L'usage d'armes chimiques en Syrie est avéré... et après ?
Paris, puis Londres, ont annoncé pour la première fois avoir des preuves de l'utilisation
de gaz sarin en Syrie. "Une ligne a été incontestablement franchie", a déclaré mardi
le chef de la diplomatie française Laurent Fabius après avoir révélé les résultats
d'analyses françaises démontrant l'utilisation de gaz sarin par le régime syrien dans
au moins un cas. "Toutes les options sont sur la table" a-t-il commenté. S'abstenant
prudemment de parler de "ligne rouge", l'expression utilisée par le président américain
Barack Obama en août 2012, M. Fabius a donné un éventail très large des "options"
possibles, d'une absence de réaction jusqu'à des frappes ciblées sur les dépôts de
gaz en Syrie. Les Etats-Unis ont estimé après l'annonce de la France qu'il fallait
"davantage de "preuves".
La diplomatie reste la piste privilégiée
Toute
intervention directe de la communauté internationale en Syrie reste purement théorique
pour le moment. Paris et Londres ont réclamé avant tout un "accès immédiat et sans
conditions" au territoire syrien des enquêteurs de l'ONU. Accès que Damas a toujours
refusé, et la mission d'enquête dirigée par le professeur Ake Sellström rendra un
rapport intérimaire, probablement avant la fin juin, sans avoir pu mettre les pieds
en Syrie. Une saisine du Conseil de sécurité de l'ONU est alors envisagée, selon une
source diplomatique française. Pour obtenir, au minimum, une condamnation.
Sur
le terrain la guerre se poursuit mais l’usage d’armes chimiques apporte-t-il une réelle
supériorité aux forces du régimes ? L’analyse de Patrice Bouveret, directeur de
l’Observatoire des armements, interrogé par Olivier Tosseri
Gaz
sarin en Syrie : les contradictions des Occidentaux
Le ministre français
des Affaires Etrangères Laurent Fabius a annoncé mardi la certitude de la France quant
à l’usage de gaz sarin par le régime syrien. Sur cette question « La France a une
position claire : vérité dite à tout le monde, pas d’impunité, aller vers une conférence
de la paix», affirmait-il sur France 2. La ligne rouge, définie en août dernier par
les chancelleries occidentales comme signal d’intervention, vient en effet d’être
franchie. Dans le même temps, les Etats-Unis, soutenus par leurs alliés, cherchent
à organiser une conférence de la paix avec la Russie, conférence appuyée ce mercredi
par le Pape François. Elle permettrait des négociations entre le régime de Damas et
l’opposition.
Ces deux approches semblent difficilement conciliables. Pour
la directrice du Monde Nathalie Nougayrède, « cela implique de jouer une sorte de
contorsion avec la proclamation de la ligne rouge ». En effet, Laurent Fabius a changé
la formulation en disant « qu’une ligne a été franchie » alors que Barack Obama gagne
du temps, estimant que les preuves ne sont pas suffisantes. Une avancée du côté de
l’intervention militaire, même si elle consistait uniquement à viser les stocks d’armes
chimiques, déclencherait l’ire des Russes et l’annulation de la conférence de la paix
dénommée « Genève 2 ».
Négociations hasardeuses
L’issue de cette
conférence, qui se prépare ce mercredi à Genève par des représentants des Nations-Unies,
des Etats-Unis et de la Russie, est plus qu’incertaine. Si le régime de Bachar Al-Assad
a consenti à y participer, les membres de la Coalition Nationale Syrienne demandent
au préalable la démission du président Assad, la fin des combats et le départ des
combattants étrangers d’Iran ou du Hezbollah. Cette coalition ne représente que partiellement
les rebelles qui se battent actuellement en Syrie. Selon son porte-parole Khaled al
Saleh : « Ce que nous essayons de faire est de mettre en place le cadre de négociations
qui aient un sens » car « nous ne voulons pas donner à Bachar Al-Assad le temps de
tuer plus de Syriens ».
Le bilan est déjà extrêmement lourd : 94 000 morts
depuis le début de la guerre civile et 4,25 millions de personnes déplacées. Les camps
de réfugiés commencent à déstabiliser les pays voisins : principalement le Liban mais
aussi la Jordanie. La tension est forte dans tout le Moyen-Orient, matérialisée aujourd’hui
par l’augmentation du prix du pétrole. Est-il vraiment raisonnable de continuer à
attendre ?
Excès de prudence ?
L’administration Obama cherche
à tout prix à éviter une intervention directe et armée. Par peur de commettre de nouveau
l’erreur irakienne, elle pêche par excès de prudence. Le président demande toujours
plus de preuves : la commission d’enquête de l’ONU dénonce des crimes de guerre depuis
son instauration en août 2011. Le soupçon de l’usage de gaz sarin par le régime de
Bachar Al-Assad a augmenté cette année avec d’abord la publication de vidéos, le récit
de témoins, victimes et médecins.
La France et la Grande-Bretagne affirment
aujourd’hui détenir des preuves fiables, mais ce ne sont pas les « preuves irréfutables
» demandées par les Etats-Unis : elles ne peuvent être fournies que par des enquêteurs
de l’ONU. Ces derniers sont justement bloqués à Chypre depuis des mois car Damas refuse
de les laisser entrer. Il est peu probable que les récentes déclarations facilitent
leur mission.
Les deux camps renforcent pourtant la tension dans la guerre
civile, ce qui ne devrait pas aider le processus diplomatique. La décision de lever
l’embargo sur les armes pour les opposants syriens prise par l’Union Européenne le
27 mai reste valable à partir du 1er août. A cela vient s’ajouter le déploiement de
missiles en Jordanie par l’armée américaine, vivement critiqué par la Russie alors
même que Vladimir Poutine a confirmé que les missiles S-300 seraient bien livrés à
la Syrie. (J. Degosse)