Témoignage. Qui sont les aumôniers de prisons ? Ces personnes qui, comme l’a
souligné le Pape mercredi matin, sont porteurs d’espérance. Sœur Blandine est aumônier
principal de prison depuis janvier 2006 en France. Elle se rend trois fois par semaine
dans le centre de détention de Saint-Mihiel dans la Meuse (diocèse de Verdun) à la
rencontre des 380 hommes qui y sont détenus. « Ce n’est pas une maison d’arrêt
», ces hommes sont jugés et connaissent leur date de libération, tient à préciser
Sœur Blandine. Elle nous raconte son travail et notamment la première fois qu’elle
est allée en prison, sans oublier de nous dire quelles sont les attentes des prisonniers.
Soeur
Blandine répond à Marie Duhamel
Quand on
m’avait proposé, j’ai dit “ Mais ce n’est pas possible ! Aller dans les cellules,
moi, une femme, avec des hommes ? ». Alors, on m’a rassurée, on m’a dit « Écoutez,
vous allez faire des formations et puis il n’y a jamais rien qui s’est passé ». J’ai
donc dit oui.
Quand vous avez fait vos premiers pas en prison, qu’est-ce
que vous avez vu ?
Quand j’ai fait les premiers pas en prison, au moment
du stage, c’était un monde tout à fait différent de ce que je connaissais. On parlait
de RPS, on parlait la rue. Et moi je ne savais pas du tout à quoi correspondait tout
ce langage. Au fur et à mesure, je suis rentrée dedans, vous voyez. Et puis alors
toutes ces portes qui claquent. Et puis quand on est allé dans les cellules, on avait
pas du tout l’impression de parler à une personne détenue. On était en face d’une
personne à laquelle on parlait normalement. C’est une mission d’écoute, de non-jugement,
de rencontre de la personne.
Est-ce que vous avez l’impression que c’est
un peu ça aussi qui compte ,c’est-à-dire de replacer l’humain dans un endroit qui
est un peu déshumanisé ?
Voilà, oui. Vous savez la prison, c’est un
vrai que c’est un lieu de déshumanisation, un lieu de violence, un lieu dur et il
y a le racket, il y a une espèce de haine. Et vous voyez, ils veulent tout, tout de
suite. Et quand ils n’ont pas tout ,tout de suite, une réponse, cela engendre un climat
de suspicion aussi. Et quand je vais bien les visiter dans leurs cellules, c’est la
première chose qu’ils disent toujours. Ils ont toujours des doléances : « ceci ne
va pas, ça ne va pas, etc… » Et alors j’essaie, moi, de trouver un peu du positif
ou de leur expliquer « Écoutez, dans le monde extérieur, nous n’avons pas non plus
toujours tout. Quand on demande un rendez-vous chez le dentiste, on ne peut pas non
plus du jour au lendemain etc… »
Est-ce qu’il y a d’autres choses comme
ça où vous les apaisez ?
Ce qui est important, très important pour eux,
ce sont les liens familiaux. Souvent quand je rencontre les détenus, il y a leurs
photos dans leurs cellules, les photos de la famille. Alors ça, c’est très important.
Et je me suis rendue compte que ces hommes, ils tiennent très fort à leurs enfants.
Et ils me demandent très souvent des médailles. Et qu’est-ce qu’ils font ? Ils collent
la médaille sur la photo de la famille pour qu’ils soient protégés. Ils me demandent
aussi des chapelets. Alors, ils suspendent le chapelet dans leur cellule en disant
« voilà, on est protégé. » Je trouve que c’est beau. Vous savez, les liens familiaux
c’est quand même très important. Et disons, avec l’aumônier ils peuvent davantage
parler de ça qu’avec les autres personnes de la prison. Et puis, pour maintenir
justement ces liens familiaux, je me suis engagée à recevoir leurs colis. La famille
peut leur en envoyer toute l’année, uniquement des habits. La prison elle-même ne
peut pas les accepter. Alors, moi, puisque je me suis rendue compte que les liens
familiaux sont si importants, j’ai dit : « Écoutez, moi je veux bien réceptionner
les colis à la poste ; les ouvrir, les apporter au vestiaire. Le vestiaire vérifie
et puis les appelle et le leur remet. » Ca, c’est aussi une contribution à la réinsertion
je trouve.
Est-ce que quand vous parlez avec eux vous évoquez parfois-
vous avez dit qu’il n’y avait pas de jugement- mais quand même, l’acte qu’ils ont
commis ?
Oui. Alors il y en a certains, quand vous les avez vu plusieurs
fois, qui vous raconte leurs faits. Et ce qui est important pour nous, c’est qu’ils
prennent conscience de ce qu’ils ont fait. Et il y en a qui font vraiment un beau
chemin d’humanisation. C’est peut-être pour certains la première fois de leur vie
où ils sont face à eux-mêmes et ils peuvent réfléchir. Et pour certains, la prison
c’est ça. Il y en a même un qui un jour m’a dit : « Ma sœur, si je n’étais pas venu
ici, je crois que je ne vivrais plus .Là je me suis rendue compte de ce que j’ai commis
».
Vous pensez que l’assistance spirituelle peut aussi justement être
une préparation à la réinsertion ?
Tout à fait. La réinsertion, ce
n’est pas que du social et de l’économique. La réinsertion, c’est aussi que la personne
puisse se reconnaître encore au-delà de l’acte commis, de se dire « j’ai quand même
encore de la valeur. Je suis un être humain. Au-delà de l’acte commis, j’ai ma dignité
». Ça, c’est aussi de la réinsertion.
Est-ce qu’il y a aussi des parcours
de foi parce qu’on imagine que ces gens, ils ne sont pas tous pratiquants ou tous
catholiques ?
Non. Disons que moi quand je vais à la prison, je dis
souvent « je suis dans le monde entier » parce qu’il y a des personnes qui viennent
du Kosovo, de la Belgique, de l’Allemagne, de l’Italie, du Venezuela .. Il y en a
qui viennent de partout. Et puis je rencontre aussi des musulmans. En les croisant
dans les couloirs, je leur dit bonjour, dès fois ils disent « mais venez donc, on
va discuter un peu. » Et souvent, je suis étonnée, les musulmans, leur première phrase
c’est toujours « mais ma sœur, nous avons le même Dieu !
Vous diriez
qu’il y a des beaux parcours de foi en prison ?
Il y a des parcours
de foi. Tous les lundis soir de 17 à 18heure, nous lisons les textes de la messe du
dimanche et nous réfléchissons, nous discutons. Moi j’aime beaucoup, parce qu’ils
sont vraiment natures, ils disent ce qu’ils pensent et moi-même, ça me fait beaucoup
de bien. C’est tout autre chose de réfléchir à un texte d’ Évangile avec des personnes
détenues, qu’en paroisse.