Une Exhortation pour retrouver la joie et le souffle de l'Evangile
Evangelii Gaudium, La joie de l’Evangile : c’est le titre de la première exhortation
apostolique du Pape François, sur l'annonce de l'Evangile au monde actuel. Elle a
été remise dimanche à 36 représentants de l’Eglise catholique, lors de la messe conclusive
de l’Année de la Foi. Elle a été officiellement présentée ce mardi en salle de presse
du Saint-Siège. Un texte très personnel de François. Il y dévoile sa conception de
l’évangélisation, ainsi que les lignes directrices de son pontificat.
Compte-rendu
d'Olivier Bonnel
Synthèse
de l'exhortation Evangelii Gaudium :
« La joie de l’Évangile remplit le
cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus» : c’est par ces mots que s’ouvre
l’Exhortation apostolique « Evangelii Gaudium » dans laquelle le Pape François développe
le thème de l’annonce de l’Evangile dans le monde actuel, en se basant, entre autres,
sur la contribution offerte par les travaux du Synode qui s’est déroulé au Vatican
du 7 au 28 octobre 2012 sur le thème « La nouvelle évangélisation pour la transmission
de la foi chrétienne». « Je désire – écrit le Pape - m’adresser aux fidèles chrétiens,
pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer
des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années » (1). Il s’agit d’un
appel vibrant à tous les baptisés afin que, avec une ferveur et un dynamisme nouveaux,
ils portent à leurs prochains l’amour de Jésus dans un « état permanent de mission
» (25), en évitant « le grand risque du monde d’aujourd’hui » : celui de tomber dans
« une tristesse individualiste » (2).
Le Pape invite à « retrouver la fraîcheur
originale de l’Evangile », en cherchant « de nouvelles voies » et « des méthodes créatives
», et à ne pas enfermer Jésus dans nos « schémas ennuyeux » (11). Il faut une « conversion
pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont » (25)
et une « réforme des structures » ecclésiales pour les rendre plus missionnaires (27).
Le Souverain Pontife pense aussi à une « conversion de la papauté » pour qu’elle soit
« plus fidèle à la signification que Jésus Christ entend lui donner et aux besoins
actuels de l’évangélisation ». Le souhait que les Conférences épiscopales puissent
offrir leur contribution afin que « le sentiment collégial se réalise concrètement
» - affirme-t-il – « ne s’est pas pleinement réalisé » (32). Il est nécessaire de
procéder à une « décentralisation salutaire » (16). Dans ce processus de renouveau,
il ne faut pas avoir peur de réviser certaines coutumes de l’Eglise qui ne sont pas
« directement liées au cœur de l’Evangile… certains usages s’étant très enracinés
dans le cours de l’histoire » (43).
Nos églises doivent être ouvertes et
accueillantes
Pour témoigner de l’accueil de Dieu, il faut « avoir partout
des églises avec les portes ouvertes » afin que ceux qui cherchent ne rencontrent
pas « la froideur d’une porte close ». « Même les portes des sacrements ne devraient
pas se fermer pour n’importe quelle raison ». Ainsi, l’Eucharistie « n’est pas un
prix destiné aux parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles.
Ces convictions ont aussi des conséquences pastorales que nous sommes appelés à considérer
avec prudence et audace » (47). Le Pape réaffirme qu’il préfère une Eglise « accidentée,
blessée et sale pour être sortie dans la rue, plutôt qu’une Eglise malade de la fermeture
et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Église préoccupée
d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de
procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper … c’est que tant de nos
frères vivent » sans l’amitié de Jésus-Christ (49).
