Entretien exclusif - Le cardinal Marc Ouellet revient sur l'année écoulée au Vatican
(RV) Entretien - L’Eglise est vivante, elle est capable non seulement de se
renouveler mais également de surprendre. Elle l’a prouvé en cette année 2013 où les
évènements marquants et inattendus n’ont pas manqué. Il y a tout d'abord eu la renonciation
du Pape Benoît XVI, le 11 février, un évènement historique et déterminant. Puis l’élection
de son successeur.
Défiant tous les pronostics, c’est le cardinal argentin
Jorge Mario Bergoglio qui, le 13 mars, est apparu à la loggia de la basilique Saint-Pierre.
Un pape venu « du bout du monde » qui, là aussi fait inédit, a choisi le nom de François.
Le cardinal Marc Ouellet, l’un des très proches collaborateurs de Benoît
XVI, et qui vient d’être confirmé par le Pape François au poste de préfet de la Congrégation
pour les évêques, nous livre sa vision de l’année écoulée et nous confie quelques
clés de ce nouveau pontificat.
Il est interrogé par Hélène Destombes :
Quel a été
le principal événement de cette année écoulée ? La démission du Pape Benoît
XVI a ouvert de grandes possibilités. C’est pourquoi je retiendrai que le grand évènement,
c’est la démission du Pape, un geste vraiment nouveau. C’est la plus grande nouveauté
dans l’histoire de l’Église qui témoigne d’une grande humilité et aussi d’une confiance
en l’Esprit Saint pour la suite des choses. On doit être très reconnaissant au Pape
Benoît XVI d’avoir ouvert cet horizon et d’avoir rendu possible toute la nouveauté
du Pape François.
Je crois qu’il y a une continuité entre la première nouveauté
et toutes celles que le Pape François a inaugurées. Quand je regarde l’année 2013,
je vois que nous sommes vraiment en présence d’un grand tournant dans l’histoire de
l’Église que je qualifierais de pastoral en regardant la figure du Pape François.
Comment s’opère ce tournant ? Il a pris le nom de François, ce
qui est un choix qui indique une réforme, mais une réforme par la sainteté, une réforme
pas d’abord par des idées, mais par des gestes, des attitudes, des vertus et par une
proximité au peuple de Dieu. La grande intention du Concile Vatican II a été l’aggiornamento
de l’Église, le changement d’attitude de l’Église pour la pastorale du monde moderne.
Je vois cela réalisé chez le Pape François qui ouvre comme un nouveau chapitre dans
la réalisation du Concile Vatican II, dans ce que j’appellerai ce grand tournant pastoral.
On le voit dans sa manière d’exercer le ministère pétrinien, il l’exerce vraiment
d’une façon épiscopale, d’une façon pastorale.
La réforme réside dans cette
manière de vivre l’Évangile, d’être chrétien ? Je crois que c’est tout d’abord
l’attitude-même du Pape François ; cette volonté d’établir un contact neuf, plus proche
avec le peuple de Dieu. La première réforme, elle est là : aller au-delà de toutes
les formes, de tous les protocoles pour établir vraiment un contact immédiat. En faisant
cela, il donne aussi à tous les évêques un modèle de proximité pastorale, de recherche
d’une présence pastorale qui soit chaleureuse, qui soit aussi miséricordieuse, qui
apporte consolation et qui donne une nouvelle espérance.
Il y a là, dans l’attitude
et dans les gestes du Pape François, une nouveauté et une promesse. Je crois aussi,
plus largement, dans ce grand tournant pastoral, qu’il y a une volonté de promouvoir
le dialogue et la participation. Je pense aux épiscopats, aux conférences épiscopales,
aux différents conseils, même le collège des cardinaux. Il y a vraiment chez le Pape
François un désir d’une nouvelle saison de participation et de dialogue à l’intérieur
de l’Église et aussi, par rapport à toutes les autres réalités religieuses. Mais j’ajouterai
que ce qui me semble très important dans l’année 2013, c’est la percée du Pape François
dans l’opinion publique mondiale. Ça, c’est un évènement extraordinaire d’évangélisation.
