Mgr Stenger : "le dialogue des religions doit défendre la citoyenneté de chacun"
Principale région de coexistence entre fidèles des grandes religions du Livre, le
Proche Orient est un foyer d’instabilité et de violences. Comment ne pas penser à
la guerre qui déchire depuis deux ans et demi la Syrie, ou à l’Egypte, régulièrement
théâtre de violences anti-coptes. Sans parler de l’Irak où les chrétiens sont la cible
des terroristes islamistes d’Al Qaïda.
La question du dialogue entre les chrétiens
et les musulmans a été largement abordée la semaine dernière à Rome lors du Rencontre
internationale organisée comme chaque année par la communauté Sant’Egidio.
Evêque
de Troyes, dans l’Aube, Mgr Stenger est spécialiste de ces questions. Se basant à
la fois sur son expérience des relations entre catholiques et musulmans dans les quartiers
de son diocèse, et sur son expérience concernant le Proche-Orient notamment, il revient
au micro de Xavier Sartre sur ces relations pas toujours faciles mais pas impossibles
:
Lisez
le texte intégral de l'interview :
« Il est important de se rendre
compte que le dialogue doit commencer dans la rue. C’est d’abord une rencontre de
voisinage entre des gens qui vivent ensemble sur le même territoire, dans les mêmes
cités, dans les mêmes rues et qui ne sont pas pareils. Mais ils sont pareils sur un
point, ce sont tous des citoyens. Si le dialogue n’est pas conçu comme une rencontre
entre ces personnes-là, ça reste extrêmement abstrait et ça ne résout pas grand-chose.
La deuxième chose c’est qu’aujourd’hui, le dialogue inter-religieux
est à un niveau international. Étant donné la situation internationale, c’est quelque
chose de nécessaire comme moyen de construire la paix. On est dans des situations
de violence, de conflit, de société et de relations internationales tout à fait perturbées
dans une partie du monde. On a parlé du Nigéria, on peut parler du Moyen-Orient. Les
solutions ne sont pas que politiques, il y a aussi la nécessité de cette rencontre
sur le terrain de la foi entre des gens qui sont des gens de bonne volonté et qui
sont des gens qui conçoivent la paix comme un don de Dieu.
La troisième
chose, et là ça me touche de très près dans une entreprise que nous avons commencé
à monter en France à la suite de ce qui avait été fait pour l’Irak, pour les chrétiens
d’Irak. On a créé un observatoire sur la situation des minorités religieuses dans
le monde et on observe non pas du point de vue religieux mais simplement on observe
d’abord du point de vue de la citoyenneté de toutes les personnes qui ont une religion.
La liberté religieuse fait partie de la citoyenneté. Il faut permettre à chacun d’exercer
pleinement sa condition de citoyen. Et il y a bien des endroits dans le monde où ce
n’est pas le cas. Le dialogue des religions doit permettre justement de défendre la
citoyenneté de chacun. »
Pour dialoguer, il faut que chaque partie ait
bien conscience de ce qu’elle a, il faut bien se connaitre soi-même. Est-ce qu’on
peut considérer que dans cette optique, les catholiques en particulier ont vraiment
conscience de ce qu’ils sont ?
« La société occidentale est sécularisée,
elle a perdu un peu ce sens des fondamentaux qui fait vivre les personnes. Et ces
fondamentaux, il faut absolument les retrouver. Nous sommes en grand déséquilibre
par rapport aux musulmans à cet égard. Je le dis aussi librement que ça. Mais précisément
le dialogue nous renverra à nous-mêmes. C’est aussi un avantage du dialogue. Ça doit
nous conduire à nous encourager à chercher nous aussi qui nous sommes. Évidemment,
le danger quand on ne sait vraiment pas qui on est, c’est de se laisser prendre par
l’autre. Et c’est surtout notable chez les jeunes. Mais je pense que rencontrer de
vrais croyants, ça nous aide à l’être nous-mêmes un peu plus. »
Il
y a toujours autant de violences commises sinon plus et cela au nom de la religion.
Ça ne veut pas dire évidemment que la religion cautionne toutes ces violences. Comment
fait-on concrètement pour aller au-delà des bonnes paroles, et des bonnes intentions
?
« Première chose, dénoncer l’instrumentalisation de la religion. C’est
déjà très important. Jean-Paul II l’a fait, Benoît XVI l’a fait. Des responsables
musulmans le font. Dénoncer ensemble l’instrumentalisation de la religion. A un moment
donné, les responsables de l’Islam en France n’osaient pas trop s’associer à nous
par exemple pour condamner ce qui se passait en Irak. Aujourd’hui ils osent et on
a fait un grand pas en avant et je suis convaincu que ça aidera à arrêter cela mais
ça n’empêchera jamais que des gens se servent de la religion. Ça ne veut absolument
pas dire que ces gens croient. Ce n’est pas au nom de la foi, c’est au nom de la religion
qu’ils le font. Cette distinction est de mon point de vue extrêmement importante parce
qu’au fond, on confond souvent foi et religion. Surtout, eux se présentent comme des
croyants. Mais eux-mêmes ne savent pas que leur motivation sont tout sauf des motivations
liées à la la foi. Il faut le dire et le dire très fort. On n’a malheureusement pas
plus de moyen, je n’en vois pas. »
(Photo : Chrétiens et musulmans
priant ensemble, à Zamboanga, aux Philippines)