Pape François : La nouveauté nous fait toujours un peu peur
C’est devant plus de 200.000 fidèles que le Pape a présidé dimanche 19 mai la messe
de Pentecôte avec surtout la participation des mouvements, communautés nouvelles et
associations laïques de l'Eglise. François a pris tout son temps pour saluer la foule
rassemblée non seulement à la Place Saint Pierre mais aussi le long de l’Avenue de
la Conciliazione qui mène à la Place Saint Pierre. Au cours de la prière de Regina
Caeli, François n’a pas manqué de remercier tous ces mouvements, communautés nouvelles
et associations laïques venus de Rome et des quatre coins du monde qui sont, selon
le pape, un don et une richesse pour l’Eglise. Il leur a demandé de porter toujours
la force de l’Evangile, de ne pas avoir peur, d’avoir la joie et la passion de la
communion de l’Eglise. Le Pape n’a pas manqué auparavant de souligner que la fête
de Pentecôte avait transformé la Place Saint Pierre en un Cénacle à ciel ouvert où
a été refait l’expérience de l’Eglise naissante, en syntonie de prière avec la Vierge
Marie, Mère de Dieu. Dans la variété de charismes, nous avons expérimenté la beauté
de l’unité ; c’est cela l’œuvre de l’Esprit Saint qui crée toujours, d’une manière
renouvelée, l’unité dans l’Eglise, a renchérit François. Voici par ailleurs en français
l’intégrité de l’homélie que le Pape a prononcé (en italien) à la messe du Pentecôte
:
Chers frères et sœurs, En ce jour, nous contemplons et revivons dans la
liturgie l’effusion de l’Esprit Saint opérée par le Christ ressuscité sur son Église
; un évènement de grâce qui a rempli le cénacle de Jérusalem pour se répandre dans
le monde entier. Mais que se passe-t-il en ce jour si éloigné de nous, et pourtant
si proche au point de rejoindre l’intime de notre cœur ? Saint Luc nous offre la réponse
dans le passage des Actes des apôtres que nous avons entendu (2, 1-11). L’évangéliste
nous ramène à Jérusalem, à l’étage supérieur de la maison dans laquelle sont réunis
les Apôtres. Le premier élément qui attire notre attention est le fracas qui vint
soudain du ciel, « pareil à celui d’un violent coup de vent » et remplit la maison
; puis « une sorte de feu qui se partageait en langues », et se posait sur chacun
des Apôtres. Fracas et langues de feu sont des signes précis et concrets qui frappent
les Apôtres, non seulement extérieurement, mais aussi au plus profond d’eux-mêmes
: dans l’esprit et dans le cœur. La conséquence est que « tous furent remplis du Saint
Esprit » qui libère son dynamisme irrésistible, avec des résultats surprenants : «
Ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de
l’Esprit ». S’ouvre alors devant nos yeux un tableau tout à fait inattendu : une grande
foule se rassemble et s’émerveille parce que chacun entend parler les Apôtres dans
sa propre langue. Tous font une expérience nouvelle, jamais arrivée auparavant : «
Nous les entendons parler dans nos langues ». Et de quoi parlent-ils ? « Des merveilles
de Dieu ». A la lumière de ce passage des Actes, je voudrais réfléchir sur trois
paroles liées à l’action de l’Esprit : nouveauté, harmonie, mission. 1. La nouveauté
nous fait toujours un peu peur, parce que nous nous sentons plus rassurés si nous
avons tout sous contrôle, si c’est nous-mêmes qui construisons, programmons, faisons
des projets pour notre vie selon nos plans, nos sécurités, nos goûts. Et cela arrive
aussi avec Dieu. Souvent, nous le suivons, nous l’accueillons, mais jusqu’à un certain
point ; il nous est difficile de nous abandonner à Lui avec pleine confiance, laissant
l’Esprit Saint être l’âme, le guide de notre vie dans tous les choix ; nous avons
peur que Dieu nous fasse parcourir des chemins nouveaux, nous fasse sortir de notre
horizon souvent limité, fermé, égoïste, pour nous ouvrir à ses horizons. Mais, dans
toute l’histoire du salut, quand Dieu se révèle, il apporte la nouveauté - Dieu apporte
toujours la nouveauté -, il transforme et demande de se confier totalement à Lui :
Noé construit une arche, raillé par tous, et il se sauve ; Abraham laisse sa terre
avec seulement une promesse en main ; Moïse affronte la puissance du pharaon et guide
le peuple vers la liberté ; les Apôtres, craintifs et enfermés dans le cénacle, sortent
avec courage pour annoncer l’Évangile. Ce n’est pas la nouveauté pour la nouveauté,
la recherche du nouveau pour dépasser l’ennui, comme il arrive souvent de nos jours.
