« La communication au service d'une authentique culture de la rencontre »
(RV) Sur le même trottoir, la lumière d’une vitrine et un SDF. Dans un monde interdépendant
et interconnecté, des situations de marginalisation, de pauvreté d’exclusion demeurent.
Le monde souffre de conflits aux motifs économiques et même religieux aussi. Face
à ce constat, le Pape François estime que le rôle des médias est de contribuer à nous
rapprocher les uns des autres. Mais encore faut-il savoir le faire. Le Pape François
a ainsi appelé jeudi les catholiques à être des « citoyens du numérique » constructifs,
en utilisant Internet, qualifié de « don de Dieu », pour manifester leur solidarité. Du
bon usage des médias, ce pourrait être le titre du message du Pape pour la 48ème Journée
mondiale des communication sociales. Il a été rendu public ce jeudi au Vatican.
Le
compte-rendu de Marie Duhamel :
«
Bien communiquer nous aide à mieux nous connaître les uns les autres, à être plus
unis ». Or nous en avons besoin. De ce point de vue-là, Internet est une bonne
chose. « C’est un don de Dieu ». Il y a bien sûr des « aspects problématiques
» avec la communication en réseau. Le Pape cite la vitesse de l’information. Elle
« dépasse notre capacité de réflexion ». Et puis il y a tant d’information,
qu’on peut être « désorienté ». Et cela provoque un isolement. Même chose quand
on ne lit parfois que ce qui répond à nos attentes, qu’on « s’enferme dans une
sphère d’information ». Or nous ne pouvons vivre seul. Nous avons besoin de tendresse.
« Le monde des médias ne peut ignorer cela : il a vocation à exprimer cette tendresse
».
Comment dès lors la communication peut-elle se mettre au service de la rencontre
? Et que signifie rencontrer l’autre selon l’Evangile ? D’abord éviter les fourvoiements.
« Le témoignage chrétien ne se réalise pas, dit le Pape, avec le bombardement
de messages religieux », « ni avec des spots : on est pas là pour vendre ou
manipuler les gens », ni enfin avec des « trucages ou des effets spéciaux ».
« Le rayonnement de notre message provient de notre capacité à nous faire proche
de toutes personnes blessées ». Le Pape propose un paradigme, celui du bon Samaritain.
François prône la « proximité ». « Celui qui communique se fait proche ».
Mais attention : « il ne s’agit pas de reconnaitre l’autre comme mon semblable,
mais de ma capacité de me faire semblable à l’autre ». Calme, patience, et écoute,
car « la personne ne s’exprime pleinement non pas quand elle est tolérée, mais
quand elle se sent vraiment accueillie ». Dialoguer, c’est être « convaincu
que l’autre à quelque chose de bon à nous dire, faire de la place à son point de vue
», sans pour autant d’ailleurs « renoncer à ses idées et ses traditions
». Pour le Pape, « seul celui qui communique en se mettant soit même en jeu peut
représenter un point de référence ».
Proximité et Dialogue, les deux mots
clé du Pape François pour que la communication contribue « à façonner la vocation
missionnaire de l’Église tout entière ».
Texte intégral du message
du Pape François pour la 48ème Journée mondiale des communications sociales
La
communication au service d’une authentique culture de la rencontre, 1 juin 2014
Chers
frères et sœurs,
Aujourd'hui nous vivons dans un monde qui devient de
plus en plus « petit » et où il semblerait alors facile de se faire proches les uns
des autres. Le développement des transports et des technologies de communication nous
rapprochent, nous connectant toujours plus, et la mondialisation nous rend interdépendants.
Cependant, au sein de l'humanité persistent des divisions, parfois très marquées.
Au niveau mondial, nous voyons l'écart scandaleux entre le luxe des plus riches et
la misère des plus pauvres. Souvent il suffit d'aller dans les rues d'une ville pour
voir le contraste entre les personnes vivant sur les trottoirs et les lumières étincelantes
des boutiques. Nous y sommes tellement habitués que cela ne nous frappe plus. Le monde
souffre de nombreuses formes d'exclusion, de marginalisation et de pauvreté ; ainsi
que de conflits où se mélangent les causes économiques, politiques, idéologiques et,
malheureusement, même religieuses.
