(RV) Entretien- 10 décembre, jour anniversaire de la mort d’Alfred Nobel. Comme
chaque année, les différents lauréats vont recevoir aujourd’hui à Oslo, en Norvège,
le prix du même nom.
Cette année, le prix Nobel de la paix a été décerné à
l’OIAC, l’Organisation internationale pour l’interdiction des armes chimiques. C’est
elle qui supervise actuellement le démantèlement de l'arsenal de la Syrie de Bachar
al-Assad. L’OIAC va recevoir un chèque de 900 000 euros et compte créer sa propre
récompense avec cette somme.
Souvent décrié comme politique, le prix Nobel
confirme au contraire l’ambition initiale d’Alfred Nobel : construire la paix mondiale.
Ce dernier prix Nobel de la paix rentre donc bien dans sa ligne centenaire d’Alfred
Nobel, selon Antoine Jacob, journaliste, auteur en 2012 d’Histoire du prix
Nobel, aux éditions François Bourin Editeur
Josépha Laroche,
professeur à la Sorbonne à Paris et directrice de l’organisation Chaos international,
interrogé par Antonino Galofaro, nous livre la même analyse:
Le prix
Nobel est-il politique ? L’institution du Nobel fait irruption depuis quelques
années, d’une façon assez fracassante, sur la scène mondiale, où elle infléchit, elle
tente d’infléchir la diplomatie des États. Elle se saisit d’une fenêtre d’opportunité,
que ce soit avec Obama qui venait à peine d’être élu ou que ce soit avec l’Union européenne
qui est en difficultés depuis quelques années. Nous avons à faire à une diplomatie
qui est non-étatique, qui est particulièrement innovante et de plus en plus interventionniste
d’année en année. Et une diplomatie qui est une diplomatie d’ingérence dans les affaires
des États. On entend dire « un tel ne méritait pas le prix….Obama ne méritait pas
le prix. » Il venait à peine d’être élu mais précisément c’est parce qu’il n’avait
encore rien fait qu’il a reçu le prix. Le prix est maintenant considéré par la fondation
comme une espèce de mandat qui repose sur la tête du récipiendaire. Le récipiendaire
est en quelque sorte mandaté par la fondation, par l’institution Nobel pour réaliser
ceci et cela. Il ne faut pas le voir comme une simple récompense.
C’était
l’ambition d’Alfred Nobel il y a plus de cent ans, ça n’a pas changé ? Alfred
Nobel, c’était un pacifiste qui entendait bien intervenir dans les relations internationales.
Il fréquentait les mouvements pacifistes, il avait beaucoup d’amis parmi les pacifistes
mais il trouvait qu’ils étaient un peu naïfs avec leurs manifestations, leurs pétitions.
Il trouvait ça assez sympathique mais complètement inutile et vain. Et il a voulu
mettre sa fortune au service de ce projet grandiose qui consistait à construire la
paix à travers une institution qui pourrait progressivement, en distribuant ce système
de prix, intervenir dans les grandes affaires internationales. Et de ce point de vue-là,
c’était terriblement novateur à l’époque et ça l’est toujours parce que c’est un système
mondial de gratification financière mais surtout un système de gratification symbolique
parce que le titulaire du prix dispose ensuite d’une notoriété, d’une aura qui le
dépasse. Il va bénéficier en fait d’un transfert de notoriété parce que cette organisation
n’était pas du tout connue du grand public, elle n’était pas du tout médiatisée. Et
le choix de ce prix Nobel fait qu’aujourd’hui, tout le monde va connaître cette organisation
et c’est bien ce qu’ont voulu les membres du comité.
En cent ans, comment
on continue de garder cette aura, comment s’est renouvelé le comité Nobel ? En remettant
des prix, en prenant des risques ? Comment ont-ils fait ? Oui, il y a une
prise de risque, pas tellement pour cette organisation mais j’ai écrit un article
lorsque Obama a reçu le prix et je terminais mon article en disant que c’était une
prise de risque pour l’institution : une prise de risque symbolique et une prise de
risque institutionnelle parce qu’elle parie sur l’avenir. Et le prix c’était en quelques
sorte une injonction à faire mais il y a quand même une prise de risque symbolique
et institutionnelle pour la fondation Nobel parce que si jamais le récipiendaire ne
réalise rien de toutes ses potentialités et que l’institution Nobel multiplie à plusieurs
reprises cette logique, il est certain qu’à la longue, l’institution y perdrait en
crédit. Mais on en est pas là. Pour l’instant, ce que j’observe, c’est que c’est une
diplomatie non-étatique qui monte en puissance d’année en année, qui est très innovante,
qui est très interventionniste, qui s’ingère dans les affaires des États et qui tente
d’infléchir et souvent avec un certain succès.
Photo : Ahmet Uzumcu,
directeur de l'OIAC, l'organisation pour l'interdiction des armes chimiques, lauréate
du prix Nobel de la Paix 2013