La « banalité du mal » selon le père Georges Vandenbeusch, ancien otage
(RV) Entretien- Il arrive au terme de son marathon médiatique, heureux d’être
de retour parmi les siens, famille et amis, mais aussi paroissiens du diocèse de Nanterre.
Heureux mais surtout impatient que le tourbillon des médias s’achève et qu’il revienne
à son « métier de prêtre », comme il dit. Le pèreGeorges Vandenbeusch,
rentré le 31 décembre en France après sept semaines de captivité aux mains de la secte
islamiste Boko Haram nous a accordé un entretien où il revient avec sobriété sur cette
épreuve.
L’occasion de parler notamment de la banalité du mal, qu’il a particulièrement
ressentie chez ses ravisseurs, mais aussi de la force de la prière qui lui a apporté
la paix malgré la captivité. Des propos recueillis
par Olivier Bonnel
J’aurais bien parlé avec eux. On a pu une seule fois, avec
l’un d’entre eux, dans un mauvais anglais, parler cinq-dix minutes et nous dire pourquoi
ils faisaient cela, leur cause, etc…Il était assez maladroit dans son anglais, ce
n’était pas facile. Et moi, j’aurais bien parlé avec eux en fait, je les aurai bien
interrogé, je les aurai bien mis en cause. Voilà, parce que leur joie quand ils montent
des opérations, qu’il y a des morts, ça ne va pas. Je ne comprends pas comment le
mépris qu’ils peuvent avoir des autres habitants de leur coin qui ne sont pas musulmans,
ce mépris de la vie puisque c’est quand même Dieu qui nous a créé et ils ont la même
foi en un Dieu créateur. Comment penser que Dieu ait crée des gens et des humains,
des vies d’hommes qui n’ont aucune importance. Moi, ça me dépasse. Et j’aurai voulu
leur dire cela. Essayer de leur dire que je prie pour eux de temps en temps, des choses
comme cela. C’est très dur de communiquer.
Avez-vous pu quand même percer
le mystère de ces gens-là, malgré cette impossibilité de communiquer ? Malheureusement,
non. C’est très énigmatique. Je n’ai qu’une image en tête : c’était les lectures d’Hannah
Arendt, le procès d’Eichmann à Jérusalem. Je pensais à la même chose, c’est-à-dire
à la banalité du mal. Ceux qui m’ont enlevé, des petits gars extrêmement sympas, des
gars qu’on pourrait voir partout dans le monde, des jeunes comme beaucoup d’autres.
Mais voilà, eux sont sympas avec moi mais prêts à tuer des tas de gens, ça, c’est
très énigmatique. Ça, je n’arrive pas à comprendre. Et puis, ce ne sont pas des diables,
ce ne sont pas des gens avec des dents crochues, le visage haineux, des griffes. Ce
sont des petits gars comme ceux de chez moi. Il y a une certaine forme de banalité
finalement de ces gens-là, qu’on peut présenter dans les médias sous un autre visage,
c’est ça que vous nous dites ? C’est ça, oui. Ils ne sont pas terrorisants, ils
sont comme n’importe quel jeune. Dans nos têtes, ils prennent toujours cette idée
que ce sont des monstres. On emploie le mot mais en fait la monstruosité est tellement
plus complexe, tellement invisible. Je dis ça sans aucun syndrome de Stockholm. Mais
c’est ça, la réalité du mal partout. C’est ça qui doit aussi nous rendre vigilant.
Je le dis comme cela, comme un appel à la vigilance, à l’attention parce, du coup,
on pourrait croire que si le mal est monstrueux, on serait le reconnaître, le voir
et s’en préserver. Et bien non !
