(RV) Entretien - Un premier cycle de négociations s’achève ce vendredi à Genève
entre délégations du régime et de l’opposition syrienne. Ouvertes il y a une semaine
sous l’égide des Nations unies, ces discussions auront permis d’amorcer un dialogue
entre les deux camps qui ne s’étaient jamais rencontrés depuis près de trois ans et
le début de la guerre dans le pays. Mais les pourparlers ont été pour le moins difficiles,
tant sur le plan politique qu’humanitaire.
Pendant ces discussions de Genève,
des centaines de Syriens ont manifesté devant le palais des Nations unies pour porter
la voix de la société civile du pays. C’est le cas de Basma Kodmani, exilée
politique en France. Elle coordonne le réseau des femmes syriennes. Des femmes
qui paient un lourd tribu à la guerre et qui sont les grandes oubliées de ce conflit.
Pourquoi
manifestez-vous ? Nous sommes surtout là pour dire qu’il y a un large mouvement
démocratique en Syrie qui n’est plus entendu, qu’il n’y a plus d’espace dans lequel
il peut s’exprimer et que ce mouvement traverse toutes les régions, toutes les communautés,
toutes les tendances politiques pour dire : nous souhaitons une libération du pays
et une transition démocratique. Alors, pour le réseau des femmes syriennes en particulier,
nous sommes là dans une campagne en faveur de la libération des femmes prisonnières
syriennes dans les geôles du régime. C’est une campagne spécifique concernant les
femmes.
Quelle est cette réalité, justement, des femmes prisonnières ? Combien
sont-elles ? Est-ce qu’on a des données ? Quelles sont vos informations ? Je
pense qu’il y en a environ 7000. Elles sont dans des conditions qui ne sont pas toujours
les mêmes que celles des hommes. Mais très souvent, nous sommes sans informations.
Elles sont évidemment les plus vulnérables donc elle sont sujettes à toutes sortes
d’abus et elles sont privées de leurs besoins les plus élémentaires. Donc il y a un
message à la fois pour les femmes mais surtout pour dire « la libération des femmes
serait quand même une reconnaissance, qu’on conserve un peu d’humanité dans ce terrible
conflit ». Dans les affrontements sur le terrain, les femmes sont un peu le symbole
de ce que la société syrienne doit protéger puisque ce sont des militantes, ce sont
des femmes qui ont joué un rôle extrêmement important comme d’ailleurs beaucoup de
femmes qui sont extrêmement actives, même si on ne les entend pas suffisamment dans
les sphères politiques. Elle sont très présentes dans le mouvement civil et elles
ont été très présentes dans l’humanitaire, dans l’aide à la population, sur tous les
plans, à tous les niveaux dans l’éducation, et aujourd’hui, elles sont des prisonnières.
C’est l’image-même de la déshumanisation de cette société qui demande la démocratie.
Ban
Ki-moon a insisté sur le fait que ces négociations étaient syriennes et que le problème,
finalement, devait être réglé entre Syriens. Mais est-ce qu’aujourd’hui, début 2014,
avec tant d’ingérence, on peut résoudre la crise ? Non, je crois que les propos
de Monsieur Ban Ki-moon correspondent à un discours consensuel qui permet de ne pas
heurter les parties. Quand on dit « il faut laisser les Syriens entre eux », nous
savons qu’il y a une insistance de la part du régime et de ses alliés pour dire «
laissez-les tranquilles, il vont trouver une solution ». Lorsqu’on est arrivé à un
tel degré d’horreur et de crimes, il est difficile de dire encore cela. Je pense que
les grandes puissances ont un rôle considérable à jouer auprès des puissances régionales.
Les parties régionales sont à la fois capables de faire partie de la solution, pour
l’instant, elle font aussi essentiellement partie du problème. Donc c’est le rôle
des grands, de la Russie et des États-Unis, pour ramener ceux qui ont soutenu la révolution
mais qui n’ont pas toujours veillé à soutenir les groupes démocratiques dans cette
révolution, de bien dire « nous voulons la fin de la dictature en Syrie mais nous
voulons une issue démocratique. Nous ne voulons pas n’importe quelle issue, c’est
clair ». Du côté de la Russie, c’est accepter, tout de même, que devant une telle
demande de la société syrienne, si le régime reste sourd à tout cela, il n’y aura
pas de solutions entre Syriens. C’est là où la Russie doit porter ses responsabilités.
Quel
poids peuvent représenter aujourd’hui, la société civile et les groupes démocratiques
dont vous parlez, face aux groupes qui se battent sur le terrain, notamment les groupes
de djihadistes dont on parle beaucoup dans les médias ? Je pense justement
que c’est pour cela que le processus de négociation permet d’ouvrir un espace que
les forces démocratiques ont perdu sur le terrain parce que le bruit des armes est
trop fort et cette image est complètement abimée. Bien entendu, le régime veille beaucoup
à s’assurer qu’on n’entende pas les démocrates et qu’on entende pas la société civile
syrienne. C’est pour cela qu’il faut entendre les femmes, les jeunes, les groupes
de la société civile et tous ces innombrables mouvements qui se sont organisés pour
cette révolution, pour soutenir la demande démocratique de la population. Voilà ce
que l’on peut espérer et je crois que nous ne pouvons qu’espérer que la communauté
internationale mette tout son poids. Si la négociation n’aboutit pas, il y a d’autres
voies à poursuivre : celle du droit international, celle de la pénalisation et du
jugement de ceux qui ont commis les pires crimes, comme on l’a vu récemment, à travers
une enquête qui a montré des images qui ressemblent à la sortie des camps de la Seconde
guerre mondiale. Il faut tirer les conséquences et les conclusions de tout cela :
pas de négociations, pas de concessions… Alors il faut aller chercher d’autres voies.
Elles existent, il ne faut pas les ignorer. C’est mon espoir.
Photo: des
femmes à Arbeen, dans l'est de Damas, le 30 janvier.