Le Pape énonce les tentations
auxquelles sont exposés les agents pastoraux : individualisme, crise d’identité, baisse
de ferveur (78). « La plus grande menace » c’est « le triste pragmatisme de la vie
quotidienne de l’Église, dans lequel apparemment tout arrive normalement, alors qu’en
réalité, la foi s’affaiblit » (83). Le Pape exhorte à ne pas se laisser saisir par
un « pessimisme stérile » (84) à être des signes d’espérance (86) en réalisant la
« révolution de la tendresse » (88). Il faut repousser la « spiritualité du bien-être
» qui refuse « les engagements fraternels » (90) et vaincre « la mondanité spirituelle
» qui « consiste à rechercher, au lieu de la gloire du Seigneur, la gloire humaine
» (93). Le Pape parle de ceux qui « se sentent supérieurs aux autres » parce qu’ils
sont « inébranlablement fidèles à un certain style catholique propre au passé » et
qui « au lieu d’évangéliser, analysent et classifient les autres » et de ceux qui
manifestent « un soin ostentatoire de la liturgie, de la doctrine ou du prestige de
l’Église, mais sans que la réelle insertion de l’Évangile dans le Peuple de Dieu les
préoccupe » (95). Il s’agit là « d’une terrible corruption sous l’apparence du bien
… Que Dieu nous libère d’une Église mondaine sous des drapés spirituels et pastoraux
! » (97).
Les hommes d'Eglise doivent être vertueux
Le Pape demande
aux communautés ecclésiales de ne pas se laisser aller à l’envie et à la jalousie
: « A l’intérieur du Peuple de Dieu et dans les diverses communautés, que de guerres
! » (98). « Qui voulons-nous évangéliser avec de tels comportements ? » (100). Il
souligne la nécessité d’accroître la responsabilité des laïcs, qui sont maintenus
« en marge des décisions » par « un cléricalisme excessif » (102). Il affirme « qu’il
faut encore élargir les espaces pour une présence féminine plus incisive dans l’Église
», en particulier « dans les divers lieux où sont prises des décisions importantes
» (103). « Les revendications des droits légitimes des femmes … ne peuvent être éludées
superficiellement » (104). Les jeunes doivent avoir un rôle plus important (106).
Face à la pénurie des vocations dans certaines régions, il affirme qu’on ne peut pas
« remplir les séminaires sur la base de n’importe quelles motivations » (107).
Abordant
le thème de l’inculturation, le Pape rappelle que « le christianisme n’a pas un seul
modèle culturel » et que le visage de l’Eglise est « multiforme » (116). « Nous ne
pouvons pas prétendre que tous les peuples de tous les continents, en exprimant la
foi chrétienne, imitent les modalités adoptées par les peuples européens à un moment
précis de leur histoire » (118). Le Pape réaffirme « la force évangélisatrice de la
piété populaire » (122) et encourage la recherche des théologiens en les invitant
à viser la finalité évangélisatrice de l’Eglise et à ne pas se contenter « d’une théologie
de bureau » (133).
De l'importance des homélies, courtes et imagées
Le
Pape s’attarde « avec soin sur les homélies » parce que « nous ne pouvons pas rester
sourds aux nombreuses réclamations concernant cet important ministère » (135). Les
homélies « doivent être brèves et éviter de ressembler à une conférence ou à un cours
» (138), elles doivent savoir dire « des paroles qui font brûler les cœurs », et
surtout ne pas se limiter à faire la morale et à vouloir endoctriner (142). Les homélies,
il faut les préparer : « Un prédicateur qui ne se prépare pas n’est pas “spirituel”,
il est malhonnête et irresponsable envers les dons qu’il a reçus » (145). « Une bonne
homélie… doit contenir une idée, un sentiment, une image » (157). La prédication doit
être positive, offrir toujours l’espérance et ne pas laisser les fidèles « prisonniers
de la négativité » (159). L’annonce de l’Evangile elle-même doit avoir des connotations
positives : « proximité, ouverture au dialogue, patience, accueil cordial qui ne condamne
pas » (165).
