Afrique du Sud : création d'un nouveau parti dissident de l'ANC
C'est une nouvelle grève, qui risque d'aggraver les tensions sociales que connaît
l'Afrique du Sud. Quelque 3.000 mineurs ont cessé le travail mardi pour protester
contre le licenciement d'un collègue. Le site concerné emploie 33.000 mineurs pour
exploiter le plus important gisement de platine au monde.
L'an dernier, la
société d'exploitation du site (Implats) avait été affectée par une grande grève sauvage
de six semaines début 2012, qui avait fait trois morts sur fond de rivalités syndicales. Ce
mouvement social avait eu lieu quelques mois avant que n'éclate un conflit similaire
dans une autre mine à Marikana, point de départ d'une vague de trois mois de grèves
dans tout le secteur.
L'Afrique du Sud connaît actuellement un climat social
et politique difficile. Le rôle des syndicats est pointé du doigt par une société
fortement marquée par le chômage et le parti au pouvoir depuis la fin de l'apartheid,
l'African National Congress (l'ANC), doit aujourd'hui compter avec un nouveau rival
: South Africa First, un parti né de la dissidence de vétérans de la lutte armée contre
l’Apartheid.
Ce nouveau parti, le 4e créé depuis février, se place résolument
à la gauche de l’ANC et compte sur la légitimité de ses membres et de leurs combats
passés pour faire passer leur message et gagner des voix. Toutefois, ce n’est pas
la première fois qu’une telle dissidence apparaît. Les tentatives de ces vingt dernières
années pour déboulonner l’ANC de son piédestal ont toutes failli. Pour Philippe
Gervais Lambony, professeur de géographie à l’Université Paris Ouest Nanterre, le
destin de South Africa First est déjà scellé.
L’ANC
face à ses dissidents
L’ANC (Congrès national africain) domine la vie politique
sud-africaine depuis la fin de l’Apartheid et l’arrivée au pouvoir de Nelson Mandela
en 1994. Le parti représentant la résistance au pouvoir ségrégationniste n’a depuis,
perdu aucune élection présidentielle ou législative. L’ANC semble bénéficier de la
confiance illimitée de la population sud-africaine et rien ne semble venir ternir
cette vision. Certes, il existe d’autres partis politiques mais ils ne sont pas encore
assez représentatifs de la société pour espérer contester l’hégémonie de l’ANC. La
seule vraie menace semble venir des rangs mêmes du Congrès, comme le prouvent les
dissidences qui apparaissent régulièrement.
Dernière en date : celle de vétérans
d’Umkhonto weSize (MK), l’ancienne branche armée de l’ANC. Leur formation, South Africa
First (l’Afrique du Sud d’abord), promet « une alternative crédible pour les masses
». Leur principal reproche envers le parti qu’ils ont quitté est que l’ANC s’est éloigné
de ses racines et a trahi ses idéaux. « La liberté qui est venue en 1994 n’était que
le début. L’ANC n’a pas réussi à faire avancer la nation » explique Eddie Mokhoanatse,
l’un des cofondateurs.
« L’ANC a perdu son chemin, il a été détourné par les
signes extérieurs de richesse distribués à une élite qui a des connexions politiques,
alors que la majorité se languit dans la pauvreté » accuse-t-il. Parmi les propositions
avancées par South Africa First, figurent la redistribution des richesses minières
du pays, la stimulation de l’esprit d’entreprise, la fourniture d’une éducation de
qualité, l’amélioration de l’accès aux soins de santé et la lutte contre la corruption.
Vaine tentative ?
Ce nouveau parti se place résolument à la
gauche de l’ANC et compte sur la légitimité de ses membres et de leurs combats passés
pour faire passer leur message et gagner des voix. Mais ce n’est pas la première fois
qu’une telle dissidence apparait. Toutes les tentatives de ces vingt dernières années
pour déboulonner l’ANC de son piédestal ont toutes failli. Pour Philippe Gervais Lambony,
professeur de géographie à l’Université Paris Ouest Nanterre, le destin de South Africa
First est déjà scellé.
« Il y a toutes les chances que ce soit le même échec
» que par le passé affirme le professeur de géographie. Pourtant les sujets de mécontentement
ne manquent pas : « le chômage a augmenté et touche plus de 30 % de la population
active ; plus de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté selon les estimations
; la politique du logement n’a pas tenu ses promesses ; la réforme agraire n’a pas
été menée à bien ».
« Les déceptions sont donc très nombreuses et se manifestent
à la fois par des mouvements sociaux de contestation souvent violents et de plus en
plus importants et puis par ces soubresauts politiques qui sont des tentatives qui
échouent au moment des échéances électorales » poursuit Philippe Gervais Lambony.
Combat contre la corruption
Parmi les sujets de déception au
sein de la société sud-africaine, et de ras-le-bol au sein de ces dissidents, il y
a la corruption très répandue dans le pays et au sein de l’ANC. « C’est un vrai problème
qui décrédibilise la classe politique de l’ANC ». Aucune surprise donc à voir que
dans les revendications du nouveau parti il y a la volonté de « revenir aux idéaux
moraux et éthiques de la lutte contre l’Apartheid » explique le spécialiste de l’Afrique
du Sud.
L’Afrique du Sud « était un modèle au début des années 1990 de sortie
pacifique d’un régime autoritaire et raciste mais quel est l’idéal actuel ? » s’interroge
Philippe Gervais Lambony. « Cette crise de croissance de la démocratie sud-africaine
se double d’un vrai problème économique » juge-t-il. « La fin de l’Apartheid représentait
l’intégration dans l’économie mondiale. Autant l’ANC a réussi à faire de l’Afrique
du Sud n pays économiquement émergent, autant elle n’a pas réussi à réparer les injustices
du pays et à intégrer l’ensemble des Sud-Africains. »
Au-delà de la contestation
politique, existe une autre forme de contestation qui a fait la une des titres de
la presse il y a quelques mois : la contestation syndicale. Les conflits dans le secteur
des mines principalement, ont mis à jour de nouveaux syndicats, encore petits certes,
qui défient la toute-puissance de la COSATU, très liée à l’ANC et dominant la vie
syndicale du pays. Là aussi, la COSATU demeure intouchable mais l’ensemble de ces
mouvements de protestation indiquent que l’Afrique du Sud est arrivée à une période
charnière de son histoire.
Xavier Sartre
(Photo : une grève
de mineurs sur le site de Carletonville, exploité par AngloGold Ashatni, en octobre
2012)