Le Pape François se livre dans un nouvel entretien
(RV) Le Pape François nous a offert ce dimanche un nouvel entretien surprise avec
un journaliste, Andrea Tornielli, dans les colonnes du quotidien italien La Stampa.
Le Pape y aborde tour à tour le sens de la fête de Noël, le futur voyage en Terre
Sainte, les enfants malades et la faim dans le monde, le marxisme, l’unité des chrétiens,
la réforme de la papauté et la Curie, le cardinalat des femmes, la transparence financière
du Vatican, mais aussi les divorcés remariés.
Le compte-rendu de Bernard
Decottignies
«
Nous ne pouvons penser à Noël sans penser à la Terre Sainte » , déclare le
Pape. « Il y a 50 ans Paul VI a eu le courage de sortir pour se rendre là et c’est
ainsi que commença l’époque des voyages des Papes. Moi aussi je désire m’y rendre
» Et d’ajouter : « Nous nous y préparons ». Le Pape confirme aussi son
« désir de rencontrer mon frère Bartholomée, patriarche de Constantinople, pour
commémorer avec lui cet anniversaire en renouvelant l’étreinte entre Paul VI et Athénagoras
de 1964 à Jérusalem ». Le Pape précise que « Noël nous fait toujours penser
à Bethléem et que Bethléem se trouve à un endroit précis, la Terre Sainte, où a vécu
Jésus. » « Durant la nuit de Noël, je pense surtout aux chrétiens qui vivent
là, à ceux qui sont dans la difficulté, à tous ceux qui ont été contraints pour divers
problèmes à quitter cette terre. Mais Bethléem continue d’être Bethléem : Dieu est
venu à un endroit précis, sur une terre précise ; c’est là qu’est apparue la tendresse
de Dieu, la grâce de Dieu ».
Le Pape François marxiste ?
Le
Pape François, interrogé par Andrea Tornielli, assure qu’il « ne s’est pas senti
offensé » par l’accusation lancée dans les milieux ultra-conservateurs du Tea
party américain. Mais il tient à préciser : « L’idéologie marxiste est erronée
», même si « dans ma vie j’ai connu beaucoup de marxistes très bien, en tant que
personnes ».
Quant aux paroles fortes exprimées dans son Exhortation apostolique
Evangelii Gaudium contre «l’économie qui tue », le Pape rappelle que « dans
l’Exhortation ne se trouve rien qui ne se retrouve dans la doctrine sociale de l’Eglise.
» « Je n’ai pas parlé d’un point de vue technique, j’ai cherché de présenter une
photographie de ce qui arrive ». François fait remarquer que son unique « citation
spécifique concerne les théories de la ‘retombée favorable’, selon lesquelles tout
croissance économique favorisée par le libre marché réussit à produire de par elle-même
une plus grande équité et moins d’exclusion sociale dans le monde. Il y avait la promesse
que lorsque le verre serait à moitié plein, il aurait débordé et les pauvres en auraient
bénéficié ». « Malheureusement, souligne le Pape François, quand le
verre est plein, comme par enchantement il s’agrandit et de la sorte il n’en sort
jamais rien pour les pauvres…Je le répète : je n’ai pas parlé en expert, mais selon
la doctrine sociale de l’Eglise. Et cela, a ajouté le Pape, ne signifie pas être marxiste.
»
Eglise et politique
« Le rapport entre l’Eglise et la politique
doit être tout à la fois parallèle et convergent ». Et il explique : « Parallèle,
parce que chacun a sa route et ses diverses tâches. Convergent, seulement dans le
fait d’aider le peuple ». « En effet, souligne le Pape François, quand
les rapports convergent sans le peuple ou en se moquant du peuple, alors commence
cette union avec le pouvoir politique qui finit par pourrir l’Eglise : les affaires,
les compromis… Il faut procéder parallèlement, chacun avec sa propre méthode, ses
taches particulières, sa propre vocation. Convergents, seulement dans le bien commun
». Pour le reste, le Pape François souligne que « la politique est noble, que
c’est l’une des formes plus hautes de la charité. Nous la salissons quand nous l’utilisons
pour faire des affaires. Et la relation entre l’Eglise et le pouvoir politique peut
être corrompue, si elle ne converge pas seulement dans le bien commun ».
Réformes
financières et structurelles
« Les commissions mises en place sont en
train de bien travailler. Moneyval a établi un rapport favorable à notre égard, nous
sommes sur la bonne voie ». Le Pape ajoute : « Sur l’avenir de l’IOR, Institut
pour les Œuvres de Religion, on verra. Par exemple, la ‘banque centrale ‘ du Vatican
serait l’Apsa. L’IOR a été institué pour aider les œuvres de religion, les missions,
les Eglises pauvres. Par la suite c’est devenu ce que c’est aujourd’hui ».
