Sur la Syrie, la puissance morale du Saint-Siège « entendue »
La Syrie, au cœur d’une conférence au sein de l’Académie pontificale des sciences,
réunissant de nombreux experts internationaux au Vatican. A près d'une semaine de
la conférence de paix en Suisse - hasard du calendrier - ses participants ont répondu
en appelant à cesser immédiatement les violences, à entamer la reconstruction du pays,
et à amorcer le dialogue entre les différentes communautés.
Les travaux menés
à huis clos ont été ouverts par le président du Conseil pontifical pour le dialogue
interreligieux, le cardinal Jean-Louis Tauran. Il revient sur le sens de cette rencontre
voulue par le Pape François et sur ses conclusions :
« Il s’agissait d’avoir
une rencontre qui avait pour but de porter au Saint-Père le point de vue des experts,
de diplomates, et de voir comment le Pape et ses collaborateurs pouvaient aider, en
quelque sorte, à accélérer la paix en Syrie. Nous avons commencé par souligner l’importance
de Genève-2. Le monde attend quelque chose de très positif de cette seconde réunion
et des pas vraiment significatifs vers la paix. Ce qui a été intéressant, c’est que
beaucoup de ces experts ont dit que finalement, à l’origine du conflit en Syrie, c’est
surtout les divisions de la région. Et alors, il y a eu cinq points qui sont très
concrets, dont un cessez-le-feu, l’arrêt de toute violence.
Un cessez-le-feu
immédiat et sans conditions. Oui, un cessez-le-feu immédiat et sans conditions.
Et, les couloirs pour que l’aide humanitaire arrive effectivement aux gens qui sont
dans le besoin. Ensuite, la reconstruction matérielle pourra commencer et la reconstruction
morale et spirituelle du pays aussi. Et puis, la réconciliation et le dialogue interculturel,
interreligieux et nous avons tous beaucoup insisté sur la nécessité qu’à Genève soient
présents tous les acteurs de la région et au-delà.
Tous les acteurs de la
région, y compris donc l’Iran ? Oui, parce que bien sûr, à la suite de l’accord
qui vient de passer sur la question nucléaire, c’est un pas très positif et on espère
que cela soit contagieux. Donc, c’est indispensable qu’ils soient à Genève.
Comment
le Saint-Siège entend-il peser sur Genève-2 ? Cela dépend. Nous allons remettre
aujourd’hui au Pape le résultat de nos travaux de lundi et il décidera quels gestes
peuvent être accomplis. Je pense qu’il y aura une démarche du Saint-Siège mais laquelle,
c’est impossible de le dire aujourd’hui. Mais c’est sûr que Genève-2 est vraiment
quelque chose de très important : ou on progresse, ou ce sera catastrophique !
Le
Saint-Siège a une nouvelle fois réclamé que cesse également la livraison d’armes à
la Syrie. Oui, les armes et aussi l’argent qui sert à acheter ces armes. Bien
sûr, parce que c’est une source continuelle. Cet argent devrait être employé plutôt
pour secourir les victimes.
Au lendemain de cette rencontre sur la Syrie,
John Kerry, le secrétaire d’État américain est reçu par Mgr Parolin, le secrétaire
d’État et par Mgr Dominique Mamberti, le secrétaire pour les rapports avec les États.
C’est le signe que le Saint-Siège peut compter dans les décisions importantes qui
concernent ce monde. La voix du Saint-Siège est-elle véritablement entendue par les
leaders mondiaux ? Oui, elle est entendue, il n’y a pas de doutes. Mais qu’elle
soit suivie d’effets, pas toujours. Je crois que le Saint-Siège est une puissance
morale, il ne faut pas oublier cela. Il y a toute une histoire diplomatique qui pèse
évidemment. Et en général, on écoute. D’ailleurs, la grande popularité du Pape François
fait que les leaders politiques sont toujours curieux, un peu admiratifs de cette
popularité. C’est une chose qui est impressionnante. J’ai cité lundi ce que disait
le Pape Pie XII à la vieille de la seconde guerre mondiale, le jeudi 24 août 1939
: “le danger est imminent mais il est encore temps. Rien n’est perdu avec la paix,
tout peut l’être avec la guerre”. Si on l’avait écouté, on aurait évité des millions
de morts.
On peut véritablement considérer que là, la diplomatie est à
l’œuvre et elle est en train de s’accélérer pour éviter que la situation ne devienne
de plus en plus tragique dans le pays. Oui, mais ça c’est la responsabilité
des leaders politiques et aussi des Nations-Unies. On a beaucoup insisté sur l’importance
des Nations unies. J’en ai été très satisfait parce j’en suis un fervent défenseur,
en particulier du chapitre 6 et du chapitre 7 de la Charte qui indique très bien
ce que l’on doit faire lorsque la paix est menacée, comme c’est le cas aujourd’hui.
Et je pense que c’est très important que les responsables des sociétés n’oublient
pas que finalement, lorsqu’on a signé la Charte, on a dit “cette charte des Nations
unies a pour objet d’éviter la guerre aux générations futures”. À presque plus de
70 ans, on s’aperçoit qu’on combat et qu’on négocie après, mais il faudrait faire
l’inverse. Donc, je crois que c’est très important de rappeler cette importance des
Nations unies.
Le Saint-Siège, à l’issue de la rencontre de lundi s’est
dit déterminé à soutenir toutes les confessions religieuses et les communautés en
Syrie pour qu’elles trouvent une nouvelle entente. Comment l’Église entend-elle agir
? Les chrétiens ont une responsabilité particulière pour les jeunes, la formation
de la jeunesse. Et leur souci du dialogue sera très important aussi pour la reconstitution
des institutions démocratiques. Ils sont vraiment actifs. Au niveau de la population,
je ne crois pas qu’il y ait de très grandes difficultés. La guerre sème la division
mais historiquement, entre les chrétiens et les musulmans en Syrie, à part quelques
graves épisodes, il y avait une très bonne entente, surtout ces dernières années.
Donc, il faut retrouver cette convivialité.
Parmi les participants à cette
rencontre sur la Syrie : des personnes qui œuvrent sur place, des représentants de
l’Église, il y avait notamment Mgr Audo d’Alep. Quels sont les témoignages que vous
avez pu recueillir ? Les témoignages sont ceux que nous connaissons. Quand
on entend, dans la bouche même de ces personnes qui ont frôlé la mort et la barbarie,
quelquefois, c’est toujours très émouvant.
Que retiendrez-vous de cette
rencontre de ce lundi 13 janvier ? Ce que je retiendrai, c’est le climat dans
lequel on a parlé parce que rarement, j’ai vu autant d’amitié et de confiance mutuelle,
c’était très beau ! Et je dirai, des gens de très grande qualité, ce sont de grands
spécialistes mais avec un souci de servir l’humanité, de servir la cause de la paix
de manière désintéressée et très profonde. Cela prouve que malgré les conflits, malgré
les divisions, il est toujours très important de continuer ce chemin de la négociation
et du dialogue. »
Photo : le président du Conseil pontifical pour le
dialogue interreligieux, le cardinal Jean-Louis Tauran