800 morts pendant le Ramadan : la politique nihiliste d'Al Qaida en Irak
« L'Etat islamique en Irak et au Levant » revendique la vague d'attentats qui a fait
74 morts et 320 blessés, samedi 10 août, en Irak pendant la fête de fin du Ramadan.
A Bagdad, théâtre de la majorité de ces attaques, 11 attentats coordonnés à la voiture
piégée ont fait 47 morts.
Dans un communiqué publié sur des sites jihadistes,
cette branche locale d'Al-Qaïda évoque un « message de dissuasion au troisième jour
de l'Aïd el-Fitr », en réponse à des opérations des forces de sécurité irakiennes.
Il promet aux chiites qu’ils « ne connaîtront la sécurité ni la nuit ni le jour, ni
le jour de l'Aïd ni aucun autre ».
Une violence pour alimenter le conflit
confessionnel et déstabiliser le pays
Au lendemain des attaques à Bagdad,
les forces de sécurité ont renforcé les contrôles aux barrages routiers, provoquant
de vastes embouteillages. Mais malgré ce dispositif, habituel après des attentats,
de nouvelles violences ont fait six morts. Un engin explosif a provoqué la mort de
trois soldats au sud de Bagdad, deux miliciens ont été abattus près de Baqouba et
un homme qui franchissait un barrage policier à vive allure a été tué par un policier
à Mossoul, au nord du pays.
L'Irak a connu son mois de Ramadan le plus sanglant
depuis 2008, avec plus de 800 personnes tuées, selon un bilan établi par l'Agence
France Presse. La communauté internationale a condamné ces attentats perpétrés par
« des ennemis de l’Islam » pour les Etats-Unis qui rappellent qu'une prime de 10 millions
de dollars était offerte pour toute information permettant de « tuer ou capturer Abou
Bakr al-Baghdadi », le chef de l'Etat islamique en Irak et au Levant. Cette déferlante
de violence visent « clairement à alimenter le conflit confessionnel et à déstabiliser
le pays » pour le ministre britannique chargé du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.
Alistair Burt exhorte « tous les responsables politiques, religieux et communautaires
à travailler ensemble pour combattre ce type de violences ».
Pour leur part,
la plupart des dirigeants irakiens, notamment le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki,
sont restés silencieux. En Irak, les attentats se greffent sur des mois de manifestation
menée par la minorité sunnite qui dénonce les discriminations dont elle serait victime.
Le gouvernement, dominé par des chiites, a depuis fait quelques concessions, libérant
notamment plusieurs milliers de prisonniers.
Pourquoi le gouvernement n’arrive-t-il
pas à contrôler ces violences ? Les explications de Pierre-Jean Luizard, spécialiste
de l’Irak, directeur de recherche au CNRS
« Le
gouvernement irakien manque d’une institution essentielle : l’Etat ». Pour le directeur
de recherche au CNRS, les Américains n’ont jamais réussi a reconstruire un état digne
de ce nom en Irak. Le gouvernement est accaparé par un classe politique dont la base
est communautaire et provinciale, d’où « un blocage total du fonctionnement des institutions
». Il est très facile de rentrer dans le confessionnalisme politique et très difficile
d’en sortir, explique Pierre-Jean Luizard.
La politique nihiliste d’Al Qaida
en Irak
Depuis le début « Al Qaida et la mouvance jihadiste internationale
profite du caractère non viable des institutions irakiennes ». Le chercheur évoque
la politique de la terreur menée à l’égard des chiites dans les années 2006 2008 et
encore aujourd’hui, mais souligne qu’il s’agit d’ une « politique très largement nihiliste.
Al Qaida n’a pas de but politique précis pour l’Irak, autre que d’en faire une terre
brulée et d’y piéger les Américains, parce qu’il est clair que si les violences continuent
au rythme actuel, les Etats Unis en pourront pas rester les bras croisés. Et c’est
probablement l’unique objectif d’Al Qaida : de mettre en échec les Etats Unis dans
ce qui devait être à l’origine le modèle de démocratie arabe pour les autres pays
de la région ».
Le Pentagone a annoncé la semaine dernière avoir soumis au
vote du Congrès plusieurs contrats d’armement passé avec le gouvernement irakien.
L’équivalent de 5 milliards de dollars de vente d’armes. « Les Etats Unis investissent
énormément en Irak, en argent et en armement, parce qu’il est très important pour
eux que le système politique qu’ils ont fondé ne s’effondre pas. Il y a véritablement
un risque et ce serait un véritable revers ». Cet investissement est toutefois pour
le spécialiste de l’Irak « un aveu d’impuissance parce que le problème n’est pas militaire
et qu’il n’y a rien de plus facile que de posé des bombes. »
L’importance
du gouvernement en place
Si le gouvernement chutait, ce serait « un retour
à la case zéro pour les Américains. La preuve que « leur occupation, leur guerre et
leurs interventions se termine par un échec flagrant et sanglant, un échec politique
que Al Qaida recherchent et ce sera le signal qu’il n’y a pas d’autres lois que la
violence pour se protéger. C’est le cas des chiites qui ne savent plus à quel saint
se vouer pour être protégés, même leur propre gouvernement et dirigeants religieux
semblent incapables de mettre un terme à cette spirale de la violence.