La guerre civile se poursuit en Syrie, et apporte son lot quotidien de chaos et de
destruction. L’on compte désormais plus de 100 000 morts, et près d’1,8 million de
réfugiés dans les pays voisins. En Jordanie, leur nombre dépasse à présent les 600
000, et ils représenteront 40% de la population en 2014. Le camp de Zaatari, situé
à une vingtaine de kilomètres de la frontière syrienne, symbolise à lui seul cette
effrayante réalité. Ouvert en août 2012, ce camp, temporaire à l’origine, était prévu
pour accueillir 5 000 personnes. Elles sont aujourd’hui quelque 150 000 : le camp
est devenu une ville, la quatrième de Jordanie par sa population. Il comprend, entre
autres, trois hôpitaux, deux écoles, un important centre de distribution de nourriture. Marco
Rotunno est depuis 3 ans chef de mission pour une ONG espagnole (Fundacion Promocion
Social de la Cultura). Les programmes de développement qu’il s’occupait de mettre
en place auprès de la population jordanienne, se sont vite transformés en action d’urgence
pour les réfugiés syriens, principalement dans le camp de Zaatari, dont il sillonne,
une fois par semaine, les chemins poussiéreux.
C'est un sujet réalisé par
Manuella Affejee :
Les tentes
du HCR s’étendent à perte de vue : le camp de Zaatari se déploie au milieu du désert
jordanien, sous un soleil brûlant. Zaatari, c’est à la fois un camp, une ville, un
microcosme, qui possède son organisation propre.
La zone la plus ancienne
du camp est une sorte d’agglomération de tentes, fermées entre elles, comme pour former
une petite communauté, où il est pratiquement impossible d’entrer. Vous avez une zone
surpeuplée, où il y a de nombreux problèmes d’hygiène. Pour avoir un peu d’intimité,
ils construisent des toilettes à l’intérieur même de leurs tentes, en s’aidant des
toilettes publiques du camp qu’ils démontent pièce par pièce … Ces toilettes publiques,
du coup, ne fonctionnent plus et ont besoin d’être réparées une fois par semaine.
Le point positif, c’est le climat sec qui empêche la prolifération d’épidémies. Mais
nous restons toujours en alerte, parce qu’il y a encore des cas de diarrhée aigüe,
en plus des épidémies d’hépatite A et de choléra que nous avons eues.
Surpeuplement,
promiscuité, les conditions de vie sont intenables. Les distributions de nourriture
et de vêtements tournent vite à l’émeute, et les quelque 50 policiers jordaniens préposés
à la sécurité du camp, sont très vite dépassés. Les humanitaires subissent les
foudres d’une population aux abois. Attaques et menaces ne sont pas rares : le travail
des ONG n’en est que plus difficile.
Ils sont fermés en petites communautés,
toujours sur le qui-vive, très soupçonneux, même envers les ONG. Notre but est de
réussir à gagner leur confiance, parce qu’ils n’en ont pas. Ils ont cette vision de
l’Occident qui n’aide pas la rébellion. L’aide que nous leur apportons est vue comme
partie intégrante d’un système qui veut les maintenir dans le camp. Certains sont
ici depuis 1 an, et nous disent que si la situation perdure, c’est parce que nous
ne faisons rien…
70% de la population de Zaatari sont des femmes et des
enfants… Ils arrivent principalement du sud de la Syrie, épicentre de la guerre civile.
Ils
sont presque tous du camp des rebelles. Les maris sont restés à combattre en Syrie
; les familles qui arrivent, sont donc essentiellement composées de femmes et d’enfants.
Il y a beaucoup de personnes âgées qui sont arrivées ces dernières semaines. Il y
a aussi des cas où les épouses laissent leurs enfants dans le camp, et retournent
auprès de leurs maris, pour leur apporter les choses dont ils ont besoin… Vous avez
également des cas de recrutement, parce que vous avez des enfants, mais aussi de jeunes
garçons de 13-14 ans… Et il y a des camions qui vont et viennent autour du camp :
ils les recrutent pour retourner combattre en Syrie.
Recrutements pour
les jeunes garçons, et ventes de fillettes, destinées au mariage.
Il y a
beaucoup de personnes, pas seulement des Jordaniens, mais surtout des gens des pays
du Golfe, qui viennent s’acheter des épouses syriennes. Pour se marier, on doit payer
la famille de la jeune fille. Si la famille, comme c’est le cas ici, est une famille
de réfugiés, la jeune fille coutera moins cher. Vous avez donc, dans le camp de Zaatari,
et ailleurs, un système d’achat-vente de jeunes filles, qui ont 11-12-13 ans… Dans
beaucoup de cas, la jeune fille ne reste pas l’épouse de celui qui l’a achetée. Beaucoup
de jeunes filles, après une semaine d’abus, retournent dans leurs familles, parce
qu’elles ont été abandonnées, littéralement laissées sur le bord de la route.
Les
ONG sont à pied d’œuvre, et la tâche reste colossale… Mais Marco, témoin quotidien
de cette réalité déconcertante, garde espoir.
Ce sont les regards qui me
touchent beaucoup, ceux des personnes qui viennent d’arriver. C’est un regard qui
en dit long sur leur voyage… Ils ont tout perdu, ils ont marché des kilomètres. Et
de l’autre côté, vous avez ces nombreux enfants qui ont encore cette énergie… Et ça,
ça vous redonne de l’espoir. On peut encore faire quelque chose, tout n’est pas perdu
!
La tragédie humanitaire continue, et le flux de réfugiés, qui s’était
amoindri avec le Ramadan, devrait de nouveau s’intensifier.