Votre esprit missionnaire reste malgré
tout le même ? Tout à fait. De toute façon, je ne suis pas parti pour être
missionnaire parce que la mission, elle existe ici aussi. Je suis très conscient que
dans les Hautes Seines, l’évangélisation, la mission, elle existe aussi et elle est
à vivre au présent. Donc, je ne suis pas parti pour être missionnaire là-bas parce
qu’il n’y a rien à faire ici. La mission existe là-bas et elle existe ici. Je suis
vraiment parti pour fêter l’Épiphanie parce que l’Église, elle a cette dimension universelle
et que s’il y a des prêtres étrangers, c’est important de vivre un échange entre Églises
locales. Je le voyais comme cela, vivre un échange mutuel entre Églises locales.
Vous avez évoqué l’Épiphanie, Père Georges. Ce dimanche, la quête de l’Épiphanie,
en France en tout cas, est destinée justement aux Églises d’Afrique. J’imagine que
c’est quelque chose qui est très important pour vous ? Oui, tout à fait. C’est
un peu providentiel que ma première messe pour mon retour, ma première messe du dimanche,
ce soit l’Épiphanie. Même dix minutes avant la messe, je n’avais pas mesuré l’aspect
providentiel de cela : les horizons d’aujourd’hui, cette dimension et cette quête
pour les Églises d’Afrique. En plus, je comprends mieux sa pertinence. Ce n’est plus
une idée, c’est un boulot à faire de prendre un peu d’argent pour cela. Voilà, je
vois le visage de l’Église d’Afrique, c’est un bien grand mot, mais le visage du diocèse
de Maroua-Mokola, pour lequel ça serait une grande aide.
Vous y êtes souvent
revenu mais la force de la prière, la prière que vous avez senti autour de vous vous
portez. En quoi la prière vous a-t-elle aidé à surmonter cette épreuve, Père Georges
? Je pourrais même préciser, surtout la prière du soir parce qu’il y a comme
des moments, je pense le matin et surtout l’après-midi où je n’y arrivais pas. Les
deux ont coexisté, c’est-à-dire des moments de prière avec beaucoup de grâce et des
moments d’une banalité affligeante, très décevante et des moments même où ça ne venait
pas, j’étais là, impossible de fixer mon esprit qui partait toujours ailleurs. Pas
toujours si évident que cela, quand même. Et le soir, c’est vrai qu’en soirée, où
je priais le chapelet, j’inventais des tas de nouveaux mystères, je pensais à des
tas de passage de l’Évangile et puis je priais le chapelet. Et puis, le coucher du
soleil et la paix m’était donnée mystérieusement parce que parfois, je pouvais être
un peu agité, un peu fiévreux avant et voilà, cette paix m’était offerte. Et je veux
bien y voir la patte de Dieu. Et le signe aussi de toutes les prières dont j’étais
quand même un petit peu sûr qu’au moins quelques-uns aller prier pour moi et je l’ai
bien vérifié depuis. Cette paix qu’ils m’ont offert là-bas, ce n’est pas leurs prières
qui m’ont libéré parce que sinon, il suffirait de prier pour que les autres soient
libérés. C’est évident plus compliqué que cela. Mais en tout cas, la prière m’a offert
cette paix, a permis que Dieu me comble de paix pour pouvoir affronter ces jours-là.
Maintenant
que vous êtes de retour en France, à quoi aspirez-vous ? Mon avenir, cette
après-midi, c’est de manger la galette. Je ne vois pas forcément beaucoup plus loin.
Un, deux ou trois, attention, je sers plusieurs familles. Depuis que je suis revenu,
mon agenda est dicté par cet évènement-là. Voilà, j’aspire maintenant à me tourner
vers l’avenir, à ne plus être un ex-otage, a être le Père Georges. D’abord Georges,
parce que je vais un petit peu voir la famille et les amis. Un petit mois de répit
m’est accordé. Et puis, dès le début février, je pense refaire le beau métier de prêtre
dans le diocèse de Nanterre.
Photo: le père Vandenbeusch à son arrivée
à l'aéroport de Villacoublay, le 1er janvier.