La crise humanitaire en Syrie délaissée à Genève II, entretien avec Eric Chevallier
(RV) Entretien- La Conférence sur la crise humanitaire en Syrie s’est tenue
lundi matin à Rome, sous l’égide des Nations unies. Des représentants de l'Irak, de
l'Iran, du Liban, des Etats-Unis, de la France, de la Russie, du Qatar, de l'Arabie
saoudite étaient notamment présents.
Et pour tous les participants, une seule
déception. Celle que les pourparlers de Genève II se soient focalisés sur les questions
politiques, au détriment des enjeux humanitaires, pourtant cruciaux.
« Sur
sept millions de personnes prisonnières de la guerre en Syrie même, 3,3 millions ont
un besoin urgent d'une aide humanitaire », a rappelé Valerie Amos, secrétaire-générale
adjointe des Nations unies, présente à cette conférence.
Pour Emma Bonino,
ministre italienne des Affaires étrangères, les progrès humanitaires sont insuffisants,
et restent entravés par deux principaux problèmes : celui de l’accès de l’aide aux
populations, et celui de la protection des civils. « Nous avons redit que cela
ne peut être accepté », a-t-elle lancé avec force.
Eric Chevallier,
ancien ambassadeur français à Damas, émissaire de la France à la conférence,
analyse la situation au micro de Manuella Affejee : Malheureusement,
le constat que la situation humanitaire en Syrie et aussi pour les réfugiés syriens
à l’extérieur du pays continue à être extraordinairement difficile et que malheureusement,
on voit bien que le régime syrien continue à ne pas respecter les principes humanitaires
de base. D’abord parce qu’il assiège un certain nombre de zones, et dans ces zones,
malheureusement, l’aide ne parvient pas parce qu’elle est empêchée au point qu’y compris
dans certains quartiers de la périphérie immédiate de Damas ou même parfois dans Damas,
comme Yarmouk, mais aussi dans d’autres endroits comme la vieille ville de Homs dont
on a beaucoup parlé, etc…il y a des gens aujourd’hui qui meurent de faim, pas parce
qu’il n’y aurait pas des moyens d’apporter de l’aide humanitaire mais parce que
celle-ci est bloquée. Récemment, dans les discussions de paix de Genève, il a été
éventuellement question que des convois puissent arriver avec de l’aide humanitaire
: douze camions qui devaient arriver au centre de la vieille ville de Homs, pour venir
apporter de l’aide à des gens qui sont vraiment en situation absolument terrible depuis
des mois et des mois. Et l’opposition, civile et combattante, s’était engagée par
écrit et publiquement à faciliter l’arrivée de ces convois. Et le régime a décidé
de les bloquer ou a même fait pire, a commencé à négocier le nombre de paniers alimentaires
qui pourraient arriver dans une espèce de négociation absolument terrifiante à l’égard
de gens qui sont affamés depuis des mois. Vous dites que le régime de Damas
ne respecte pas les règles humanitaires élémentaires. L’opposition les respecte-t-elle
? Alors, l’opposition, celle sérieuse, qui a d’ailleurs démontré son sérieux
lors des dix derniers jours à Montreuil, à Genève dans le début de ce processus sous
l’égide des Nations-Unies. Cette opposition sérieuse, à la fois qui a travaillé sérieusement
politiquement pour essayer de trouver une solution politique, aussi sur le terrain,
comme je le disais pour Homs, prend des engagements et essaye de faire le maximum.
Après, il y a quelque chose qu’il faut bien avoir à l’esprit, ce sont les groupes
islamistes radicaux mais qui ne sont pas l’opposition sérieuse qui peut être l’alternative
au régime. Et d’ailleurs, vous savez que, notamment, l’État islamique en Irak et au
Levant, ce groupe de radicaux extrêmement durs, on est absolument clair aujourd’hui
qu’il y a des liens plus ou moins explicites avec le régime de Damas. Nous savons
par exemple qu’il arrive que des avions et des hélicoptères soient envoyés par le
régime, survolent des camps ou des bases de l’État islamique en Irak et au Levant
sans le toucher et aille ensuite bombarder avec des barils de TNT, remplis de ferrailles
pour faire encore plus mal et va le jeter sur des populations civiles, par exemple
à Alep, comme cela s’est passé ce week-end. Donc, ça dépend de qui on parle. Oui,
l’opposition qui veut la démocratie en Syrie, l’opposition qui se bat pour plus de
liberté, elle, fait le maximum dans un contexte très difficile pour que cette aide
humanitaire arrive, d’ailleurs parfois au péril de leur vie. Mais le constat factuel,
c’est que le régime empêche cela le plus possible et les groupes très radicaux, mais
qui une nouvelle fois, sont souvent les alliés plus ou moins objectif du régime, rendent
parfois aussi la chose difficile. Bientôt le deuxième round de Genève II. Qu’attendez-vous
? Qu’attend la France de ce deuxième round ? Qu’il soit plus productif que
le premier. Ce qui est déjà utile et important dans le premier, c’est qu’il ait eu
lieu. C’est évidemment une première après trois ans de cette confrontation terrible.
Une nouvelle fois, pas tellement entre deux parties mais entre un régime et son peuple.
Donc, nous espérons effectivement qu’il puisse y avoir un deuxième round et que ce
deuxième round soit plus productif, que ça soit sur son vrai objectif, le premier,
qui est la solution politique . Donc, la mise en œuvre, pleine et entière de cet organe
de transition. Et puis, aussi, que cela permette évidemment d’alléger les souffrances
immédiatement et le plus rapidement possible, au moins pour partie du peuple syrien.
Donc, des mesures humanitaires, que ça soit de libération de prisonniers. Vous savez
qu’il y a trente mille personnes qui ont été enregistrées, qui ont été identifiées,
répertoriées et transmises à Lakhdar Brahimi, le médiateur de l’ONU : trente mille
personnes arrêtées arbitrairement par le régime. Il faut que ces personnes-là sortent.
Il faut que l’aide humanitaire puisse entrer dans les zones assiégées, il faut que
l’aide humanitaire puisse rentrer par les frontières quand c’est plus facile de faire
parvenir à l’aide humanitaire par ces voies-là. Voilà, c’est cela que nous attendons
tout en étant lucides et réalistes mais nous espérons qu’il y aura effectivement des
progrès lors du deuxième round. En tout cas, c’est ce que nous souhaitons et c’est
ce pourquoi nous essayons d’œuvrer.
Photo : De gauche à droite,
Valeria Amos, secrétaire-générale adjointe des Nations unies et Emma Bonino, ministre
italienne des Affaires étrangères