2014-02-03 11:09:46

Des milices citoyennes pour combattre les cartels de la drogue au Mexique


(RV) Entretien - Face à la violence endémique qui gangrène l’Etat du Michoacan (centre-ouest du Mexique), le gouvernement fédéral mexicain a passé un accord avec plusieurs groupes d’autodéfense locaux pour former des « corps de défense ruraux ». Créées il y a un an dans plusieurs municipalités de l’Etat, ces milices ont pour but de combattre les cartels de la drogue qui mettent en coupe réglée des territoires entiers, par le biais du racket, des enlèvements et des assassinats. Le principal cartel, les Chevaliers du Temple, sévit tout particulièrement dans une région surnommée la Tierra Caliente, littéralement la terre chaude.

Selon l’accord signé fin janvier, les milices doivent s’enregistrer auprès des autorités locales et déclarer toutes les armes qu’elles possèdent. Les opérations d’enregistrement ont d’ores et déjà commencé et sont menées par l’armée, déployée dans le Michoacan depuis 2006, quand le président Felipe Calderon a décidé d’engager les militaires dans la lutte contre le trafic de drogue.

Jean Rivelois, chercheur à l’Institut de recherche sur le développement et spécialiste de la violence liée au narcotrafic au Mexique, revient avec Xavier Sartre sur cet accord et sur le problème qu’il tente de résoudre : RealAudioMP3

Cet accord est loin d’être une simple carte blanche accordée aux milices. Le gouvernement fédéral a posé plusieurs conditions. « Les milices doivent être placées sous le contrôle des autorités locales. Ces milices pourront intégrer les polices municipales à condition d’obtenir l’aval des conseils municipaux, » explique Jean Rivelois. La question principale reste cependant de savoir qui va effectivement contrôler ces groupes d’autodéfense dans la mesure où de nombreuses autorités locales sont corrompues par les groupes criminels, au premier rang desquels les Chevaliers du Temple.

L’engagement de l’armée depuis 2006 n’a pas permis au gouvernement fédéral de reprendre la main et de faire reculer les cartels. La création de ces milices semble en apporter la preuve. Mais pour Jean Rivelois, « le rôle de l’armée est quand même très important. En novembre 2013, l’armée a occupé et continue d’occuper le port de Lazaro Cardenas », plaque tournante du trafic de drogue et donc point stratégique dans la lutte contre les cartels. C’est par ce port situé sur le Pacifique que transitent les matières premières servant à la fabrication notamment des méthamphétamines et les marchandises illégales liées aux différents trafics qui en découlent.

Le recours à l’armée et maintenant à ces milices a été rendu nécessaire aux yeux des autorités mexicaines par le fait que la police est largement corrompue. Impossible de s’appuyer sur les polices municipales ou les polices des différents Etats du pays.

Les miliciens sont surtout des civils

Les groupes d’autodéfense sont essentiellement composés de civils : « des entrepreneurs, des artisans, des médecins, des agriculteurs, c’est-à-dire des gens qui sont victimes des extorsions des cartels dominant dans le Michoacan, et qui se sont organisés pour prendre les municipalités, en évincer les autorités compromises, prendre leur place et donc évincer du même coup les représentants et les hommes de main des cartels. » On est cependant loin d’une simple révolte populaire contre le crime. « Parmi les notables, et notamment les grands propriétaires terriens sur les terres desquels sont cultivées les drogues, nombreux sont les narcotrafiquants. Les milices d’autodéfense seraient ainsi contrôlées par des cartels de la drogue opposés au cartel dominant à l’heure actuelle et qui tenteraient de le renverser ».

Pour appuyer cette thèse, Jean Rivelois souligne que les milices disposent d’armes de guerre qui sont théoriquement inaccessibles aux simples citoyens. Seule l’armée ou bien les groupes criminels en possèdent. Par ailleurs, le ministre de la Justice a révélé il y a quelques jours que deux membres des milices d’autodéfense arrêtés en mars 2013 avaient reconnu avoir reçu des armes du cartel Nouvelle Génération basé dans l’Etat voisin de Jalisco. Jean Rivelois n’exclut pas que « ces milices soient instrumentalisées par des cartels concurrents pour régler leurs comptes ».

Une solution exportable vers d’autres Etats ?

Autre Etat de la fédération mexicaine à être particulièrement concerné par le trafic de drogue, celui du Sinaloa, dans le nord du pays. Mais la situation n'est pas comparable à celle du Michoacan. « Il n’y a pas de guerre des cartels. L’Etat est tenu par le cartel du Sinaloa qui est aussi un cartel moral dans le sens où il s’oppose à la diversification des activités criminelles et à l’immixtion des activités criminelles dans les activités légales. Le problème du Michoacan est que les cartels se sont posés en autorités dans les zones qu’ils contrôlent. Au Sinaloa, le cartel contribue d’une certaine manière à la stabilité de l’ordre public. » Priorité donc a été donnée à la lutte contre la criminalité qui déstabilise le Michoacan. Un pari risqué quand on se souvient de l'exemple de la Colombie où les groupes d’autodéfense créés pour combattre les narcotrafiquants ont fini par devenir eux-aussi des cartels criminels.


Photo : membres des milices d'autodéfense au Michoacan, le 14 janvier 2014








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