Mgr Nzapalainga en Europe pour sensibiliser au drame de la Centrafrique
(RV) Entretien - Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, entame une
tournée d’une dizaine de jours en Europe pour sensibiliser les responsables politiques
à la situation en Centrafrique. Il était de passage ce jeudi à Rome, à la communauté
Sant’Egidio, qui avait œuvré à la signature d’un pacte républicain en septembre 2013
entre toutes les parties en présence.
Aujourd’hui, la Centrafrique attend
l’élection d’un nouveau président de transition, après la démission de Michel Djotodia.
Le calme est relatif à Bangui mais pour Mgr Nzapalainga, il ne s’agit pas d’une
guerre religieuse. L’archevêque de la capitale centrafricaine cherche à dissiper les
malentendus.
Photo :
Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui.
Pour beaucoup, c’est un
pays qui est oublié, isolé, abandonné et il est temps de sortir ce pays de son enclavement
pour que les gens puissent prendre conscience et que ce pays puisse aussi être soutenu.
La République centrafricaine est actuellement un pays qui souffre. À Bangui, vous
avez la moitié de la population qui se trouve dehors, elle ne dort pas chez elle.
Ce sont de grandes préoccupations qui sont catastrophiques sur le plan humanitaire.
Au niveau politique, le Président de la transition vient de démissionner : un acte
courageux, il a rendu service à lui-même, il a rendu service à la nation. Finalement,
il s’est libéré en libérant la nation. Et je crois que c’est un acte de bravoure que
nous pouvons apprécier à sa juste mesure. Maintenant, le temps est venu de reconstruire
ce pays, le temps est venu de jeter de vrais bases de paix. Nous sommes là, nous attendons
un prochain président et nous voyons qu’humanitairement, politiquement, c’est un pays
fragile. Le message que je peux lancé, c’est que plus que jamais, il est temps de
soutenir ce pays, l’aider à reconstruire sa classe politique et surtout, à remettre
les institutions. Tant que les institutions ne seront pas solides et fortes, nous
serons ballottés de gauche à droite et il est temps de mettre des institutions solide.
Ça demande aussi des hommes et des ressources humaines solides. Je pense que la Communauté
Internationale peut aussi jouer ce rôle en aidant au niveau humanitaire les gens qui
ont tout perdu, leur donner à manger parce que la famine est déjà là à notre porte.
Ça fait des mois et des mois que les gens sont dehors, ils n’ont plus d’argent, il
va falloir les aider aussi. Donc, cette crise humanitaire demandent des moyens colossaux
que la Communauté Internationale peut aussi mobiliser.
Quel est votre message
aujourd’hui à faire passer concernant la Centrafrique ?
Le message que
je veux lancer, c’est surtout pour les croyants « Priez beaucoup pour la République
centrafricaine ». Rien ne remplacera la prière. J’invite à ce que nous prions, nous
restons avec cette communion, ce lien fort où Dieu est présent et nous demandons sa
grâce pour la population. Je crois que cette communion de prière va aussi aider ceux
qui sont au loin à sortir de ce moment difficile, de cette épreuve-là et je sais que
dans mon pays, beaucoup de croyants ont les yeux levés vers le Seigneur. Ceux qui
comptent sur le Seigneur ne seront jamais déçus et nous savons que la République centrafricaine
renaîtra de ses cendres.
Comment est le climat, aujourd’hui, à Bangui ? Il
y a actuellement un calme relatif mais nous espérons que celui ou celle qui va être
élu sera un homme ou une femme qui va rassembler, permettre aux centrafricains de
se retrouver autour d’une même table, commencer à formuler des projets, aider à préparer
les élections, surtout donner la chance aux gens de regagner leurs chez eux, c’est-à-dire
assurer la sécurité de la population. Et ce travail, il est important. Ce climat nous
pouvons le faire advenir par la confiance et si la confiance revient entre nous, nous
allons retisser les liens. Actuellement, on pense que les musulmans et les chrétiens
sont divisés mais si la confiance revient entre nous, le brassage qui a caractérisé
notre pays, qu’on considérait comme un pays harmonieux, hospitalier, pourra revenir
mais ça prendra du temps. Nous sommes conscients et il va falloir de la patience,
il va falloir poser des actes et dire des paroles qui vont aider à reconstruire ces
liens-là et je pense que c’est la mission que chaque centrafricain doit avoir. Et
ceux qui viennent nous aider doivent aussi être à nos côtés pour sortir de ce moment
d’impasse.