Il
a d’ailleurs été élu personne de l’année par le magazine américain Time... Exactement,
c’est un signe de cette influence, de ce besoin d’espérance qu’il y a dans l’humanité
et qui a trouvé dans la figure du Pape François comme un point de référence. C’est
une grande nouvelle, c’est une bonne nouvelle ! Je crois que nous devons tous nous
en réjouir.
Depuis le début de son pontificat, il y a un véritable lien
qui s’est créé avec les fidèles, un lien d’amour, peut-on même dire, un intérêt.
Y a-t-il ce même intérêt au sein de l’Église, au sein de la Curie ? Comment est perçu
son message et cette attitude surprenante ? Je crois qu’il y a beaucoup de
joie à constater la popularité du Pape. C’est une bonne popularité qui n’est pas simplement
basée sur des choses superficielles. J’ai entendu beaucoup de commentaires, même de
gens qui pourraient être surpris de certaines initiatives du Pape, mais qui se réjouissent
de cette percée dans l’opinion publique, de cet accueil de la part du peuple de Dieu.
Evidemment, cela nous questionne et cela nous oblige aussi à des transformations
de comportement. Le Saint-Père veut la réforme d’une certaine mentalité cléricale
avec des ambitions ecclésiastiques ou des ambitions mondaines. Il combat ce carriérisme.
Je crois que cela fait beaucoup de bien à tous les niveaux dans l’Église, en commençant
par la Curie romaine. Nous sommes vraiment dans un moment de bénédiction et j’espère
que le Saint-Esprit va lui donner la santé et la collaboration dont il a besoin pour
porter en avant la réforme de l’Église et la nouvelle évangélisation.
Cette
année 2013 a été, pour vous, marquée par ce passage du pontificat de Benoît XVI. Vous
étiez l’un de ses très proches collaborateurs. Vous êtes aujourd’hui aux côtés du
Pape François. Comment avez-vous vécu ce passage ? Comment êtes-vous en train de vivre
ce changement, même s’il y a une continuité ? L’adaptation a été relativement
facile. La simplicité du Pape François et le fait que je le connaissais auparavant-
nous étions des amis - rend notre collaboration hebdomadaire simple. Elle se fait
en toute harmonie. C’est une joie pour moi de collaborer avec lui, de l’appuyer au
maximum.
Je suis dans l’admiration de ces gestes et de cette capacité de susciter
l’enthousiasme, l’accueil, la bienveillance de la part de beaucoup de personnes et
de beaucoup de gens qui sont éloignés ou étrangers à l’Église. J’y vois vraiment un
signe des temps. L’humanité a aussi besoin d’une figure paternelle, d’une figure qui
soit proche et en même temps, qui soit une référence morale sûre mais qui soit chaleureuse
et qui éveille l’espérance.
L’actualité vaticane de cette année 2013 a
été particulièrement riche. Elle l’a été également au niveau international. Quels
sont selon vous les dossiers les plus importants sur lesquels le Saint-Siège a pu
avoir une influence, auquel il a pu être le plus sensible ? Un des points les
plus importants a été la grande convocation de prière et de jeûne pour la paix en
Syrie et au Moyen-Orient. Je crois que cette initiative a fait une grande différence,
même au plan de la politique mondiale. Il faut retenir cela pour que l’Église continue
à être avocate de la paix dans le monde. Le beau témoignage qu’ont donné les papes
Benoît XVI et François autour de l’encyclique Lumen Fidei est certainement
un autre moment fort. L’Exhortation apostolique que le Saint-Père François vient de
publier, qui donne vraiment le programme de son pontificat, retient aussi notre attention.
Mais certainement que le dialogue et la participation que le Pape souhaite
autour des questions anthropologiques, des questions du mariage et de la famille est
à l’intérieur de l’Église en particulier un point chaud, un point très important qui
va polariser l’attention dans les deux prochaines années. Là, il y a beaucoup de travail
à faire.
On l’a vu notamment en France avec le mariage pour tous. Exactement,
il y a comme une attente. Et des attentes sont créées. Il faudra vraiment faire une
synthèse entre la tradition de l’Église et les nouvelles situations qui se sont créées
depuis quelques décennies et qui demandent une attention pastorale renouvelée.