Le Soudan du Sud blessé par la rivalité de deux hommes
(RV) Entretien - Les intenses combats entre factions de l'armée sud-soudanaise
à Juba ont fait cette semaine entre 400 et 500 victimes, et 800 blessés. Le gouvernement
sud-soudanais a de son côté simplement évoqué 73 soldats tués. Selon le secrétaire
général adjoint au maintien de la Paix de l'ONU, Hervé Ladsous, entre 15 000 et 20
000 civils ont en outre trouvé refuge dans les bases de l'ONU à Juba.
L'ancien
vice-président Riek Machar, en fuite et s'exprimant pour la première fois mercredi,
a nié l'existence d'une tentative de coup d'Etat dont l'accusent les autorités pour
expliquer le déclenchement des combats. Il s’agit pour lui d’un « prétexte du président
Salva Kiir pour se débarrasser de ses rivaux ». « Il n'y a pas eu de coup d'Etat.
Ce qui s'est passé à Juba est un malentendu entre membres de la garde présidentielle,
au sein de leur unité » rétorque-t-il. Au-delà de la confusion qui règne à Juba,
ces affrontements ont lieu dans un jeune État encore très fragile, comme l’a expliqué
à Xavier Sartre, Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique à l’Iris
Salva Kiir et
Riek Machar sont d’anciens rebelles sudistes. Mais aussi deux rivaux. Le premier,
président, a limogé en juillet le second, vice-président. Christian Delmet, spécialiste
du Soudan, chercheur au Centre d’études des mondes africains, a expliqué à Audrey
Radondy que ces affrontements sont certes une lutte d’hommes, mais pas seulement :
Pourquoi avoir
écarter Riek Machar ? « Parce qu’on pense aux élections de 2015 que Salvar Kiir
voudrait bien affronter seul, dans le confort absolu », répond le chercheur. «
Il s’agit d’une conjoncture politique sur la façon de gouverner le pays et de réformer
le parti qui a amené ces gens à ne plus être tout à fait d’accord. »
Trois
jours après le début des violences, beaucoup de questions demeurent, comment les résume
Christian Delmet : « s’agit-il de combats ethniques ? D’un mécontentement envers
le gouvernement ? De provocations ou de mesures préventives pour éliminer définitivement
les opposants éventuels à l’intérieur du parti, du gouvernement du sud ? »
«
Tous les anciens leaders de l’ancien gouvernement sont maintenant pourchassés ou recherchés,
précise-t-il encore. Coup d’état ou pas, le prétexte du coup d’État est réel. On
liquide, on fait le ménage pour être tranquille pour les élections de 2015. »
Rivalités
historiques
Riek Machar figure avec quatre autre figures politiques du
pays sur une liste officielle de personnes recherchées. Dix hautes personnalités ont
été arrêtées, selon le gouvernement, dont huit anciens ministres du cabinet limogés
en juillet, en même temps que Riek Machar, par le président Kiir. La plupart des suspects
sont des poids lourds du parti au pouvoir, le Mouvement populaire de libération du
Soudan (SPLM), et des figures historiques de la rébellion sudiste ayant combattu les
forces de Khartoum durant la longue guerre civile soudanaise (1983-2005).
Toujours
officiellement vice-président du SPLM, Riek Machar était en opposition ouverte à Salva
Kiir au sein du parti, ex-branche politique de la rébellion. « Ce que nous voulions
était transformer démocratiquement le SPLM. Mais Salva Kiir a voulu utiliser la prétendue
tentative de coup d'Etat pour se débarrasser de nous pour contrôler le gouvernement
et le SPLM », a expliqué Riek Machar au Sudan Tribune.
La rivalité
entre Kiir et Machar plonge ses racines dans les décennies de guerre civile au sein
de la rébellion sudiste. En 1991, Riek Machar avait tenté, en vain, de renverser la
direction historique de l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), dont Salva
Kiir était l'un des hauts responsables. La rébellion s'était alors fracturée sur des
bases ethniques et Riek Machar avait fait défection, ralliant même un temps ses troupes
à Khartoum contre la SPLA, qu'il avait finalement réintégrée au début des années 2000.
(Avec AFP)
Photo : des réfugiés sud-soudanais au sein de l'ONU,
à Juba