Le système économique, profondément injuste
Evoquant
les défis du monde contemporain, le Pape dénonce le système économique actuel : «
il est injuste à sa racine » (59). « C’est une économie qui tue » parce que c’est
la « loi du plus fort » qui prévaut. La culture actuelle du déchet a engendré « quelque
chose de nouveau » : « Les exclus ne sont pas des ‘exploités’, mais des déchets, ‘des
restes’ » (53). Nous vivons « une tyrannie invisible, parfois virtuelle, qui impose
ses lois et ses règles, de façon unilatérale et implacable », un « marché divinisé
» où règnent « la spéculation financière », « une corruption ramifiée », « une évasion
fiscale égoïste » (56). Le Pape dénonce les « atteintes à la liberté religieuse »
et les « nouvelles situations de persécution des chrétiens… Dans de nombreux endroits,
il s’agit plutôt d’une indifférence relativiste diffuse » (61). La famille – poursuit
le Pape – « traverse une crise culturelle profonde ». Réaffirmant « la contribution
indispensable du mariage à la société » (66) il souligne que « L’individualisme postmoderne
et mondialisé favorise un style de vie qui affaiblit le développement et la stabilité
des liens entre les personnes, et qui dénature les liens familiaux » (67).
Une
Eglise au coeur de la société, pour le bien des hommes
Le Pape réaffirme
par ailleurs « la connexion intime entre évangélisation et promotion humaine » (178)
et le droit des Pasteurs « d’émettre des opinions sur tout ce qui concerne la vie
des personnes » (182). « Personne ne peut exiger de nous que nous reléguions la religion
dans la secrète intimité des personnes, sans aucune influence sur la vie sociale et
nationale ». Il cite Benoît XVI lorsqu’il affirme que l’Eglise « « ne peut ni ne doit
rester à l’écart dans la lutte pour la justice » (183). Pour l’Eglise, l’option pour
les pauvres est une catégorie « théologique » avant d’être sociologique. « Pour cette
raison, je désire une Église pauvre pour les pauvres. Ils ont beaucoup à nous enseigner
» (198). « Tant que ne seront pas résolus radicalement les problèmes des pauvres …
les problèmes du monde ne seront pas résolus » (202). « La politique tant dénigrée
- affirme-t-il encore - est … une des formes les plus précieuses de la charité ».
« Je prie le Seigneur qu’il nous offre davantage d’hommes politiques qui aient vraiment
à cœur la vie des pauvres ! ». (205) Puis cet avertissement : Toute communauté de
l’Eglise qui oublie les pauvres « court aussi le risque de la dissolution » (207).
Protéger
tous les plus faibles
Le Pape exhorte à prendre soin des plus faibles :
« les sans-abris, les toxicomanes, les réfugiés, les populations indigènes, les personnes
âgées toujours plus seules et abandonnées » et les migrants et il encourage les nations
« à une généreuse ouverture » (210). Il évoque les victimes de la traite et des nouvelles
formes d’esclavage : « Ce crime mafieux et aberrant est implanté dans nos villes,
et beaucoup ont les mains qui ruissellent de sang à cause d’une complicité confortable
et muette » (211). « Doublement pauvres sont les femmes qui souffrent des situations
d’exclusion, de maltraitance et de violence » (212). « Parmi les faibles dont l’Eglise
veut prendre soin avec prédilection » il y a « aussi les enfants à naître, qui sont
les plus sans défense et innocents de tous, auxquels on veut nier aujourd’hui la dignité
humaine » (213). « On ne doit pas s’attendre à ce que l’Église change de position
sur cette question… Ce n’est pas un progrès de prétendre résoudre les problèmes en
éliminant une vie humaine » (214). Suit un appel au respect de toute la création :
« nous sommes appelés à prendre soin de la fragilité du peuple et du monde dans lequel
nous vivons » (216).
