Comment vivent les chrétiens pakistanais ? Témoignage de Mgr Coutts
En ce vendredi 1er novembre, la ville de Faisalabad a un nouvel évêque. Il a été ordonné
par le Cardinal Fernando Filoni. Le Préfet de la Congrégation pour l’Evangélisation
des Peuples est arrivé au Pakistan cette semaine. Jeudi, il a présidé une messe en
la Cathédrale de Lahore, en présence d’Evêques, de prêtres, de religieux séminaristes
ou laïcs. « Vous n’êtes pas abandonnés ». Au contraire, a affirmé le prélat : « vous
êtes la partie la plus noble de l’Eglise universelle ». Malgré les difficultés, vous
témoignez « avec courage de votre fidélité au Christ ».
Dans quelles conditions
vivent les chrétiens du Pakistan ? Mgr Joseph Coutts, l’évêque de Karachi et
président de la Conférence épiscopale du Pakistan. Il est interrogé par Marie Duhamel
Il
n’y a pas de ghetto chrétien au Pakistan. Pour le président de la Conférence épiscopale
pakistanaise : « c’est avec ce genre d’idée qu’on fait des dommages ! » Au contraire,
insiste-t-il, musulmans et chrétiens partagent leur quotidien. Mgr joseph Coutts
On
a des écoles, des hôpitaux et qui y viennent ? des musulmans. Et ils aiment nos écoles.
A Karachi, nous avons un hôpital catholique et il n’y a qu’un médecin catholique qui
y travaille, les autres sont musulmans. Vous savez quand j’ai été ordonné évêque mes
voisins musulmans, pas tous, mais deux d’entre eux étaient là dans l’église parce
qu’on a grandi ensemble. Et ils ont apprécié la célébration la solennité et les chants.
Il y a aussi de belles choses.
Discriminations
«
Aussi » parce que les chrétiens ne représentant que 2,2% de la population pakistanaise
à 96% musulmane, ils subissent un certain nombre de discriminations. Mgr Coutts
"La
majorité des chrétiens appartient aux classes les plus basses de la société. Mais
dès lors que se passe-t-il ? Quand vous êtes dans un pays musulman, si il y a un emploi
à pourvoir et 5 candidats, ils choisiront un musulman plus qu’un chrétien et c’est
la même chose avec les promotions en particulier dans l’armée ou dans des administrations
importantes, ils n’aimeront pas vous voir grimper l’échelle. C’est ce genre de discriminations.
Je ne veux pas justifier, mais c’est quelque chose de psychologique dans tous les
pays, il y a un groupe ou une communauté que l’on regarde avec mépris. Comme les Etats-Unis
et les noirs. Regardez comme il se sont battus et maintenant ils ont un président."
La
Loi noire doit être amendée
L’évêque de Karachi reste donc confiant
pourtant les épreuves sont de taille. Chaque année 700 chrétiens sont convertis de
force affirme Aide à l’Eglise en détresse. Il s’agit d’une violation grave à la liberté
religieuse, mise à mal également par la « loi noire », celle sur le blasphème. Selon
la Human Rights Commission of Pakistan au moins 161 personnes ont été inculpées en
2011, 9 tuées sans procès
Si vous ne voulez pas abolir la loi, alors apportez
des changements afin qu’on ne puisse pas l’utiliser à mauvais escient comme c’est
le cas maintenant. On se bat depuis 1986 et le Conseil de l’idéologie islamique a
tenu une réunion le mois dernier à ce sujet, sans succès. Les groupes extrémistes
sont les plus forts au sein du Conseil, cependant beaucoup de musulmans commencent
à reconnaitre la vérité. Cette loi… Vous savez, elle ne mentionne pas la notion de
blasphème intentionnel. L’ajout du mot « intentionnel » ferait la différence. C’est
le genre de chose qu’on voudrait pour nous protéger. Et il y a autre chose. Aujourd’hui,
il suffit de se rendre au poste de police et de dire que quelqu’un a blasphémé. Quand
un rapport est écrit, c’est là que tous les problèmes commencent. Donc nous on souhaiterait
que de simples officiers de police ne puissent plus être autorisés à écrire ce rapport.
Ce devrait être un magistrat ou autre. C’est ce qu’on demande.
Cible
faciles pour les fondamentalistes
Et il faut ajouter à cette difficulté
majeure un problème lié au contexte régional et au conflit en Afghanistan voisin et
à la guerre lancée contre le terrorisme après le 11 septembre 2001 par les Américains
: le chrétiens sont une cible facile pour les fondamentalistes et autre talibans.
Mgr Coutts
"Ce groupe a attaqué l’armé en tuant un général. Il n’en est pris
à une base militaire, un quartier général à Islamabad. Ils ont attaqué une école de
police et tué plus de 100 futurs policiers antiterroristes. Ils ont attaqué tant de
cibles, mais maintenant la police et l’armée ont des revolvers plus performants, de
meilleures armes et de meilleurs gilets par balles. C’est devenu plus difficile et
ils se disent : « Ah ! Allons attaquer des chrétiens. Ils sont faciles à attaquer
». C’est ce que j’entends par Soft Target, nous sommes une cible facile. Aujourd’hui,
les terroristes ne sont pas en train de s’en prendre à n’importe qui dans la rue.
La récente attaque l’église de Peshawar a des connections politiques. Ils veulent
que les Américains quittent l’Afghanistan. Donc ils tuent des chrétiens en disant
« on espère que les Américains s’en iront, sinon on tuera plus de chrétiens ». Ils
nous lient aux Américains et c’est dangereux ! « Ils sont chrétiens et vous l’êtes
aussi ». C’est une mauvaise connexion".
Face à ces amalgames et ces injustices,
pas question de prendre les armes, pour autant les chrétiens refusent de se taire.
Récemment encore, on a vu Mgr Coutts défiler aux cotés de centaines fidèles, « Ne
tuez plus de Chrétiens » ! Banderoles en main ou assis sur le trottoir pendant des
heures pour montrer aux musulmans leur désarroi. Comme le dit Mgr Coutts lui-même
: Comment voulez-vous qu’une mère comprenne la douleur de son enfant si celui-ci ne
verse aucune larme...
Photo : Mgr Joseph Coutts, président de la Congérence
épiscopale du Pakistan