Est-ce que vous attendez un appel aussi explicite du Vatican.
Le Pape a parlé de la situation en Centrafrique. Est-ce que vous attendez quelque
chose de plus ? Le Pape a été proche de notre situation et ce qu’il dit est
juste : c’est un pays abandonné, souvent oublié et je pense que cet appel qu’il a
lancé, il est temps aussi pour d’autres pays de s’y intéresser. Le Pape en rencontrant
les diplomates, en rencontrant aussi d’autres prêtres, en parlant aussi à l’Église
entière, c’est une manière aussi d’associer toute l’Église entière à la souffrance
des membres. Quand un membre souffre, c’est tout le corps qui souffre. Nous faisons
partie du corps de l’Église et aujourd’hui, nous sommes en souffrance. C’est le Christ
qui continue à s’ouvrir à travers nous et le Pape prend à bras le corps cette question.
Et je crois que nous, qui faisons partie de l’Église, nous devons aussi ouvrir maintenant
nos horizons en nous disant « Comment est-ce qu’on peut aider par nos structures d’Église
? » Il ne faudrait pas rester les bras croisés et regarder ou entendre seulement au
loin mais bouger, ça veut dire mobiliser les ressources et se demander comment on
peut aider. C’est comme cela qu’on deviendra proche de l’autre. C’est comme cela qu’on
va aussi alléger la souffrance, c’est comme cela qu’on va aider l’autre à se relever.
Concernant
l’ambiance entre les communautés religieuses à Bangui : Vous êtes-vous-même responsable
de l’Église catholique. Comment cela se passe-t-il avec les autres communautés ? Dès
le début, nous avons pris position avec des musulmans, protestants, catholiques en
disant : « cette guerre n’est pas interreligieuse » Et nous continuons à garder notre
unité, symbole de témoignage pour les gens et nous demandons à nos fidèles qui sont
instrumentalisés, pour ne pas dire manipulés, de faire attention : cette guerre n’est
pas religieuse. Derrière ce qu’on veut nous faire croire, ce sont d’autres visées
que des visées religieuses .Dieu n’a jamais divisé. C’est Satan qui divise. Or nous,
nous croyons à ce dieu là et nous devons rester fidèle à notre foi et notre foi nous
pousse à ouvrir les bras pour accueillir l’autre. C’est dans la différence qu’on découvrira
la vraie richesse. Ce n’est pas en nous repliant sur nous-mêmes. Souvent les gens
pensent que la Centrafrique est seulement un pays de chrétiens et qu’on doit exclure
et chasser les musulmans. Je dis non ! Les musulmans sont là et en étant là, ils nous
expriment et ils nous révèlent notre catholicité. L’universalité se fait avec les
autres, ce n’est pas seulement avec moi-même. Le repli sur soi a fait que nous n’allons
plus bénéficier de la différence et je pense que c’est important. C’est ce que nous
essayons de faire. Moi-même qui vous parle, dans le moment le plus difficile, j’ai
invité l’Imam à venir à l’archevêché. Il est resté chez nous et il va venir pour le
plaidoyer avec moi à partir de l’archevêché. C’est un acte que nous avons posé pour
dire aux gens « il est possible de vivre ensemble ». Donc, partager ensemble le repas,
partager les réflexions , les visées religieuses et aussi, sociales. Et je crois que
plus que jamais, les fidèles, aussi, doivent se ressaisir pour chercher ce qui nous
construit, ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous divise. Et nous ne voulons
pas qu’on puisse opposer musulmans et chrétiens. Chrétiens et musulmans, nous faisons
partie d’un seul peuple, c’est le destin commun qui nous unit. Et c’est ça le plus
important. Maintenant la religion, c’est un choix particulier, privé. Nous devons
respecter l’autre dans son option. Ne prenons pas cela comme occasion pour diviser
ou bien encore pour exercer un pouvoir.