La vraie paix est faite de justice
En ce
qui concerne le thème de la paix, le Pape affirme qu’il faut des voix prophétiques
car certains veulent instaurer une fausse paix « qui servirait d’excuse pour justifier
une organisation sociale qui réduit au silence ou tranquillise les plus pauvres, de
manière à ce que ceux qui jouissent des plus grands bénéfices puissent conserver leur
style de vie » (218). Pour la construction d’une société bénéficiant de la paix, de
la justice et de la fraternité, le Pape indique quatre principes (221) : « le temps
est supérieur à l’espace » (222) cela veut dire « travailler à long terme, sans être
obsédé par les résultats immédiats » (223). « L’unité prévaut sur le conflit » (226)
cela veut dire œuvrer afin que les oppositions parviennent à une « unité multiforme
qui puisse engendrer une nouvelle vie » (228). « La réalité est plus importante que
l’idée » (231) cela veut dire éviter que la politique et la foi se réduisent à la
rhétorique (232). « Le tout est supérieur à la partie » cela veut dire mettre ensemble
globalisation et localisation (234).
Se frotter aux autres réalités, politiques,
sociales, religieuses et culturelles
« L’évangélisation – poursuit le Pape
– implique aussi un chemin de dialogue » qui permette à l’Eglise de collaborer avec
toutes les réalités politiques, sociales, religieuses et culturelles (238). L’œcuménisme
est « un chemin incontournable de l’évangélisation ». L’enrichissement réciproque
est important : « Nous pouvons apprendre tant de choses les uns des autres ! », par
exemple « dans le dialogue avec les frères orthodoxes, nous les catholiques, nous
avons la possibilité d’apprendre quelque chose de plus sur le sens de la collégialité
épiscopale et sur l’expérience de la synodalité » (246) ; « le dialogue et l’amitié
avec les fils d’Israël font partie de la vie des disciples de Jésus » (248) ; « le
dialogue interreligieux », qui doit être mené « avec une identité claire et joyeuse
», est « une condition nécessaire pour la paix dans le monde » et il n’éclipse pas
l’évangélisation (250-251) ; « La relation avec les croyants de l’Islam acquiert à
notre époque une grande importance » (252) : le Pape implore « humblement » les pays
de tradition musulmane d’assurer la liberté religieuse aux chrétiens, « prenant en
compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux
! Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers
les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations,
parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à
toute violence » (253). Et contre la tentative de privatiser les religions dans certains
contextes, il affirme que « le respect dû aux minorités agnostiques et non croyantes
ne doit pas s’imposer de manière arbitraire qui fasse taire les convictions des majorités
croyantes ni ignorer la richesse des traditions religieuses » (255). Le Pape réaffirme
l’importance du dialogue et de l’alliance entre croyants et non-croyants (257).
Le
dernier chapitre est consacré aux évangélisateurs avec esprit, « ceux qui s’ouvrent
sans crainte à l’action de l’Esprit Saint » qui « infuse la force pour annoncer la
nouveauté de l’Évangile avec audace, (parresia), à voix haute, en tout temps et en
tout lieu, même à contre-courant » (259). Ces « évangélisateurs prient et travaillent
» (262), en sachant que « La mission est une passion pour Jésus mais, en même temps,
une passion pour son peuple » (268) : « Jésus veut que nous touchions la misère humaine,
la chair souffrante des autres » (270). « Dans notre rapport avec le monde – précise-t-il
– nous sommes invités à rendre compte de notre espérance, mais non pas comme des ennemis
qui montrent du doigt et condamnent » (271). Pour être missionnaires, il faut chercher
le bien du prochain et désirer le bonheur des autres (272) : « si je réussis à aider
une seule personne à vivre mieux, cela justifie déjà le don de ma vie » (274). Le
Pape invite à ne pas se décourager face aux échecs ou aux faibles résultats parce
que la « fécondité est souvent invisible, insaisissable, elle ne peut pas être comptée
» ; « Nous savons seulement que notre don de soi est nécessaire » (279). L’exhortation
s’achève par une prière à Marie « Mère de l’Evangélisation ». « Il y a un style marial
dans l’activité évangélisatrice de l’Église. Car, chaque fois que nous regardons Marie
nous voulons croire en la force révolutionnaire de la tendresse et de l’affection
» (288).