Un enfant sur six est victime d’exclusion en France
A l’occasion, ce mercredi 20 novembre, de la Journée internationale des droits de
l’enfance et de l’adolescence, de nombreuses ONG sensibilisent aux conditions de vie
dramatiques de millions d’enfants dans le monde. En France, 17% d'entre eux se trouvent
dans une situation « jugée préoccupante » d'exclusion sociale et 7% souffrent d'une
« exclusion extrême ». C’est ce que révèlent les conclusions d'une toute première
étude nationale de l'Unicef France publiée mardi.
La consultation « Droits
de l'enfant » a été menée de février à juillet avec le concours de l'institut TNS-Sofres
auprès de 22.500 enfants âgés de 6 à 18 ans et originaires de plus de 70 villes. Les
enfants ont répondu à 130 questions ayant trait à leurs droits, à la vie quotidienne,
à l'éducation, aux loisirs et à la santé.
10% des enfants interrogés ont répondu
non à la question « on respecte mes droits dans mon quartier, ma ville » et 5% affirment
ne pas manger trois repas par jour. Julie Zerlauth Disic est responsable des Relations
avec les collectivités territoriales à l’Unicef France, elle détaille les conclusions
de ce rapport. Des propos recueillis par Audrey Radondy.
Nous avons
découvert que c’étaient les mêmes enfants qui cumulaient à la fois les niveaux de
privation et d’extrême privation et les niveaux d’intégration sociale précaires ou
très précaires. Ce sont bien les mêmes enfants, les mêmes adolescents qui subissent
une triple ou une quadruple peine et à qui on peut attribuer à la fois un ressenti
de privation très important et un manque d’intégration dans la société dans laquelle
ils vivent, c’est-à-dire une intégration insuffisante à l’école, dans leurs familles,
dans leurs quartiers, dans leurs collectivités mais également une participation insuffisante
à la vie de cette collectivité.
Ce sont des enfants qui globalement
ne sont pas suffisamment associés aux projets, à qui on ne demande pas suffisamment
leur avis et qui surtout ne se sentent pas autorisés à pouvoir les donner ces avis.
L’enquête nous apprend aussi, et il ne faut pas l’oublier, qu’il y a quand même une
grande majorité d’entre eux qui se sent bien, qui se sent respectée, qui vit pleinement
ses droits en France. Ça, c’est déjà essentiel. Mais nous devons avoir un regard particulier
sur la minorité, sur les 17% d’enfants qui vivent dans ces situations d’intégration
sociale précaire.
Mais quels facteurs peuvent expliquer le fait que
ces enfants subissent à la fois une intégration sociale précaire et en même temps,
ont des soucis au niveau précarité ?
Les liens sociaux qui rattachent
normalement l’enfant à sa famille, à son quartier sont eux aussi sources de profonde
inégalité. Et tout ce qui pourrait raccroché l’enfant à son bien-être, à un développement
harmonieux est également défaillant parce que l’enfant, c’est lui qui le dit dans
cette étude, se ressent non intégré alors qu’il a déjà ce très fort ressenti de privation.
Et, cette corrélation entre les deux, la privation et l’intégration sociale est notamment
due au fait de ne pas avoir une estime de soi suffisante pour certains, de ne pas
oser frapper à la porte de certains services et surtout de ne pas avoir accès à un
certain nombre de services pour des raisons monétaires mais aussi parfois pour des
raisons culturelles ou sociales tout simplement.
Le médecin Catherine
Dolto, qui a étudié les réponses des enfants, a parlé d’une tolérance au gâchis. Qu’est-ce
que cela veut dire ?
Elle explique très simplement qu’en France, on
a une propension à accepter un certain nombre de choses comme étant des fatalités,
notamment le taux de chômage ou le taux de pauvreté des adultes. Elle dit que malheureusement,
dans tout cela, on accepte qu’il y ait du gâchis humain et notamment du gâchis d’enfants.
Elle dit ça dans le sens où ces enfants, ces 17% dont on parle sont en situation de
disqualification sociale, c’est-à-dire qu’ils sont dans une situation qui va les amener
certainement à l’âge adulte à reproduire ces schémas d’inégalité sociale. Ce sont
des enfants qui sont déjà dans des comportements qui marqueront leur vie entière et
c’est pour cela qu’on parle de gâchis. Ce sont des enfants à qui on pourrait très
simplement tendre la main, sourire et on pourrait les intégrer dans la société d’une
façon beaucoup plus positive et donc, on pourrait les sortir du fossé dans lequel
ils sont tombés.
Par rapport à ce lien social qui est plus difficile
pour les enfants en situation de précarité, quelles seraient les actions nécessaires
pour leur permettre d’améliorer les liens sociaux ?
Ce que l’Unicef
appelle de ses vœux, c’est la construction d’une politique globale, c’est-à-dire une
politique qui envisage l’enfant dans sa totalité, c’est un terme un peu trivial mais
c’est vraiment ça : l’enfant ne doit pas être traité d’une part au moment où il fait
du sport, ensuite on va s’occuper de lui avec une autre spécialité qui est la culture,
puis c’est la garde, puis l’éducation, etc…Donc, il faut que les personnes qui réfléchissent
à ces politiques publiques puissent se mettre tous ensemble et se dire « l’enfant
est un individu à part entière. Toute la journée, on doit le considérer dans ses besoins
et ses attentes spécifiques ».
Ensuite, une politique publique qui
place l’enfant au cœur des choix politiques, c’est-à-dire que pour chaque projet,
il faut qu’on envisage de quelle façon il va avoir un impact sur l’enfant, sur sa
famille et de quelle façon est-ce que ça peut être le plus bénéfique possible pour
cet enfant ou pour ce jeune. Et je pense qu’au niveau local, c’est de créer vraiment
un lien de proximité réelle avec l’enfant et le jeune, l’associer aux projets de la
collectivité. Et puis, il y a aussi quelque chose qui est extrêmement efficace, c’est
de recréer de la mobilité, c’est-à-dire aller aux devants des familles qui sont en
difficulté, aller aux devants des jeunes et des enfants qui sont en difficulté et
leur proposer des services dont ils n’osent parfois pas bénéficier. La gratuité ne
fait pas l’accès à un service mais c’est en proposant ce service, en allant démontrer
ce qu’il peut apporter à l’enfant qu’on pourra aussi convaincre sa famille de pousser
la porte d’une médiathèque, d’une piscine, etc…Tout ça fait partie de ce lien social
qu’il faut recréer.