Corée du Nord : la justice expéditive de Kim Jong-un
(RV)-Entretien- Le régime nord-coréen a organisé un vaste rassemblement public
mardi 17 décembre, diffusé en direct à la télévision, pour commémorer la mort de l'ancien
dirigeant, occasion d'afficher la loyauté envers son fils et successeur Kim Jong-un.
La cérémonie s'est déroulée quelques jours après l'arrestation, le procès express
puis l'exécution de Jang Song-Thaek, l'oncle de Kim Jong-un, qui a guidé les premiers
pas de son neveu à la tête du pays. Lors de son procès, il a reconnu avoir essayé
d’attiser les plaintes du peuple et de l’armée contre l’échec du régime actuel à gérer
la situation économique et les moyens de subsistance de la population.
La
rapidité de la purge de la part du jeune dirigeant nord-coréen laisse donc perplexes
la plupart des commentateurs. Quels messages faut-il voir derrière cette exécution
? La réponse de Pascal Dayez-Burgeon, directeur adjoint de l’institut des Sciences
de la Communication du CNRS Propos
recueillis par Audrey Radondy
Quel message faut-il voir derrière cette exécution?
Une affaire tragique mais c'est un message à l’égard de la Chine. L’oncle
de Kim Jong-un, Monsieur Jang Song-Thaek, était extrêmement lié au pouvoir chinois,
proche de l’ancien leader chinois et favorable à une ouverture économique à la chinoise,
ce qui risquerait de déstabiliser le nord, et donc le nouveau leader ne veut pas en
entendre parler. D’autre part, c’est aussi quelqu’un qui était visiblement très corrompu,
qui s’était beaucoup enrichi donc c’est un signe à envoyer aussi aux nouveaux capitalistes
de Corée du Nord : « n’exagérons pas trop, ne nous transformons pas en un régime
totalement à la chinoise ».
Et puis enfin, c’est une affaire de famille
parce que l’oncle est l’époux de la tante de Kim Jong-un, c’est-à-dire la sœur de
Kim Jong-Il. Celle-ci est en train de mourir, c’est une question de jours. Elle a
un cancer du foie. Et elle-même a sans doute été d’accord pour qu’on exécute son mari
avec lequel elle est brouillée et séparée depuis le suicide de leur fille parce qu’elle
est en fait le véritable, non pas leader, mais l’âme de la dynastie et elle ne supportait
plus les dérives, les excès de son époux.
Est-ce qu’on peut parler d’une
purge familiale ? Familiale, oui puisque c’était un oncle. La famille Kim
qui est au pouvoir en fait, c’est une famille royale, c’est-à-dire que chaque membre
de la famille a des clans, des intérêts particuliers. Donc ,derrière un oncle, c’est-à-dire
l’époux d’une tante maternelle, on élimine aussi toute une série d’opposants politiques.
Et notamment, il semblerait que Monsieur Jang Song-Thaek était très proche de Kim
Jong-Nam, c’est-à-dire le fils ainé de Kim Jong-Il, celui qui n’a pas succédé et qui
vit actuellement à Macao et qui est l’ennemi juré de son petit frère qui est au pouvoir.
On dit d’ailleurs que Kim Jong-Nam risquerait de devoir se réfugier aux États-Unis
pour échapper à la vindicte de son frère cadet.
Qu’est-ce que cette exécution
nous apprend sur la personnalité de Kim Jong-un ? Visiblement il n’est pas
aussi faible qu’on l’imaginait. On y voyait une sorte de prince qui régnait et derrière
lui, un conseil de régence composé de généraux et notamment de Monsieur Jang Song-Thaek.
Il a éliminé à l’été 2012, le principal maréchal qui le contrôlait, qui était le maréchal
Ri Yong-Ho et puis maintenant, il élimine son oncle qui était le régent économique.
Donc, il prend véritablement le pouvoir en éliminant ceux qui pourraient y faire obstacle.
Et
quelles vont être alors les conséquences de cette exécution sur le régime nord-coréen
? D’une part, on élimine la vieille garde, ce qui pour la jeune génération
est plutôt encourageant. D’autre part, cela montre bien que le leader est aux commandes
et qu’il ne s’agit plus maintenant de discuter le pouvoir de Kim Jong-un. Et puis,
ça montre aussi à la Chine que certes la Corée du Nord est très liée à la Chine mais
que néanmoins, ce pays garde son autonomie et fait ce qu’il veut. Jang Song-Thaek
s’était entretenu à titre personnel avec le dirigeant chinois il y a un an et demi
et puis maintenant, on l’exécute. Donc, ça montre bien qu’on n'est pas protégé même
si on a de hautes connections en Chine. D’ailleurs, Pékin a très mal réagi à cette
exécution. La Corée du Sud observe et au fond, n’a pas d’intérêt dans la chose. Mais
Pékin a très mal réagi.
Est-ce que Séoul doit aussi voir un message dans
cette exécution, puisque la Corée du Sud a exprimé sa profonde inquiétude à propos
de ces développements récents ? Tout ce qui se passe en Corée du Nord, par
définition. La Corée du Sud ne peut que dire qu’elle est très inquiète, d’autant qu’actuellement
la situation de la présidente de la Corée du Sud n’est pas extraordinaire et donc
elle a tout intérêt à dire que la Corée du Nord est dans une situation très inquiétante,
comme ça, ça la dédouane. Mais au-delà de ça, l’impact que peut avoir cette exécution
pour la Corée du Sud est assez réduit dans la mesure où les affaires continueront
dans la zone économique de Kaesong, avec ou sans Jang Song-Thaek. En fait, c’est lui
qui en tirait le plus de profit, tout allait dans sa poche. Donc maintenant, les profits
que la Corée du Nord tirent de cette zone économique, située à la frontière entre
le nord et le sud iront dans la poche de toute une série de dirigeants et pas comme
avant, uniquement dans celle de Jang Song-Thaek.
Et est-ce que dans les
prochaines semaines, les prochains mois, on peut s’attendre à d’autres exécutions
? On peut toujours s’attendre à tout de la Corée Nord et c’est justement le
fait que ce régime soit imprévisible, qu’il en est devenu sa marque de fabrique. On
a parlé il y a quelques semaines d’une quarantaine d’exécutions sur la Côte est. Il
est certain qu’actuellement, le leader est en train d’éliminer tous ceux qui pourraient
porter ombrage à son pouvoir. Et on peut faire des comparaisons avec ce qui s’est
passé entre 1994 et 1997, pendant les trois années où Kim Jong-Il a pris le pouvoir
après la mort de son père, où il y avait eu toute une série d’éliminations, d’accidents
de voiture opportuns, de gens qui disparaissaient ou de gens qui se sont enfuis, c’est
à peu près la même chose. On est dans une période de transition où le nouveau leader
essaye de s’imposer au pouvoir en éliminant tous ceux qui peuvent être des obstacles
potentiels.
Photo: Jan Song Thaek, quelques heures avant son exécution.