Des milices citoyennes pour combattre les cartels de la drogue au Mexique
(RV) Entretien - Face à la violence endémique qui gangrène l’Etat du Michoacan
(centre-ouest du Mexique), le gouvernement fédéral mexicain a passé un accord avec
plusieurs groupes d’autodéfense locaux pour former des « corps de défense ruraux ».
Créées il y a un an dans plusieurs municipalités de l’Etat, ces milices ont pour but
de combattre les cartels de la drogue qui mettent en coupe réglée des territoires
entiers, par le biais du racket, des enlèvements et des assassinats. Le principal
cartel, les Chevaliers du Temple, sévit tout particulièrement dans une région surnommée
la Tierra Caliente, littéralement la terre chaude.
Selon l’accord signé fin
janvier, les milices doivent s’enregistrer auprès des autorités locales et déclarer
toutes les armes qu’elles possèdent. Les opérations d’enregistrement ont d’ores et
déjà commencé et sont menées par l’armée, déployée dans le Michoacan depuis 2006,
quand le président Felipe Calderon a décidé d’engager les militaires dans la lutte
contre le trafic de drogue.
Jean Rivelois, chercheur à l’Institut de recherche
sur le développement et spécialiste de la violence liée au narcotrafic au Mexique,
revient avec Xavier Sartre sur cet accord et sur le problème qu’il tente de résoudre
:
Cet accord
est loin d’être une simple carte blanche accordée aux milices. Le gouvernement fédéral
a posé plusieurs conditions. « Les milices doivent être placées sous le contrôle
des autorités locales. Ces milices pourront intégrer les polices municipales à condition
d’obtenir l’aval des conseils municipaux, » explique Jean Rivelois. La question
principale reste cependant de savoir qui va effectivement contrôler ces groupes d’autodéfense
dans la mesure où de nombreuses autorités locales sont corrompues par les groupes
criminels, au premier rang desquels les Chevaliers du Temple.
L’engagement
de l’armée depuis 2006 n’a pas permis au gouvernement fédéral de reprendre la main
et de faire reculer les cartels. La création de ces milices semble en apporter la
preuve. Mais pour Jean Rivelois, « le rôle de l’armée est quand même très important.
En novembre 2013, l’armée a occupé et continue d’occuper le port de Lazaro Cardenas
», plaque tournante du trafic de drogue et donc point stratégique dans la lutte contre
les cartels. C’est par ce port situé sur le Pacifique que transitent les matières
premières servant à la fabrication notamment des méthamphétamines et les marchandises
illégales liées aux différents trafics qui en découlent.
Le recours à l’armée
et maintenant à ces milices a été rendu nécessaire aux yeux des autorités mexicaines
par le fait que la police est largement corrompue. Impossible de s’appuyer sur les
polices municipales ou les polices des différents Etats du pays.
Les miliciens
sont surtout des civils
Les groupes d’autodéfense sont essentiellement
composés de civils : « des entrepreneurs, des artisans, des médecins, des agriculteurs,
c’est-à-dire des gens qui sont victimes des extorsions des cartels dominant dans le
Michoacan, et qui se sont organisés pour prendre les municipalités, en évincer les
autorités compromises, prendre leur place et donc évincer du même coup les représentants
et les hommes de main des cartels. » On est cependant loin d’une simple révolte
populaire contre le crime. « Parmi les notables, et notamment les grands propriétaires
terriens sur les terres desquels sont cultivées les drogues, nombreux sont les narcotrafiquants.
Les milices d’autodéfense seraient ainsi contrôlées par des cartels de la drogue opposés
au cartel dominant à l’heure actuelle et qui tenteraient de le renverser ».
Pour
appuyer cette thèse, Jean Rivelois souligne que les milices disposent d’armes de guerre
qui sont théoriquement inaccessibles aux simples citoyens. Seule l’armée ou bien les
groupes criminels en possèdent. Par ailleurs, le ministre de la Justice a révélé il
y a quelques jours que deux membres des milices d’autodéfense arrêtés en mars 2013
avaient reconnu avoir reçu des armes du cartel Nouvelle Génération basé dans l’Etat
voisin de Jalisco. Jean Rivelois n’exclut pas que « ces milices soient instrumentalisées
par des cartels concurrents pour régler leurs comptes ».
Une solution
exportable vers d’autres Etats ?
Autre Etat de la fédération mexicaine
à être particulièrement concerné par le trafic de drogue, celui du Sinaloa, dans le
nord du pays. Mais la situation n'est pas comparable à celle du Michoacan. « Il
n’y a pas de guerre des cartels. L’Etat est tenu par le cartel du Sinaloa qui est
aussi un cartel moral dans le sens où il s’oppose à la diversification des activités
criminelles et à l’immixtion des activités criminelles dans les activités légales.
Le problème du Michoacan est que les cartels se sont posés en autorités dans les zones
qu’ils contrôlent. Au Sinaloa, le cartel contribue d’une certaine manière à la stabilité
de l’ordre public. » Priorité donc a été donnée à la lutte contre la criminalité
qui déstabilise le Michoacan. Un pari risqué quand on se souvient de l'exemple de
la Colombie où les groupes d’autodéfense créés pour combattre les narcotrafiquants
ont fini par devenir eux-aussi des cartels criminels.
Photo : membres
des milices d'autodéfense au Michoacan, le 14 janvier 2014