La nouveauté que Dieu apporte dans notre vie est ce qui vraiment nous réalise, ce
qui nous donne la vraie joie, la vraie sérénité, parce que Dieu nous aime et veut
seulement notre bien. Demandons-nous aujourd’hui: sommes-nous ouverts aux « surprises
de Dieu » ? Ou bien nous fermons-nous, avec peur, à la nouveauté de l’Esprit Saint
? Sommes-nous courageux pour aller par les nouveaux chemins que la nouveauté de Dieu
nous offre ou bien nous défendons-nous, enfermés dans des structures caduques qui
ont perdu la capacité d’accueil ? Cela nous fera du bien de nous poser cette question
durant toute la journée. 2. Une seconde idée : l’Esprit Saint, apparemment, semble
créer du désordre dans l’Église, parce qu’il apporte la diversité des charismes, des
dons ; mais tout cela au contraire, sous son action, est une grande richesse, parce
que l’Esprit Saint est l’Esprit d’unité, qui ne signifie pas uniformité, mais ramène
le tout à l’harmonie. Dans l’Église, c’est l’Esprit Saint qui la fait, l’harmonie.
Un des Pères de l’Église a une expression qui me plaît beaucoup : l’Esprit Saint «
ipse harmonia est ». Il est précisément l’harmonie. Lui seul peut susciter la diversité,
la pluralité, la multiplicité et, en même temps, opérer l’unité. Ici aussi, quand
c’est nous qui voulons faire la diversité et que nous nous fermons sur nos particularismes,
sur nos exclusivismes, nous apportons la division ; et quand c’est nous qui voulons
faire l’unité selon nos desseins humains, nous finissons par apporter l’uniformité,
l’homogénéité. Si au contraire, nous nous laissons guider par l’Esprit, la richesse,
la variété, la diversité ne deviennent jamais conflit, parce qu’il nous pousse à vivre
la variété dans la communion de l’Église. Le fait de marcher ensemble dans l’Église,
guidés par les pasteurs qui ont un charisme et un ministère particuliers, est signe
de l’action de l’Esprit Saint ; l’ecclésialité est une caractéristique fondamentale
pour chaque chrétien, pour chaque communauté, pour chaque mouvement. C’est l’Église
qui me porte le Christ et qui me porte au Christ ; les chemins parallèles sont si
dangereux ! Quand on s’aventure, en allant au-delà de (proagon) la doctrine et de
la Communauté ecclésiale – dit l’Apôtre Jean dans sa deuxième lettre – et qu’on ne
demeure pas en elles, on ne s’est pas unis au Dieu de Jésus Christ (cf. 2 Jn 1, 9).
Demandons-nous alors : suis-je ouvert à l’harmonie de l’Esprit Saint, en dépassant
tout exclusivisme ? Est-ce que je me laisse guider par lui en vivant dans l’Église
et avec l’Église ? 3. Le dernier point. Les théologiens anciens disaient : l’âme
est une espèce de bateau à voile, l’Esprit Saint est le vent qui souffle dans la voile
pour le faire avancer, les impulsions et les poussées du vent sont les dons de l’Esprit.
Sans sa poussée, sans sa grâce, nous n’avançons pas. L’Esprit Saint nous fait entrer
dans le mystère du Dieu vivant et nous sauve du danger d’une Église gnostique et d’une
Église auto-référentielle, fermée sur elle-même ; il nous pousse à ouvrir les portes
pour sortir, pour annoncer et témoigner la bonne vie de l’Évangile, pour communiquer
la joie de la foi, de la rencontre avec le Christ. L’Esprit Saint est l’âme de la
mission. Ce qui est arrivé à Jérusalem il y a près de deux-mille ans n’est pas un
événement éloigné de nous, c’est un événement qui nous rejoint, qui se fait expérience
vivante en chacun de nous. La Pentecôte du cénacle de Jérusalem est le commencement,
un commencement qui se prolonge. L’Esprit Saint est le don par excellence du Christ
ressuscité à ses Apôtres, mais il veut qu’il parvienne à tous. Jésus, comme nous l’avons
entendu dans l’Évangile, dit : « Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre
Défenseur qui sera pour toujours avec vous » (Jn 14, 16). C’est l’Esprit Paraclet,
le « Consolateur », qui donne le courage de parcourir les routes du monde en portant
l’Évangile ! L’Esprit Saint nous fait voir l’horizon et nous pousse jusqu’aux périphéries
existentielles pour annoncer la vie de Jésus Christ. Demandons-nous si nous avons
tendance à nous enfermer en nous-mêmes, dans notre groupe, ou si nous laissons l’Esprit
nous ouvrir à la mission. Rappelons-nous aujourd’hui ces trois mots : nouveauté, harmonie,
mission. La liturgie d’aujourd’hui est une grande prière que l’Église avec Jésus
élève vers le Père, pour qu’il renouvelle l’effusion de l’Esprit Saint. Que chacun
de nous, chaque groupe, chaque mouvement, dans l’harmonie de l’Église, se tourne vers
le Père pour demander ce don. Aujourd’hui encore, comme à sa naissance, avec Marie,
l’Église invoque : « Veni Sancte Spiritus ! – Viens, Esprit-Saint, pénètre le cœur
de tes fidèles ! Qu’ils soient brûlés au feu de ton amour ! ». Amen.