Et puis, j’ai repris la voiture,
nous sommes rentrés plutôt dans le silence. Quand je suis arrivé à l’appartement,
les sœurs, qui ne savaient pas, m’ont dit « Qu’est-ce qu’il y a ? Le téléphone
ne fait que sonner. Les journalistes vous appellent, etc ». Alors, je leur ai
dit et stupeur ! Concernant les journalistes, j’ai été frappé de voir qu’en très peu
de temps, eux aussi sont à peu près passés par les mêmes sentiments que nous cardinaux.
Avec un peu de retard, j’ai pu aussi constater dans l’ensemble des fidèles, dans l’ensemble
des gens, les mêmes choses. Après la stupeur, pour certains un peu de réprobation
inquiète, puis sont venues la compréhension et l’admiration.
Comment expliquer
ce passage de cet état de très forte préoccupation à ensuite, cette reconnaissance,
cet hommage ? Je crois fondamentalement que nous avons été comme enveloppés
dans un manteau de prière. Ces sentiments qui vont des deux extrémités de la gamme,
étaient portés tous en même temps par une prière extraordinaire. Il y a eu un choc
et ce choc a fait que l’ensemble des personnes, à commencer par les cardinaux, si
je puis dire, ont été comme contraints de sortir de l’évènementiel humain qui est
en train de se produire à sa dimension et sa profondeur spirituelle. Puis vient la
réflexion. On est obligé d’analyser mais les sentiments s’entremêlent. C’est une réflexion
en profondeur sur le ministère de Pierre.
Avec ce geste, Benoît XVI a en
quelque sorte désacraliser la fonction papale ? Le geste de renonciation de
Benoît XVI a ouvert une nouvelle phase dans l’histoire de l’Église. Nous étions habitués,
il y avait comme une identification entre le service, le ministère de Pierre, et la
personne jusqu’à sa mort. Là, par son geste, le Pape Benoît XVI nous ramène à ce qui
est bien la fonction de Pierre, relisant l’Évangile : « Et toi, confirme tes frères
dans la foi ». C’est un ministère. Si je reprends votre terme, il y avait eu une sacralisation
abusive d’un Pape qui était sur un piédestal et qui était au-delà du commun des mortels.
Benoît XVI, au contraire, dès les premiers mots, s’est décrit comme un humble ouvrier
dans la vigne du Seigneur. C’est avec cette clef de lecture que nous pouvons comprendre
sa décision et sa déclaration. Cet humble ouvrier dans la vigne du Seigneur a retenu
dans son âme et conscience, qu’il n’était plus apte à remplir sa tâche qui était celle
de l’humble ouvrier qui doit confirmer ses frères dans la foi.