En Inde, bientôt une loi contre les méfaits de la magie noire ?
En Inde, Narendra Dabholkar, qui luttait depuis des années pour la mise en place d’une
loi interdisant les pratiques liées à la magie noire, a été abattu mardi 20 août par
des personnes non identifiées. Face au vaste mouvement d’indignation qui a secoué
tout l’Etat, le gouvernement du Maharashtra a annoncé que la loi de Narendra Dabholkar
serait présentée en urgence au Parlement.
Le militant a été abattu en pleine
rue mardi matin, à Pune, alors qu’il sortait de son bureau. Il y dirigeait une revue
hebdomadaire proche de l’Association rationaliste indienne. Selon les témoins, Narendra
Dabholkar a été visé à bout portant par deux hommes qui se sont ensuite enfuis à moto.
Il est décédé de ses blessures à l’hôpital.
Plusieurs partis politiques ont
condamné l’assassinat et appelé à un bandh (grève générale accompagnée d’une « opération
ville morte ») dès l’annonce du décès. Le ministre-président de l’Etat du Maharashtra,
Prithviraj Chavan, a offert une rançon de plusieurs milliers de roupies à quiconque
apporterait des informations sur les meurtriers. A Pune mais aussi à Bombay (Mumbai)
ainsi que dans plusieurs villes de l’Etat, de très nombreux manifestants ont protesté
contre le meurtre du militant et dénoncé le tabou pesant sur la pratique de la magie
noire en Inde.
Le combat d'une vie contre les pratiques rituelles inhumaines
Menant
depuis plus de dix ans une campagne avec son association Maharashtra Andhashraddha
Nirmoolan Samiti (MANS), appelée aussi Committee for the Eradication of Blind Faith,
visant à interdire les pratiques rituelles « obscurantistes et dangereuses», Narendra
Dabholkar s’était attiré l’inimitié féroce des extrémistes hindous, et en particulier
de l’Hindu Janajagruti Samiti (HJS), du puissant Bharatiya Janata Party (Parti du
peuple indien, BJP), du Shiv Sena, mais aussi de la secte des Varkaris, très influente
dans la région. Ces derniers lui reprochaient de vouloir détruire les traditions et
les croyances hindoues en décrédibilisant les pratiques liées à la magie noire ou
tantrique.
Il existe un important tabou en Inde sur l’existence de ces rituels,
et les médias eux-mêmes hésitent à écrire sur le sujet. Il arrive cependant que quelques
« faits divers » sordides fassent la Une des journaux indiens, rappelant le profond
ancrage de la magie noire dans certaines régions de l’Inde et en particulier dans
les zones où sont attestés de longue date la pratique de cultes tantriques liés à
Shiva ou à Kali (Chhattisgarh, Maharashtra, Bengale Occidental, Orissa, Bihar, etc.).
Ce fut le cas par exemple en novembre 2010 lorsqu’un « guérisseur » fut été arrêté
pour pratique de la magie noire, après la découverte de plusieurs cadavres d’enfants
à son domicile, portant les traces d’un rituel sacrificiel.
Une opposition
féroce de milieux hindouistes
Le projet phare de Narendra Dabholkar était
la loi qu’il essayait vainement de faire voter par le Parlement du Maharashtra. Ce
projet intitulé « Loi sur la prévention et l’éradication des sacrifices humains et
autres pratiques inhumaines, malfaisantes, des Aghoris et [autres adeptes] de la magie
noire » était en examen à l’Assemblée depuis août 2011. Il y avait été présenté pour
la première fois il y a dix-huit ans et modifié plus d’une vingtaine de fois, en raison
de l’opposition de différents groupes de pression hindouistes au Parlement.
«
Je me bats contre des pratiques religieuses qui ont plus de 5 000 ans », avait-il
déclaré à l’Indian Express peu avant son assassinat, expliquant ne pas vouloir s’opposer
à la croyance en Dieu ou à la religion elle-même, mais aux « faux hommes saints »
et aux sacrifices et rituels magiques « néfastes et archaïques ». « Dans l’ensemble
du projet de loi, on ne trouve pas un seul mot à propos de Dieu ou la religion »,
avait-il également fait valoir dans une interview à l’AFP. « La Constitution indienne
autorise la liberté de religion et personne ne peut revenir là-dessus, il s’agit uniquement
d’interdire des pratiques qui sont le fait de charlatans. »
Peut-être finalement
une loi contre la magie noire
Le combat que menait Narendra Dhabolkar ne
semble en effet pas avoir été vain puisque le lendemain même de son assassinat, et
à l’issue des manifestations houleuses de la journée, le ministre-président de l’Etat
a signé une ordonnance, ce mercredi 21 août dans la soirée, afin de promulguer le
projet de loi « anti-superstition » du militant. Le texte n’attend plus que la validation
du gouverneur pour être présenté au vote définitif de l’Assemblée.
Si le projet
est définitivement adopté, il sera, dans une Union indienne qui connait beaucoup de
lois anti-conversion, la première à sanctionner les « pratiques superstitieuses et
la magie noire ». (Avec Eglises d'Asie)
(Photo: manifestations contre la
mort de Narendra Dhabolkar)