Charte de la laïcité : les évêques québecois prendront part au débat
Le gouvernement du Québec a déposé le 7 novembre 2013 son projet de charte de la laïcité
à l’Assemblée nationale. Le cabinet de Pauline Marois propose un document « particulièrement
lourd de conséquences » selon le président de l’Assemblée des évêques du Québec. Dans
une déclaration publiée vendredi 8 novembre sur le site internet des évêques, Mgr
Pierre-André Fournier, archevêque de Rimouski, annonce que l’Eglise souhaite maintenant
participer au débat qui s’amorce au parlement.
Ce projet de loi sur la
laïcité, rendu public par le gouvernement québécois le 11 septembre dernier, vise
à interdire le port de signes religieux ostentatoires à tous les employés des fonctions
publiques et parapubliques pendant les heures de travail. S'il recueille, selon les
sondages, l'assentiment d'une grande majorité de la population, il s'attire les foudres
des diverses instances religieuses du Québec.
Le sort du crucifix pas tranché
Le
document déposé le 7 novembre confirme que la charte s’appliquera à l’ensemble des
organismes publics et parapublics. Tous les nouveaux employés de l’Etat devront s'y
conformer dès leur embauche. Ils ne pourront pas bénéficier de la période d’adaptation
d’un an prévue actuellement pour les employés. Le texte pourra également s’appliquer
à des entreprises, des personnes ou des organismes qui font affaire avec le gouvernement
à travers un contrat ou une subvention de l’Etat. En revanche, le projet de loi
ne tranche pas le débat sur le crucifix du Salon bleu de l’Assemblée nationale. Son
sort sera laissé aux représentants des partis politiques représentés au sein du Bureau
de l'Assemblée nationale.
Lors de la campagne électorale de 2012, le Parti
québécois avait fait la promesse d'introduire une telle charte de la laïcité. Mais,
le gouvernement de Pauline Marois étant minoritaire, des doutes subsistent quant aux
chances du projet de loi d'être adopté.
« Non nécessaire »
de restreindre les droits et les libertés des employés du public
Dans
son message, le président de l’Assemblée des évêque du Canada, salue les « efforts
du gouvernement pour « vouloir donner des balises légales » dans une loi afin «
d’encadrer les demandes d’accommodements pour des raisons religieuses ». « C’est tout
un défi ». Mgr Fournier estime qu’il est également tout à fait raisonnable de vouloir,
dans le contexte social et culturel actuel, un État et des institutions communes laïques.
Nous l’avons déjà reconnu », écrit-il.
Pour autant, l’archevêque de Rimouski
juge qu’il ne semble pas aux évêques « nécessaire, sauf en quelques cas, de restreindre
les droits et libertés des employés des organismes publics en ce qui concerne le port
de signes religieux. La seule exigence qui s’impose avec évidence est celle d’offrir
et de recevoir les services à visage découvert. Ce qui importe d’abord pour les personnes
en service public, c’est leur compétence, leur accueil, leur respect.
« La
neutralité religieuse de l’État signifie que celui-ci n’a pas de préférence en cette
matière. Il ne prend pas position pour un ou pour l’autre. Pas de religion officielle.
Mais pas d’athéisme officiel non plus », poursuit-il. « C’est ça la neutralité. L’État
respecte ce que les gens vivent et expriment. S’il est vraiment neutre, il va même
prendre les mesures pour s’assurer que les gens peuvent vivre leur foi et l’exprimer
librement. C’est son devoir. La neutralité et la laïcité n’ont pas pour but de supprimer
la religion de l’espace public mais de créer un milieu et un environnement où chaque
personne jouit effectivement de la liberté de conscience et de religion que lui reconnaît
la Déclaration universelle des droits de l’homme ».
Ci-dessous,
les « Remarques du président de l’Assemblée sur le projet de loi 60 »
«
Le projet de loi 60 sur la laïcité et la neutralité religieuse de l’État, qui vient
d’être déposé à l’Assemblée nationale, est particulièrement lourd de conséquences
et représente une étape cruciale et déterminante dans l’histoire de notre peuple.
Un
premier regard sur le projet de charte nous montre la complexité de plusieurs articles.
Par exemple, même juristes et philosophes ne sont pas d’accord sur la distinction
entre les trois expressions « séparation de l’État et des religions », « neutralité
religieuse » et « caractère laïque de l’État ». Et on assimile souvent, sans distinction,
neutralité de l’État et neutralité de ses employés.
