Trois mois avec le Pape François, son style, sa parole
Il y a 3 mois, le 13 mars, après un conclave d’un jour et demi, l’archevêque du Buenos
Aires, le cardinal Jorge Mario Bergoglio devenait le 266 ème pape de l’Église catholique
sous le nom de François.
La désarmante simplicité du personnage, sa jovialité,
son langage accessible et sa surprenante sincérité conquièrent d’emblée les foules.
C’est un lien symbiotique qui s’établit dès le départ entre « Francesco » et les fidèles.
Trois
mois après, l’engouement populaire et médiatique ne se dément pas. Fidèles et touristes
accourent en nombre place St Pierre, aux audiences générales, aux angélus du dimanche.
On veut voir le Pape, l’écouter, lui offrir des cadeaux, lui présenter les enfants,
les malades ; on veut le toucher, si possible lui parler. François fait l’unanimité
: « Il apporte quelque chose de frais, de joyeux dans l’Eglise ! ».
Un Pape
décomplexé, une parole libre
La jungle médiatique est également sensible
à « l’effet François », elle le répercute, et l’alimente. Les gestes du Pape argentin
sont scrutés à la loupe, aussitôt interprétés. Ses gestes… et ses propos. Et c'est
nouveau au Vatican. François parle volontiers, prend plaisir à s'exprimer. C'est une
parole décomplexée qui fait mouche, une petite révolution. Homélies du matin, audiences
privées et publiques, interventions faites « a braccio », c’est-à-dire sans texte
écrit, lettres envoyées et appels téléphoniques à des amis : presque tout est porté
à la connaissance du public, sans qu’il l’ait forcément voulu et prévu.
Ce
style décapant et cette parole libre, -souvent difficiles à gérer pour les communicants
et journalistes présents au Vatican-, demeurent les traits marquants de ces trois
premiers mois de pontificat.
Nous avons recueilli l’avis de Jean-louis de
la Vayssière, vaticaniste, correspondant de l’agence France Presse à Rome. Il est
interrogé par Manuella Affejee :
Ci-dessous
l’entretien avec Jean-Louis de la Vayssière, réalisé par Manuella Affejee :
Ah
c’est très frappant et c’est tous les jours qu’on a des surprises ! Des surprises
qui ne sont pas forcément faciles. Ce matin, nous avions une rencontre avec un discours
prévu d’avance, le pape rencontrait le conseil permanent du synode sur la nouvelle
évangélisation, et là, il a carrément improvisé un dialogue, posant beaucoup de questions.
On n’entendait pas très bien les questions, les réponses, et là il faut absolument
réagir à cela, parce que c’est souvent à ces moments là qu’il dit des choses les plus
spontanées, les plus importantes.
Comment est-ce que vous arrivez, à faire
la part des choses, à vous organiser, à percevoir ce qui est important, à savoir ce
qui ne l’est pas…. ?
Il parle énormément. Il y a cette messe tous les jours
à Ste Marthe, où il s’adresse à un petit groupe de fidèles, -comme un curé, un petit
peu-, avec des formules qui frappent, qui vont dans le cœur des gens. De temps en
temps, il se répète aussi. Donc il faut faire le tri de toutes ces choses. Moi, en
tant qu’agence de presse généraliste, je ne reprends pas les moindres déclarations,
parce que ce serait un peu lassant pour le lecteur. Mais j’essaie de faire ressortir
les points forts, des expressions marquantes, pas seulement pour le sensationnel,
mais pour montrer comment il revivifie l’Evangile en fait. A mon avis, ce pape dit
la même chose que Benoît XVI. Benoît XVI le disait peut-être plus finement, plus en
profondeur, mais ce pape va dans le cœur des gens… Je pensais encore ce matin, je
me disais, hier à l’audience, il a parlé du travail des enfants, il a parlé du diable,
il a parlé des disputes familiales… je me suis dit, dans les bidonvilles des grandes
villes du monde, tous ces gens qui écoutent ça à la radio, via Radio Vatican souvent,
ça les touche, parce que c’est leur vie quotidienne.
