En Afghanistan, elles sont battues, en fuite, emprisonnées ou tuées
Le retrait est prévu pour 2014 et rien ne semble résolu... Quel sera le sort de l’Afghanistan
après le départ des soldats de la coalition étrangère ? La semaine dernière, deux
attaques ont visé des organisations internationales : les bureaux de l'Organisation
internationale pour les Migrations à Kaboul, au cœur même de la capitale et quelques
jours plus tard ceux de la Croix-Rouge à Jalalabad dans l’est, une organisation respectée
pour sa neutralité et présente dans le pays depuis 26 ans.
Les travailleurs
expatriés doivent se résoudre au fait que personne n'est à l'abri à l'approche du
retrait occidental, mais celles qui craignent le plus pour leurs vies sont les femmes.
Sous le régime des talibans de 1996 à 2001, elles ne pouvaient aller à l’école,
travailler ou avoir une quelconque activité publique. Aujourd’hui, les pressions de
la communauté internationale et la présence des soldats de l’ISAF leur garantissent
ces droits, mais elles redoutent une radicalisation de la société afghane, une fois
ces derniers partis. 2014, c’est aussi l’année de la prochaine présidentielle et le
président Hamid Karzaï devant la céder la place après deux mandats, elles s’inquiètent
de l’influence qu’auront alors les talibans.
Un an avant le départ de la coalition
et l’élection présidentielle afghanes, certains signes expliquent leurs craintes.
Il y a d’abord les « crimes » dont on les accuse, et les « punitions » qu’elles subissent.
Des dizaines d’histoires. Le 22 avril dernier au nord dans la province de Badghis,
une jeune femme s’est faite exécutée par son père devant les 300 habitants de leur
village. Elle avait fui son domicile. En décembre, quelques 74 écolières ont été empoisonnées
au gaz dans la province de Takhar dans le nord-est du pays ; 10 autres ont été tuées
dans une explosion cette fois dans la province de Nanghahar.
Dans la capitale
à Kaboul, la session parlementaire du 18 mai dernier a failli tourner à la bagarre.
Le parlement a dû interrompre ses débats sur une loi contre les violences faites aux
femmes. Des députés ont refusé de voter un texte garantissant la pérennité d’un décret
ratifié en 2009 par Hamid Karzaï, bientôt loin du pouvoir. Ce décret, qu’ils jugent
contraire à la Charia, interdit les mariages forcés, la violence conjugale et fixe
à 16 ans pour une jeune fille l’âge légal du mariage.
Human Rights Watch dénonce
« l’absence honteuse de volonté politique » tant du pouvoir que de ses alliés occidentaux.
Dans un rapport datant du 21 mai dernier, l’ONG dresse un autre constat alarmant.
De plus en plus d’Afghanes sont jetées en prison pour avoir tenté de fuir leur foyer.
Selon les chiffres même du ministère de l’Intérieur, et qui pourrait être en deçà
de la réalité, le nombre d’Afghanes incarcérées pour « crime moral » est passé de
400 à 600 ces 18 derniers mois.
Chekeba Hachemi est née à Kaboul. Sa famille
s’exile au Pakistan, puis en France en 1986 à la suite de l’arrivée des soviétiques
en Afghanistan. En 1996, elle créé l'association "Afghanistan libre". Elle œuvre depuis
pour l’ouverture d’école pour les jeunes filles, défend le droit des femmes. En 2001,
elle devient la première femme afghane diplomate en poste à Bruxelles. En 2005, elle
conseille le président Karzaï avant de donner sa démission un an et demi plus tard.
Chekeba
Hachemi évoque le cas de ces femmes qui fuient leur foyer, de ce qui motive ce « suicide
». Elle est interrogée par Marie Duhamel
La
militante des droits des femmes nous décrit une situation terrible dans laquelle certaines
femmes sont dans un tel état de détresse qu’elles décident de fuir, en toute connaissance
de cause « c’est un peu comme si elles signaient leur assassinat ». Les « qu’en dira-t-on
? » sont si importants qu’aucun retour en arrière n’est envisageable. D’autres femmes
« se brûlent ou se tuent », insiste-t-elle.
Dans la société afghane, « tout
tombe sur la femme », elle subit tout : depuis le mariage forcé très jeune, tous les
travaux les plus durs de la maison et des champs, diverses formes de violence conjugale,
la responsabilité des actes de ses enfants. Dans les villages reculés « la femme est
comme une bête, se vend comme une chèvre » regrette Chekeba Hachemi. En d’autres termes,
« les femmes sont la dernière préoccupation ».
A cela s’ajoute la pression
des talibans, qui profitent du départ de la communauté internationale pour revenir.
Pour eux, les femmes sont la « première cible » . Une de leurs habitudes consiste
à « jeter de l’acide sur le visage des femmes qui vont à l’école », rappelle-t-elle.
Pas
d'institutions adaptées
En ce qui concerne la présence d’éventuels centres
d’accueils, selon Chekeba Hachemi « la société civile n’est pas assez développée,
les organisations non gouvernementales ne connaissent pas assez la société afghane
». De plus, ce type d’accueil devrait être définitif « Partir de chez elle est vraiment
une forme de suicide » souligne-t-elle.
Elle déplore les conditions de vie
dans les prisons avec des « niveaux sanitaires et alimentaires terribles » et dresse
ce constat « Je ne crois pas du tout à la justice afghane ». Celle-ci est dépourvue
de structures, et ne se préoccupe pas du sort des femmes : l’excuse de « crime passionnel
» permet de justifier les actes de violence conjugale.
Le seul espoir passe
par l'éducation
Si la constitution afghane de 2004 reconnait l’égalité
entre les hommes et les femmes, ces dernières n’ont pas accès aux textes et pas les
moyens de se défendre. Comme le rappelle Chekeba Hachemi, il y a « 90% d’analphabétisme
chez les femmes ». Le programme d’éducation est donc une priorité absolue pour les
femmes afghanes, autant pour qu’elles prennent connaissance de leurs droits que pour
faire changer les mentalités. A l’appui l’exemple de ces pères de famille qui montrent
avec fierté le premier bulletin de leur fille.
Le regard sur l’avenir de cette
femme est très sombre, elle craint en effet le retour des talibans, qui a déjà commencé,
et qui sera durci par un fort besoin de vengeance envers ceux qui ont participé aux
réformes du président Karzaï. Le départ de la communauté internationale en 2014 est
selon elle « la porte ouverte à tous les excès » et, bien sûr, « ce sont toujours
les femmes qui sont les premières cibles ».