Nous aurons l’occasion
de revenir sur le sujet après une étude détaillée des articles du projet de loi et
de leur portée, notamment lors des audiences de la commission parlementaire auxquelles
nous souhaitons participer. Pour le moment, dans un esprit de dialogue et à titre
de contribution au débat en cours, nous désirons simplement insister sur quelques
grands principes qui guident notre réflexion.
Il est tout à fait
raisonnable de vouloir donner des balises légales pour encadrer les demandes d’accommodements
pour des raisons religieuses. Il faut même saluer les efforts du gouvernement pour
traduire cela de façon concrète dans un projet de loi. C’est tout un défi. Nous avons
collectivement besoin de clarifications et de critères pour éviter à l’avenir des
situations inutilement pénibles. L’actualité des dernières années l’a clairement démontré.
Il
est également tout à fait raisonnable de vouloir, dans le contexte social et culturel
actuel, un État et des institutions communes laïques. Nous l’avons déjà reconnu dans
nos interventions antérieures, en citant en particulier la célèbre réplique de Jésus
: « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » La notion
de laïcité repose sur une saine distinction entre domaine politique et domaine religieux.
Sur
le plan spirituel et religieux, les gens sont libres de croire ou de ne pas croire.
C’est fondamental. On a le droit d’être croyant. On a le droit d’être athée. La neutralité
religieuse de l’État signifie que celui-ci n’a pas de préférence en cette matière.
Il ne prend pas position pour un ou pour l’autre. Pas de religion officielle. Mais
pas d’athéisme officiel non plus. C’est ça la neutralité. L’État respecte ce que les
gens vivent et expriment. S’il est vraiment neutre, il va même prendre les mesures
pour s’assurer que les gens peuvent vivre leur foi et l’exprimer librement. C’est
son devoir. La neutralité et la laïcité n’ont pas pour but de supprimer la religion
de l’espace public mais de créer un milieu et un environnement où chaque personne
jouit effectivement de la liberté de conscience et de religion que lui reconnaît la
Déclaration universelle des droits de l’homme.
Cela impliquera concrètement,
pour répondre aux besoins et aux particularités régionales d’un bout à l’autre du
Québec, de soutenir et d’encourager les initiatives de collaboration entre institutions
civiles et religieuses, notamment entre les municipalités et les paroisses. En bien
des endroits, au cours des dernières années, on a fait preuve d’ouverture et d’imagination
pour en venir à des ententes qui profitent maintenant à tous, notamment pour l’utilisation
partagée de locaux et d’églises. Il serait vraiment triste que, sous prétexte d’une
neutralité mal comprise ou d’une interprétation excessive de l’obligation faite aux
organismes publics de « refléter le caractère laïque de l’État », on en vienne à freiner
ou à bloquer de tels projets qui illustrent à merveille les capacités d’entraide,
de solidarité et de créativité de nos communautés locales.
Il ne nous
apparaît pas nécessaire, sauf en quelques cas, de restreindre les droits et libertés
des employés des organismes publics en ce qui concerne le port de signes religieux.
La seule exigence qui s’impose avec évidence est celle d’offrir et de recevoir les
services à visage découvert. Ce qui importe d’abord pour les personnes en service
public, c’est leur compétence, leur accueil, leur respect.
Quant au
crucifix du Salon bleu, rappelons simplement qu’il a été placé à cet endroit
par des élus; la décision de le garder ou de le retirer revient donc aux élus, dans
le respect de l’opinion de la population. Dans ce contexte, si les députés décidaient
démocratiquement de l’enlever, l’Assemblée des évêques respecterait leur décision.
Le
crucifix est la représentation de l’ultime acte d’amour, celui du Christ donnant sa
vie pour le salut du monde. Il est vénéré par des millions de chrétiens de toutes
les nations, et par une grande majorité de Québécois et de Québécoises. Ce n’est pas
un objet de musée ni seulement un rappel du passé ou un élément du patrimoine. Il
doit être traité avec tout le respect dû à un symbole fondamental de la foi catholique.
Les députés doivent faire en sorte qu’il le soit.
Nous sommes très attentifs
à tout ce qui se passe concernant ce projet de charte et invitons la population à
continuer à prendre part à la recherche d’un projet rassembleur sur un ton approprié.
»
+ Pierre-André Fournier archevêque de Rimouski et
président de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec