Lettre du Cardinal Mauro Piacenza aux séminaristes
Le 25 mars de 1995, Jean-Paul II annonça, avec une "Lettre aux Prêtres à l'occasion
du Jeudi Saint", cette décision: "Il apparaît opportune la proposition, proposée par
la Congrégation pour le Clergé, de célébrer dans chaque diocèse une ‘Journée pour
la Sanctification des Prêtres’ à l'occasion de la fête du Sacré-Cœur ». La Fête du
Sacré-Cœur de Jésus a été rendue universelle pour toute l'Église en 1856 par Pape
Pie IX, et se célèbre le vendredi suivant la solennité du Corpus Domini. Cette année
c’est donc le 7 juin. Voici à cette occasion la lettre du Cardinal Mauro Piacenza,
Préfet Congrégation pour le Clergé, aux séminaristes :
LETTRE AUX SEMINARISTES À
L’OCCASION DE LA JOURNEE DE SANCTIFICATION SACERDOTALE (Sacré-Cœur de Jésus. 7 juin
2013)
Très chers séminaristes, Avec la solennité du Sacré-Cœur de Jésus,
se célèbre significativement la journée de sanctification sacerdotale et vu que vous
êtes au séminaire pour répondre de la façon la moins inappropriée possible à la vocation,
je tiens à vous envoyer avec affection cette lettre afin que vous vous sentiez concernés
et que vous sachiez que l’on pense à vous en cette importante occasion. Méditons
ensemble sur la réalité originaire de la vocation divine. Le Saint-Père a mis l’accent
sur le caractère concret de l’amour que tous ceux qui sont prêtres du Christ et de
l’Église doivent pratiquer. Dans l’homélie prononcée à l’occasion de sa première Messe
chrismale (28 mars 2013), le Pape François a dit : « Cela je vous le demande : soyez
des pasteurs avec "l’odeur des brebis". À travers cette image suggestive, le Successeur
de Pierre nous invite à avoir un amour fort et concret pour le Peuple de Dieu, amour
qui comme le Pape l’a encore fait remarquer ne se nourrit pas de motivations purement
humaines ni ne se renforce à travers des techniques d’autosuggestion. C’est la rencontre
personnelle avec le Seigneur, la conscience toujours vive d’être appelé par Lui, qui
donnent la force vraiment supérieure, surnaturelle, qui permet d’être prêtre à l’image
du Bon Pasteur de tous les hommes, le Christ Jésus. Mais pour être ainsi demain vous
devez vous préparer aujourd’hui. Le Pape François a rappelé en termes très clairs
la primauté de la grâce dans la vie sacerdotale : « Ce ne sont pas précisément dans
les auto-expériences ou les introspections répétées que nous rencontrons le Seigneur
: les cours pour s’aider soi-même dans la vie peuvent être utiles, mais vivre notre
vie sacerdotale en passant d’un cours à l’autre, de méthode en méthode, pousse à devenir
pélagiens, à minimiser le pouvoir de la grâce » (ibidem). Pour le disciple, marcher
avec le Christ, marcher dans la grâce, signifie prendre sur ses épaules, avec une
joie spirituelle, le poids de la croix sacerdotale. Écoutons encore l’enseignement
du Saint-Père à ce sujet : « Quand nous marchons sans la croix, quand nous édifions
sans la croix et quand nous confessons un Christ sans croix, nous ne sommes pas disciples
du Seigneur : nous sommes mondains » (Homélie de la messe avec les cardinaux, 14 mars
2013). Au contraire, vivre notre ministère comme service du Christ de la croix empêche
de considérer l’Église comme une organisation humaine, « une ONG d’inspiration religieuse,
mais non l’Église, Épouse du Seigneur » (ibidem). À la lumière de ces premiers
enseignements magistériels du Pape François, je vous invite à lire votre vie comme
un don de Dieu et, en même temps, comme une tâche qui vous est confiée non simplement
par les hommes mais quoiqu’à travers la nécessaire médiation ecclésiale, en dernière
instance, par le Seigneur lui-même, qui a un plan pour votre vie et pour celle des
frères que vous serez appelés à servir. Il est nécessaire de relire toute notre
vie non seulement comme une réponse généreuse de la personne humaine, ce qu’elle est
clairement, mais comme un appel divin. Il s’agit de cultiver en nous-mêmes la sensibilité