Dans ce monde, les médias peuvent
contribuer à nous faire sentir plus proches les uns des autres; à nous faire percevoir
un sens renouvelé de l'unité de la famille humaine, qui pousse à la solidarité et
à l'engagement sérieux pour une vie plus digne. Bien communiquer nous aide à nous
rapprocher et à mieux nous connaître les uns les autres, à être plus unis. Les murs
qui nous divisent ne peuvent être surmontés que si nous sommes prêts à nous écouter
et à apprendre les uns des autres. Nous avons besoin de régler les différences à travers
des formes de dialogue qui nous permettent de grandir dans la compréhension et le
respect. La culture de la rencontre exige que nous soyons disposés non seulement à
donner, mais aussi à recevoir des autres. Les médias peuvent nous aider dans ce domaine,
surtout aujourd'hui, alors que les réseaux de communication humaine ont atteint une
évolution extraordinaire. En particulier, l'Internet peut offrir plus de possibilités
de rencontre et de solidarité entre tous, et c'est une bonne chose, c’est un don de
Dieu.
Il y a cependant des aspects problématiques : la vitesse de l’information
dépasse notre capacité de réflexion et de jugement et ne permet pas une expression
de soi mesurée et correcte. La variété des opinions exprimées peut être perçue comme
une richesse, mais il est également possible de s’enfermer dans une sphère d'informations
qui correspondent seulement à nos attentes et à nos idées, ou même à des intérêts
politiques et économiques déterminés. L'environnement communicatif peut nous aider
à grandir ou, au contraire, à nous désorienter. Le désir de connexion numérique peut
finir par nous isoler de notre prochain, de nos plus proches voisins. Sans oublier
ceux qui, pour diverses raisons, n'ont pas accès aux médias sociaux, et risquent d'être
exclus.
Ces limites sont réelles, pourtant elles ne sauraient justifier
un rejet des médias sociaux ; elles nous rappellent plutôt que la communication est,
en définitive, une conquête plus humaine que technologique. Par conséquent, qu’est-ce
qui nous aide dans l'environnement numérique à grandir en humanité et dans la compréhension
mutuelle ? Par exemple, nous devons retrouver un certain sens de la lenteur et du
calme. Ce qui demande du temps et la capacité de faire silence pour écouter. Nous
avons également besoin d’être patients si nous voulons comprendre celui qui est différent
de nous : la personne s'exprime pleinement non pas quand elle est simplement tolérée,
mais lorsqu’elle se sait vraiment accueillie. Si nous désirons vraiment écouter les
autres, alors nous apprendrons à regarder le monde avec des yeux différents, et à
apprécier l'expérience humaine comme elle se manifeste dans différentes cultures et
traditions. Mais nous saurons également mieux apprécier les grandes valeurs inspirées
par le christianisme, comme la vision de l'homme en tant que personne, le mariage
et la famille, la distinction entre la sphère religieuse et la sphère politique, les
principes de solidarité et de subsidiarité et bien d'autres.
Alors,
comment la communication peut-elle être au service d'une authentique culture de la
rencontre ? Et pour nous, les disciples du Seigneur, que signifie rencontrer une personne
selon l'Évangile ? Comment est-il possible, malgré toutes nos limites et nos péchés,
d’être vraiment proches les uns des autres ? Ces questions se résument à celle qu'un
jour, un scribe c'est-à-dire un communicateur, posa à Jésus : « Et qui est mon prochain?
» (Lc 10, 29). Cette question nous permet de comprendre la communication en termes
de proximité. Nous pourrions la traduire ainsi : comment se manifeste la « proximité
» dans l'utilisation des moyens de communication et dans le nouvel environnement créé
par les technologies numériques ? Je trouve une réponse dans la parabole du bon Samaritain,
qui est aussi une parabole du communicateur. Celui qui communique, en effet, se fait
proche. Et le bon Samaritain non seulement se fait proche, mais il prend en charge
cet homme qu’il voit à moitié mort sur le bord de la route. Jésus renverse la perspective
: il ne s’agit pas de reconnaître l'autre comme mon semblable, mais de ma capacité
de me faire semblable à l’autre. Communiquer signifie alors prendre conscience d’être
humains, enfants de Dieu. J’aime définir ce pouvoir de la communication comme « proximité
».
Lorsque la communication est destinée avant tout à pousser à la consommation
ou à la manipulation des personnes, nous sommes confrontés à une agression violente
comme celle subie par l'homme blessé par les brigands et abandonné au bord de la route,
comme nous le lisons dans la parabole. En lui le lévite et le prêtre ne considèrent
pas leur prochain, mais un étranger dont il valait mieux se tenir à distance. À ce
moment, ce qui les conditionnait, c’étaient les règles de pureté rituelle. Aujourd'hui,
nous courons le risque que certains médias nous conditionnent au point de nous faire
ignorer notre véritable prochain.
