50 ans de dialogue interreligieux. Entretien avec le cardinal Tauran
« Le Dialogue interreligieux dans l’enseignement officiel de l’Eglise catholique (1963-2013)
» c’est le titre d’un imposant ouvrage de plus de 2 000 pages présenté ce mardi en
Salle de presse du Saint-Siège. Un volume qui regroupe 909 documents des papes, de
Jean XXIII à Benoît XVI, sur le dialogue interreligieux depuis le Concile Vatican
II. Lors de cette rencontre avec les journalistes, le cardinal Jean-Louis Tauran a
notamment récusé « l’idée très répandue selon laquelle Benoît XVI n’était pas très
intéressé par le dialogue interreligieux ».
Le président du Conseil Pontifical
pour le dialogue interreligieux a rappelé que durant son pontificat on compte « 188
interventions sur ce thème contre 591 durant les 26 ans de pontificat de Jean-Paul
II ». Il a par ailleurs déploré que le dialogue entre chrétiens et musulmans soit
avant tout un dialogue entre élites et n'arrive pas au niveau de la rue, et souligné
que « même s’il y a des pas positifs ils ne se traduisent pas en lois ».
Le
Père Miguel Angel Ayuso Guixot, secrétaire du Conseil pontifical pour le dialogue
interreligieux, également présent lors de la conférence de presse, et le cardinal
Tauran, se sont également attardés sur la création puis l’inauguration l’année dernière
à Vienne du Kaiciid, le Centre international pour le dialogue interreligieux et culturel
« Roi Abdallah Ben Abdelaziz pour le dialogue interreligieux et interculturel » fondé
par l’Arabie Saoudite, l’Espagne et l’Autriche, avec le Saint-Siège en tant qu’organisme
observateur et fondateur.
Ils ont affirmé qu’il était intéressant d’« exploiter
ce canal » pour résoudre certaines situations, sans avoir peur de « dénoncer » les
obstacles et annoncé que les 18 et 19 novembre prochain, le Kaiciid organisera à Vienne,
en Autriche, une conférence destinée à sensibiliser les jeunes générations à avoir
une image objective, honnête et correcte de l’autre en présence de plusieurs ministres
de l’éducation du monde entier. « Le chemin est encore long a indiqué le père Miguel
Angel Ayuso Guixot mais avec le pape François, il continue à travers le dialogue de
l'amitié ».
Hélène Destombes a interrogé le cardinal Tauran. Il revient
tout d’abord sur les pas significatifs accomplis ces 50 dernières années en matière
de dialogue interreligieux
(Photo:
la rencontre oecuménique d'Assise, le 27 octobre 2013)
Texte de
l'entretien :
D’abord, c’est la rencontre au niveau de la base, sur
le terrain, parce que le dialogue interreligieux ne se passe pas ici, il se passe
dans les Églises locales. Et puis ces grands évènements comme la rencontre d’Assise,
c’est très important aussi. Maintenant nous avons ce contact régulier avec différentes
structures de dialogue en Lybie, en Égypte et j’espère bientôt en Irak. Tout ça crée
un climat neuf et je crois que tous les croyants ont à s’unir pour d’abord vivre leur
foi et ensuite se respecter et comprendre que quelqu’un qui ne croit pas comme moi
n’est pas nécessairement un ennemi mais c’est un partenaire, un pèlerin comme moi
vers la vérité.
Est-ce que certains pas plus que d’autres, ont
accordé une place privilégiée au dialogue interreligieux ?
Le
pontificat de Benoît XVI est très intéressant de ce point de vue-là parce que ça va
crescendo. Et là, le Pape nous laisse un magister extraordinaire qu’il faut digérer
non seulement dans le dialogue interreligieux mais aussi dans d’autres domaines.
Et
comment le Pape François appréhende-t-il ce vaste et délicat dossier ?
Vous
savez le Pape François, il y a trois ans, il était venu me voir et il m’avait demandé
de lui indiquer où il pouvait envoyer un prêtre de Buenos Aires étudier l’arabe pour
avoir quelqu’un dans son diocèse, capable de dialoguer avec les musulmans en connaissance
de cause. Je crois que ça indique tout à fait son intérêt. D’ailleurs, dès les premiers
jours de son pontificat, il a souligné cet aspect du dialogue interreligieux. Nous
sommes condamnés au dialogue.
On parle beaucoup du dialogue
de l’amitié. ..
Le dialogue de la vie. Oui, ça commence toujours
par là. Vous habitez dans un immeuble, vous avez des voisins musulmans. Vous allez
les voir pour le Ramadan, ils viennent vous voir pour Noël. Tout est là.
Au
regard du chemin parcouru ces cinquante dernières années, certains observateurs évoquent
un chemin à sens unique. ..
Effectivement, la plupart des initiatives
de dialogue ont été prises par les chrétiens mais il y a ce Common Word, c’est la
première fois qu’ils prennent une initiative, il faut soutenir. Il y a une question
de culture. C’est quand même très compliqué. Il faut se rencontrer, se regarder, voir
que finalement il y a beaucoup de choses qui nous rassemblent.
Pour
l’instant, ça n’est qu’un dialogue entre élite.
Je dirais oui,
malheureusement. Mais il faut insister. À l’école, l’éducation est très importante.
Vous attendez beaucoup du Kaiciid qui a été inauguré il y a
un an ?
Moi, je suis un homme réaliste. Le bébé commence, il
faut l’accompagner.