Message du Pape François au Forum économique de Davos
Dignité de l’homme, économie au service du bien commun, insertion sociale, lutte contre
la faim et attention aux réfugiés : ce sont les principaux thèmes au centre du message
envoyé par le Pape François au Forum économique mondial, qui se tient à Davos, en
Suisse, jusqu’au 25 janvier prochain. Un message prononcé au nom du Pape par le cardinal
Peter Turkson, président du Conseil pontifical justice et paix.
Dans ce document,
adressé au président exécutif du Forum, Klaus Schwab, le Pape souhaite que cette rencontre
devienne « l’occasion d’une réflexion approfondie sur les causes de la crise économique
mondiale »… Même si dans certains cas la pauvreté a pu être réduite, écrit le Pape,
« souvent malheureusement elle est restée facteur d’une vaste exclusion sociale »,
et aujourd’hui encore, « une majorité d’hommes et de femmes continue à faire l’expérience
quotidienne de l’insécurité, avec souvent des conséquences dramatiques ». La politique
et l’économie sont donc appelées à travailler à la promotion « d’une approche inclusive
qui prenne en considération la dignité de la personne et le bien commun ».
Pour
sa 44ème édition, le Forum de Davos accueille quelques 2500 personnes, dont 40 chefs
d’Etats ou de gouvernements. De nombreuses ONG sont également présentes, et des leaders
religieux ont tenu à se rendre en Suisse pour cet important rendez-vous de l’économie
mondiale. Parmi les représentants de l’Eglise Catholique : le cardinal Peter Turkson,
président du Conseil pontifical justice et paix, le cardinal Onayekan, archevêque
d’Abuja au Nigéria, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille aux Philippines,
et l’archevêque de Dublin, Mgr Diarmuid Martin.
Intégralité du message du
Pape François au Forum économique de Davos
Au Professeur Klaus Schwab Président
exécutif du World Economic Forum Je vous remercie vivement pour m’avoir aimablement
invité à m’adresser au World Economic Forum, à l’occasion de sa rencontre annuelle
qui, comme d’habitude, se tiendra à Davos-Klosters à la fin de ce mois. Espérant que
cette rencontre sera l’occasion d’une réflexion approfondie sur les causes de la crise
économique qui a touché le monde entier ces dernières années, je voudrais faire quelques
considérations dans l’espérance qu’elles puissent enrichir les débats du Forum et
apporter une contribution utile à son important travail. Notre époque est caractérisée
par des changements importants et des progrès significatifs en divers domaines qui
ont d’importantes conséquences pour la vie des hommes. En effet, « on doit louer les
succès qui contribuent au bien-être des personnes, par exemple dans le cadre de la
santé, de l’éducation et de la communication » (Evangelii gaudium, 52), comme aussi
dans beaucoup d’autres domaines de l’agir humain, et il faut reconnaître le rôle fondamental
que l’entreprise moderne a eu dans de tels changements, stimulant et développant les
immenses ressources de l’intelligence humaine. Cependant, les succès obtenus, bien
qu’ayant réduit la pauvreté d’un grand nombre de personnes, ont souvent aussi apporté
une exclusion sociale généralisée. En effet, la plus grande partie des hommes et des
femmes de notre temps vivent encore dans une précarité quotidienne, avec des conséquences
souvent dramatiques. Dans le cadre de cette rencontre, je désire rappeler l’importance
qu’ont les diverses instances politiques et économiques dans la promotion d’une approche
inclusive, qui prenne en considération la dignité de toute personne humaine et le
bien commun. Il s’agit d’une préoccupation qui devrait empreindre tout choix politique
et économique, mais qui semble parfois n’être qu’un rajout pour compléter un discours.
Ceux qui travaillent en ces domaines ont une responsabilité précise vis-à-vis des
autres, en particulier envers ceux qui sont plus fragiles, faibles et sans défenses.
On ne peut tolérer que des milliers de personnes, chaque jour, meurent de faim, alors
que des quantités considérables de nourriture sont disponibles et souvent simplement
gaspillées. De même, ne peuvent laisser indifférents les nombreux réfugiés en recherche
de conditions de vie ayant un minimum de dignité, et qui, non seulement ne sont pas
accueillis, mais aussi périssent souvent tragiquement dans leurs déplacements. Je
suis conscient que ces paroles sont fortes, même dramatiques ; cependant elles veulent
souligner, et aussi mettre au défi, la capacité d’influence de cet auditoire. En effet,
ceux qui, par leur talent et leur habileté professionnelle, ont été capables de faire
des innovations et de favoriser le bien-être de nombreuses personnes, peuvent apporter
une contribution ultérieure en mettant leur compétence au service de ceux qui sont
encore dans l’indigence. Ce qu’il faut, donc, c’est un renouveau large et profond
du sens de la responsabilité de la part de tous. « La vocation d’entrepreneur est
un noble travail, il doit toujours se laisser interroger par un sens plus large de
la vie » (Evangelii gaudium, 203). Beaucoup d’hommes et de femmes peuvent servir avec
davantage d’efficacité le bien commun et rendre plus accessibles à tous les biens
de ce monde. Cependant, la croissance de l’équité demande quelque chose de plus que
la croissance économique, bien qu’elle la suppose. Elle exige avant tout « une vision
transcendante de la personne » (Benoît XVI, Caritas in veritate, 11) puisque « sans
la perspective d’une vie éternelle, le progrès humain demeure en ce monde privé de
souffle » (Ibid.). Cela demande aussi des décisions, des mécanismes et des processus
tournés vers une distribution plus équitable des richesses, la création d’opportunités
de travail et une promotion intégrale des pauvres qui dépasse le pur assistanat. Je
suis convaincu qu’à partir d’une telle ouverture à la transcendance une nouvelle mentalité,
politique comme d’entreprise, pourrait prendre forme, capable de guider toutes les
actions économiques et financières dans l’optique d’une étique vraiment humaine. La
communauté d’entreprise internationale peut compter sur beaucoup d’hommes et de femmes
de grande honnêteté et intégrité, dont le travail est inspiré et guidé par de hauts
idéaux de justice, de générosité, et qui sont préoccupés par l’authentique développement
de la famille humaine. Je vous exhorte donc à puiser dans ces grandes ressources morales
et humaines, et à affronter le défi avec détermination et clairvoyance. Sans ignorer,
naturellement, la spécificité scientifique et professionnelle de chaque situation,
je vous demande de faire en sorte que la richesse soit au service de l’humanité au
lieu de la gouverner.
Monsieur le Président, chers amis, Ayant confiance
que, dans mes brèves paroles, vous puissiez entrevoir un signe de sollicitude pastorale
et une contribution constructive pour que vos activités soient toujours plus nobles
et fécondes, je désire renouveler mon souhait pour le bon déroulement de votre rencontre,
et j’invoque la bénédiction divine sur vous, sur les participants au Forum, ainsi
que sur vos familles et sur vos activités.