vocationnelle qui interprète la vie comme un dialogue continu avec le Seigneur Jésus,
ressuscité et vivant. À chaque époque, le Christ a appelé et appelle certains hommes
à Le suivre de plus près, leur faisant part de Son sacerdoce ce qui implique qu’à
chaque période de l’histoire de l’Église, le Seigneur ait tissé un dialogue vocationnel
avec les fidèles qu’Il choisissait pour qu’ils soient ses représentants au sein du
Peuple de Dieu ainsi que des médiateurs entre le Ciel et la terre, en particulier
à travers la célébration liturgique et sacramentelle. On peut en effet dire de la
liturgie qu’elle ouvre grand le Ciel sur la terre. Dans cette perspective, vous
êtes appelés par l’ordination sans aucun mérite à être des intermédiaires entre Dieu
et le peuple et à rendre possible la rencontre salvifique à travers la célébration
des mystères divins. À cet appel, vous avez répondu, malgré vos limites, avec joie
et générosité. Il est nécessaire que vous gardiez toujours vive la jeunesse de votre
cœur : «Nous devons vivre la foi avec un cœur jeune, toujours : un cœur jeune, même
à soixante-dix ou quatre-vingts ans ! Cœur jeune ! Avec le Christ, le cœur ne vieillit
jamais !» (le Pape François, Homélie du Dimanche des Rameaux, 24 mars 2013, n° 3). La
jeunesse de l’esprit sacerdotal, ferme dans sa vocation, est garantie par la prière,
c’est-à-dire par une attitude, continuellement entretenue, de silence intérieur, qui
favorise chaque jour l’écoute de Dieu. Cette ouverture continue du cœur s’opère naturellement
à l’intérieur d’une stabilité qui une fois prises les décisions fondamentales de la
vie est capable, avec l’aide de la grâce, de rester fidèle jusqu’à la fin de la vie
terrestre aux engagements solennellement pris. Mais cette solidité nécessaire n’implique
pas une fermeture du cœur aux appels de Dieu, car le Seigneur, tout en nous confirmant
chaque jour dans la vocation fondamentale, est toujours à la porte de notre cœur et
frappe (cf : Ap 3,20), attendant que nous Lui ouvrions avec la même générosité que
celle avec laquelle nous Lui avons dit notre premier « fiat », imitant la disponibilité
de la Vierge Mère de Dieu (cf. Lc 1,38). Nous ne pouvons donc jamais mettre des limites
au plan que Dieu a pour nous et qu’Il nous communique, jour après jour, tout au long
de notre vie. Cette ouverture vocationnelle représente aussi la voie la plus sûre
pour vivre la joie évangélique. C’est en effet le Seigneur qui nous rend vraiment
heureux. Notre joie ne vient pas de satisfactions mondaines qui réjouissent brièvement
et s’évanouissent rapidement, comme l’a noté dans son premier discernement spirituel
saint Ignace de Loyola (cf. Liturgie des Heures, Office des lectures du 31 juillet,
IIe lecture). Notre joie, c’est le Christ ! Dans le dialogue quotidien avec Lui, l’esprit
se ranime et l’élan se renouvelle sans cesse ainsi que le zèle pour le salut des âmes. Cette
dimension de prière de la vocation sacerdotale nous rappelle encore d’autres aspects
de grande importance. Le premier de tous, le fait que les vocations s’obtiennent non
pas principalement à travers une stratégie pastorale mais surtout en priant. C’est
ce que nous a enseigné Jésus : « Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des
ouvriers à sa moisson » (Lc 10,2). Commentant ces paroles évangéliques, Benoît XVI
notait : « Nous ne pouvons pas simplement "produire" des vocations, celles-ci doivent
venir de Dieu. Nous ne pouvons pas, comme c'est peut-être le cas pour d'autres professions,
à travers une propagande bien ciblée, à travers, pour ainsi dire, des stratégies adaptées,
simplement recruter des personnes. L'appel, partant du cœur de Dieu, doit toujours
trouver la voie du cœur de l'homme (Rencontre avec le Clergé de Bavière, 14 septembre
2006). Vous, chers séminaristes, vous êtes appelés par le Seigneur mais beaucoup de
gens dispersés dans le monde entier ont collaboré et collaborent toujours à votre