Plusieurs fois aussi,
il faut l’admettre, il y a eu quelques petits couacs… Comment interpréter ces paroles
du Pape ? Se rend-il compte de l’impact que cela aura dans les médias ?
Je
pense que c’est un homme malin, mais un homme très honnête. Et donc il va un peu bousculer
les choses, il va dire les choses plus franchement, plus avec cette « langue feutrée
» qu’on entendait trop souvent dans l’Eglise. Donc il y a cette volonté de choquer
peut-être, par des expressions fortes, quand il parle des « bonnes sœurs », qui peuvent
ressembler à des vieilles filles, etc. C’est un peu choquant, et ça peut susciter
des critiques dans certains milieux religieux, à juste titre. Mais, il a cette volonté
de faire circuler un air frais dans l’Eglise, en fait. Mais effectivement, par ailleurs,
ça pose des problèmes d’authenticité : quelle est la force de chaque parole ? Et les
cardinaux le disent : la parole n’est pas aussi forte quand il parle à Ste Marthe,
quand il fait un discours dans la basilique St Pierre devant des évêques réunis, ce
n’est pas du tout le même portée. Mais effectivement, pour les médias, ce sera la
même chose. Et de temps en temps, ses propos sont rapportés par d’autres, comme ça
a été le cas, il y a deux jours, sur la corruption dans l’Eglise, le « lobby gay »,
etc. Ca fait « boule de neige », bien sûr, et les médias ont à l’affût de certains
sujets.
Vous venez à l’instant d’évoquer cette parole, qui était peut-être
parfois un peu trop « feutrée » dans l’Eglise. Et on a constaté qu’il y avait une
certaine libération de la parole… On l’a constaté lors des congrégations générales,
avec les cardinaux, après le conclave, et c’est maintenant le « boom », si on peut
s’exprimer ainsi, avec le pape François… C’est salutaire pour l’Eglise ?
Je
pense que c’est salutaire , parce qu’il ne s’agit plus seulement de s’adresser à un
petit troupeau… On disait souvent cela du pontificat de Benoît XVI, il voulait vraiment
des gens convaincus, c’était surtout pour les initiés. Maintenant, cette idée des
« périphéries existentielles », d’aller vers les gens, dans leur situation, pas seulement
de pauvreté matérielle, mais aussi de pauvreté morale et spirituelle, dans toutes
les situations, dire que le Christ les accueille. C’est cette parole directe, qui
peut être imprudente, mais qui, à mon avis, est utile.
Et vous, en tant
que journaliste, là je parle d’un point de vue strictement personnel et professionnel,
tous ces changements, ces bouleversements qu’on constate, est-ce que c’est stimulant
pour vous ? C’est au contraire un peu une « prise de tête » ?
Non, non,
c’est très stimulant. Mais par moment, ça va un peu dans tous les sens. On a du mal
à ordonner ses pensées, savoir…. Il y a aussi énormément d’analyse… Ce pape suscite
énormément d’analyse, de spéculations, on sent déjà que la presse italienne voudrait
en faire tel personnage, les Allemands voudraient en faire un autre, etc. (…) A mon
avis il veut que l’Evangile arrive à tout le monde. C’est ce vent d’air frais qui
nous est arrivé, et qui n’est pas toujours facile à gérer… Mais tout ce qui se fait
avec François a été préparé par Benoît. Parce qu’il a travaillé sur le long terme,
il a travaillé pour apurer le message de l’Evangile, dans de très belles homélies,
catéchèses… Une pensée très claire, qui reste le fondement, à mon avis, pour l’Eglise.
Et on a vu ce pape Benoît, on l’a caricaturé comme quelqu’un à contre-courant, fermé
sur le monde… En fait, il avait une immense attention pour le monde. Et donc, pour
moi, ce que dit François, avec beaucoup de talent, c’est le même message… Simplement,
il le revitalise, il le rend proche des gens.