Il ne suffit pas de passer le long
des « routes » numériques, c'est-à-dire simplement d’être connecté : il est nécessaire
que la connexion s'accompagne d’une rencontre vraie. Nous ne pouvons pas vivre seuls,
renfermés sur nous-mêmes. Nous avons besoin d'aimer et d’être aimés. Nous avons besoin
de tendresse. Ce ne sont pas les stratégies de communication qui en garantissent la
beauté, la bonté et la vérité. D'ailleurs le monde des médias ne peut être étranger
au souci pour l'humanité, et il a vocation à exprimer la tendresse. Le réseau numérique
peut être un lieu plein d'humanité, pas seulement un réseau de fils, mais de personnes
humaines. La neutralité des médias n'est qu'apparente : seul celui qui communique
en se mettant soi-même en jeu peut représenter un point de référence. L’implication
personnelle est la racine même de la fiabilité d'un communicateur. Pour cette raison,
le témoignage chrétien, grâce au réseau, peut atteindre les périphéries existentielles.
Je
le répète souvent : entre une Église accidentée qui sort dans la rue, et une Église
malade d’autoréférentialité, je n’ai pas de doutes : je préfère la première. Et les
routes sont celles du monde où les gens vivent, où l’on peut les rejoindre effectivement
et affectivement. Parmi ces routes, il y a aussi les routes numériques, bondées d'humanité,
souvent blessée : hommes et femmes qui cherchent un salut ou une espérance. Aussi
grâce au réseau, le message chrétien peut voyager « jusqu'aux extrémités de la terre
» (Ac 1, 8). Ouvrir les portes des églises signifie aussi les ouvrir dans l'environnement
numérique, soit pour que les gens entrent, quelles que soient les conditions de vie
où ils se trouvent, soit pour que l'Évangile puisse franchir le seuil du temple et
sortir à la rencontre de tous. Nous sommes appelés à témoigner d’une Église qui soit
la maison de tous. Sommes-nous en mesure de communiquer le visage d'une telle Église
? La communication contribue à façonner la vocation missionnaire de l'Église tout
entière, et les réseaux sociaux sont aujourd'hui l'un des endroits pour vivre cet
appel à redécouvrir la beauté de la foi, la beauté de la rencontre avec le Christ.
Même dans le contexte de la communication il faut une Église qui réussisse à apporter
de la chaleur, à embraser le cœur.
Le témoignage chrétien ne se réalise
pas avec le bombardement de messages religieux, mais avec la volonté de se donner
soi-même aux autres « à travers la disponibilité à s'impliquer avec patience et respect
dans leurs questions et leurs doutes, sur le chemin de la recherche de la vérité et
du sens de l'existence humaine. » (Benoît XVI, Message pour la 47ème Journée mondiale
des communications sociales, 2013). Pensons à l'épisode des disciples d'Emmaüs. Il
faut savoir entrer en dialogue avec les hommes et les femmes d'aujourd'hui, pour en
comprendre les attentes, les doutes, les espoirs, et leur proposer l'Évangile, c’est-à-dire
Jésus Christ, Dieu fait homme, mort et ressuscité pour nous libérer du péché et de
la mort. Le défi nécessite profondeur, attention à la vie, sensibilité spirituelle.
Dialoguer signifie être convaincu que l'autre a quelque chose de bon à dire, faire
de la place à son point de vue, à ses propositions. Dialoguer ne signifie pas renoncer
à ses propres idées et traditions, mais à la prétention qu’elles soient uniques et
absolues.
Que l'icône du bon Samaritain, qui soigne les blessures de
l'homme blessé en y versant de l’huile et du vin, soit notre guide. Que notre communication
soit une huile parfumée pour la douleur et le bon vin pour l’allégresse. Notre rayonnement
ne provient pas de truquages ou d'effets spéciaux, mais de notre capacité de nous
faire proche de toute personne blessée que nous rencontrons le long de la route, avec
amour, avec tendresse. N'ayez pas peur de devenir les citoyens du territoire numérique.
L'attention et la présence de l’Église sont importantes dans le monde de la communication,
pour dialoguer avec l'homme d'aujourd'hui et l'amener à rencontrer le Christ : une
Église qui accompagne le chemin, sait se mettre en marche avec tous. Dans ce contexte,
la révolution des moyens de communication et de l'information est un grand et passionnant
défi, qui requiert des énergies fraîches et une nouvelle imagination pour transmettre
aux autres la beauté de Dieu.
Du Vatican, le 24 janvier 2014, mémoire
de saint François de Sales.