Cardinalat
pour les femmes et réforme de la Curie
Le Pape François, dans le même entretien,
aborde la question du cardinalat pour les femmes, « une affaire qui sort de je
ne sais où », déclare-t-il, « les femmes dans l’Eglise doivent être valorisées,
et non pas cléricalisées ». « Et ceux qui pensent au cardinalat pour les femmes
souffrent un peu de cléricalisme ». Le Pape parle aussi du Conseil des huit cardinaux.
« Le travail, explique-t-il, est long. Qui voulait avancer des propositions
ou envoyer des idées l’a fait. Le Cardinal Bertello a recueilli les avis de tous les
dicastères du Vatican. Nous avons reçu des suggestions des évêques du monde entier.
Durant la dernière réunion, les huit cardinaux ont dit que nous sommes arrivés au
moment où il nous faut faire des propositions concrètes, et lors de la prochaine rencontre,
en février, ils me remettront les premières suggestions. Je suis toujours présent
aux rencontres, sauf le matin du mercredi à cause de l’Audience générale. Mais je
ne parle pas, j’écoute seulement, et cela me fait du bien ». Le Pape François
révèle alors qu’un cardinal âgé lui a déclaré : « La réforme de la Curie vous l’avez
déjà commencée avec la messe quotidienne à Sainte Marthe ». « Et cela m’a fait
penser que toute réforme commence toujours par des initiatives spirituelles et pastorales
avant tout changement structurel ».
Les divorcés remariés
«
L’exclusion de la communion pour les divorcés qui vivent une seconde union n’est
pas une sanction. Il faut le rappeler », tient à souligner le Pape François à
la question du journaliste sur les attentes à ce sujet. Ajoutant : « ce thème je
n’en ai pas parlé dans l’Exhortation ». Et le Pape ajoute : « La synodalité
dans l’Eglise est importante : et du mariage dans son ensemble nous discuterons lors
des réunions du consistoire en février. Ensuite le thème sera affronté durant le Synode
extraordinaire d’octobre 2014, et encore durant le Synode ordinaire de l’année suivante.
Dans ces instances, de nombreux thèmes seront approfondis et éclaircis. »
Le
Pape admet la nécessité que sur des thèmes aussi délicats la prudence reste de mise,
mais il explique que « ce ne doit pas être une attitude paralysante, mais une vertu
qui gouverne. La prudence est une vertu pour gouverner. L’audace aussi. L’on doit
gouverner avec audace et prudence. J’ai parlé, souligne François dans l’entretien,
du baptême et de la communion comme nourriture spirituelle pour aller de l’avant,
à considérer comme un remède et non pas comme une récompense. Certains ont aussitôt
pensé aux sacrements pour les divorcés remariés, mais moi je ne descends pas jusqu’aux
cas particuliers : je voulais seulement indiquer un principe. Nous devons chercher
de faciliter la foi des personnes et non pas la contrôler ». « L’année passée
en Argentine, confie le Pape, j’avais dénoncé l’attitude de certains prêtres
qui ne baptisaient pas les enfants de filles mères. C’est une mentalité malade
».
La souffrance des enfants « Pourquoi les enfants souffrent-ils
? Il n’y a pas d’explication ». « Un maitre de vie, confie le Pape,
a été Dostoiewski, et sa question, explicite et implicite, m’a toujours habité : ‘Pourquoi
?’. A un enfant qui souffre et a peur, plus que des explications il faut le regard
de son père qui le rassure. Devant un enfant souffrant, l’unique prière qui me vient
c’est la prière du ‘pourquoi’. Seigneur pourquoi ? Lui ne m’explique rien. Mais je
sens qu’il me regarde. Et donc je peux dire: Tu sais le pourquoi, moi je ne le sais
pas et Toi tu ne me le dis pas, mais tu me regardes et moi j’ai confiance en Toi,
Seigneur, j’ai confiance dans ton regard. »
Priorité à l'oecuménisme
«
Au cours de ces premiers neuf mois, j’ai eu la visite de tant de frères orthodoxes.
(…) Je me sens leurs frères. (…) C’est une douleur de ne pas pouvoir célébrer encore
l’eucharistie ensemble mais l’amitié est là. Je crois que c’est la voie : amitié,
travail en commun et prière pour l’unité ». « Pour moi, l’œcuménisme est
prioritaire. Aujourd’hui, il existe un œcuménisme de sang. Dans les pays où l’on tue
des chrétiens parce qu’ils portent une croix ou ont une Bible, les tueurs ne leur
demandent pas s’ils sont anglicans, luthériens, catholiques ou orthodoxes. Leur sang
est mélangé. Pour ceux qui tuent, ils sont chrétiens (…). Ceci est l’œcuménisme du
sang. Il existe aujourd’hui, il suffit de lire les journaux. »