réponse par leurs prières et leurs sacrifices. Ayez de cela une conscience reconnaissante
et unissez-vous à ces personnes pour favoriser d’autres réponses à la vocation. Et
puis, à la primauté de la prière vient s’associer aussi, en tant que canal de cette
grâce divine, l’action d’une pastorale vocationnelle saine, motivée et enthousiaste
de la part de l’Église. En ce qui concerne cette collaboration de l’Église à l’œuvre
divine qui donne des pasteurs au Peuple de Dieu et au Corps Mystique du Christ, il
est opportun de rappeler très brièvement certains traits qui doivent la distinguer,
à savoir : l’estime pour les vocations sacerdotales, le témoignage de vie des prêtres,
l’œuvre spécifique des formateurs dans les séminaires. Il est avant tout nécessaire
qu’il y ait dans l’Église de l’estime pour la vocation sacerdotale, vu que la Communauté
des disciples du Christ ne peut subsister sans le service des saints ministres. De
là le soin qu’il faut prendre du sacerdoce, l’attention et la révérence qu’il faut
avoir pour lui. En second lieu, les vocations sont très favorisées, comme on le sait,
par l’exemple et le soin dont les prêtres les entourent. Il est difficile qu’un prêtre
exemplaire ne sollicite pas dans l’esprit des jeunes cette question : ne suis-je pas
appelé moi aussi à une vie si belle et si heureuse ? C’est précisément de cette façon
que les prêtres sont des canaux à travers lesquels Dieu fait résonner l’appel divin
dans le cœur de ceux qu’Il a choisis ! Les prêtres ensuite prendront soin des germes
de vocation qu’ils découvriront dans l’âme des jeunes à travers la Confession sacramentelle,
la direction spirituelle, la prédication et l’animation pastorale. De cela, je crois
que beaucoup d’entre vous sont témoins et bénéficiaires. Je voudrais dire aussi
un mot du rôle important de ces prêtres auxquels les Évêques confient votre formation.
Les formateurs de séminaires sont appelés à continuer et à approfondir le soin qu’ils
apportent aux vocations sacerdotales et à fournir en même temps toutes les aides
appropriées au nécessaire discernement personnel de chaque candidat. Sur ce point,
il faut rappeler les deux principes qui doivent guider l’évaluation de la vocation
: l’accueil cordial et la juste sévérité. S’il est opportun d’éviter tout préjugé
comme, d’ailleurs, tout rigorisme quand on reçoit des séminaristes, il est, d’un autre
côté, très important de s’interdire soigneusement tout laxisme et toute négligence
dans le jugement que l’on porte sur eux. L’Église a certainement besoin de prêtres,
mais pas de n’importe quelle sorte de prêtre ! L’amour qui accueille doit ainsi s’accompagner
de la vérité qui juge clairement si, pour un candidat donné, sont présents ou non
les signes de la vocation et les composantes humaines nécessaires à une réponse fiable
à celle-ci. L’urgence pastorale des Églises ne peut inciter à conférer le saint ministère
dans la hâte. En cas de doute, au contraire, il vaut mieux prendre le temps nécessaire
et procéder aux évaluations qui s’imposent sans exclure le refus des candidats qui
n’offriraient pas de garanties suffisantes. Très chers séminaristes, j’ai voulu
par ces brèves indications attirer à nouveau notre attention spirituelle sur le don
immense et sur le mystère absolument gratuit de notre vocation spéciale. Confions
à l’intercession de sainte Marie et de saint Joseph le don de la fidélité et de la
persévérance dans l’appel divin qui, par pure grâce, nous a été offert et cherchons
à répondre à la générosité divine, qui envoie toujours des pasteurs pour son troupeau,
avec un élan apostolique renouvelé. Soyez persévérants en vous rappelant toujours
que le nom de l’amour dans le temps est "fidélité". Chaque jour, avec attention
et affection je me souviens de vous dans ma prière et de tout mon cœur j’implore sur
vous la bénédiction divine ! Cardinal Mauro Piacenza Préfet Congrégation pour
le Clergé