Le témoignage de l'archevêque de Bangui face au chaos
La France a donné sa disponibilité pour aider au « retour de la stabilité » en Centrafrique.
A la tribune de l’Assemblée nationale, le chef de la diplomatie Française a conditionné
cette aide : « il faut mettre en place des autorités légitimement reconnues, ce qui
n'est pas le cas du président actuel », a souligné , Laurent Fabius.
Mardi
soir, le nouveau pouvoir installé à Bangui a en effet demandé le soutien de Paris.
Dans un message radio-télévisé, le Premier ministre issu de l’opposition au président
déchu, François Bozizé, a demandé « l'appui » de Paris et de la Fomac, la Force multinationale
d'Afrique centrale, « en tant que forces impartiales, pour la conduite des opérations
de sécurisation de la ville de Bangui et toutes les régions de notre pays ».
Le
pouvoir issu de la coalition rebelle du Séléka n’est pas parvenu à endiguer pillage
et violence. Le weekend dernier, des opérations de ratissage d’armes dans un quartier
de Bangui ont tourné au cauchemar. Plus de 20 personnes ont été tuées.
De
nombreux habitants de la capitale, notamment, vivent dans la peur des pillages et
de l'insécurité, mais sont aussi excédés par le comportement d'anciens rebelles.
Témoignage
de l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga. Il est interrogé par Marie Duhamel
Retranscription
de l'interview :
Dans le quartier Boy Rabe, j’ai vu un grand camion qui emportait
des frigos, qui portait des congélateurs pour les emporter, ce qui veut dire que les
pillages continuent encore. Alors, je ne peux concevoir qu’en plein jour, les gens
aillent piller et que personne au niveau des autorités ne puissent agir.
Tout
le quartier hier (mardi) s’était vidé parce qu’il y avait une peur bleue comme quoi
on allait brûler le quartier. Moi-même j’ai accompagné des enfants à pied pour leur
faire traverser la route. Car tous ces enfants avaient peur y compris les parents.
Psychose, scènes d’angoisse. Et je me pose la question comme peut-on accepter de traumatiser
les plus petits enfants qui sont l’aujourd’hui et le demain d’un pays ? Rien qu’à
voir les armes, les coups de feu et les véhicules qui roulent à vive allure, tous
ces enfants ont peur. Il n’y a pas de climat de confiance mais avec qui on va travailler
? ce sont des questions que les nouveaux responsables doivent se poser eux-mêmes.
Il est temps de créer ce climat de confiance. Il est temps de sécuriser les personnes
et nous attendons cela des responsables politiques. Or actuellement nous avons l’impression
que les éléments du Séléka qui ont tout le pouvoir, peuvent faire ce qu’ils veulent.
Le moment est venu pour que ceux qui les ont amenés puisent les discipliner, les caserner,
les cantonner et les désarmer afin que la population puisse vaquer à ses occupations.
Est-ce
un fait avéré que ce sont les rebelles du Séléka qui ont commis pillages et violences
? Ce que je sais c’est que je vois en plein jour : des véhicules avec marqués
dessus Séléka et qui s’arrêtent pour piller. Si ceux-ci sont de faux Séléka eh bien
maintenant aux responsables quand on les appelle de venir les désarmer. Or pendant
deux heures, trois heures, ces gens sont là en train de commettre des forfaits. On
appelle ; personne ne bouge. Ou il y a des complicités ou il y a un laisser faire
ou ces gens sont débordés.
Ces populations qui ont fui tous ces quartiers,
ont-elles de quoi se loger et se nourrir ?
Justement, de mémoire de Centrafricain,
je n’ai jamais vécu cela de ma vie. Il s’agit de gens qui ont fui pour se réfugier
à l’hôpital. A l’hôpital communautaire, l’hôpital de l’amitié dont je viens de sortir,
cet hôpital accueille 1400 personnes. Scènes de désolation des petites enfants à même
le sol qui n’ont rien à manger. Une maman m’a dit hier « Je n’ai mangé qu’une seule
mangue de toute la journée ». Voilà pourquoi avec les éléments de la Caritas et tous
les bénévoles, j’ai convoqué une réunion avec les chrétiens.
Pour nous, croire
en Dieu ce n’est pas seulement une théorie, c’est une vie. On doit maintenant rencontrer
le Christ à travers nos frères qui sont déplacés et qui sont dans les hôpitaux et
qui errent et qui se demandent si des gens peuvent encore s’occuper d’eux. Aujourd’hui
les chrétiens sont dans les hôpitaux en train de préparer des repas pour les offrir
à leurs frères et sœurs sans distinction de religion, de race, ou de région, car tout
homme est créé à l’image de Dieu, et le message du Christ est un message universel.
J’ai
entendu dire que la cathédrale de Bangui et des fidèles ont été pillés dimanche dernier.
Peut-on parler de tension ?
Cette tension religieuse, s’il y a de personnes
mal intentionnées qui veulent la faire advenir, nous sommes les sentinelles d’aujourd’hui
et de demain et nous essayons de barrer la route à ces gens-là. Cette crise militaro-politique
n’est pas religieuse. La République centrafricaine est un pays laïc. Il y a la liberté
religieuse et chacun a le droit de professer sa foi qu’on soit musulman, chrétien
catholique ou protestant. On peut confesser sa foi. Maintenant de vouloir imposer
ou introduire l’enjeu religieux dans la sphère politique nous disons non. Et nous
le disons haut et fort : ceux qui tendent ce genre de piège ou qui veulent jeter ce
genre de peau de banane, nous devons être vigilants pour les écarter, les isoler.
Voilà pourquoi nous lançons un message solennel à tous les responsables pour
qu’ils puissent encore prendre leurs responsabilités et dire ouvertement : la République
centrafricaine, pays laïc, hors de question de poser des actes injustes à l’égard
des chrétiens ; hors de question de prendre des véhicules des pères et des sœurs ;
hors de question de maltraiter des pères et des sœurs ; hors de question de commettre
encore des injustice à leur égard. Quand on est responsable on est responsable de
tout le monde. Un président, il est président de toutes les religions sans exception.
Mais
est-ce qu’il y a des religieux religieuses qui ont été touchés par ces violences ?
A
l’intérieur du pays je peux vous en parler, même à Bangui, nous avons des cas. Je
vous donne un exemple : un père lazariste a été agressé quand les Séléka sont rentrés
dans Bangui. Il a été blessé à la main, aux pieds. On l’a soigné. Il y a eu des coups
de fusil. Il a été obligé de se mettre par terre. On a pillé aussi sa maison. Il a
été déshabillé. Vous voyez ce sont des actes d’humiliation que nous ne pouvons pas
accepter ni tolérer. J’exprime mon indignation devant ce genre de comportement déshumanisant.Nous
avons vu aussi des pères. Les Sélekas sont rentrés chez eux. Ils ont pris tout le
matériel, ils ont essayé de bousculer les pères mais les pères sont restés calmes.
Ça, on ne peut pas accepter qu’on vienne toucher à nos responsables.
Récemment,
au niveau des centres d’accueil, il y a des Séléka qui sont venus. Ils ont commencé
à faire des avances aux sœurs et les sœurs ont refusé. Nous avons appelé des éléments
de la Formac pour les écarter. Ce genre de comportement, nous ne pouvons pas les accepter.
En espérant que ce soient des comportements isolés. Nous les avons condamnés fermement.
Moi aussi, je n’ai pas le droit de professer des mensonges et des menaces, ni d’agresser
un musulman. Je dois le respecter car c’est un Centrafricain comme moi, c’est un être
humain comme moi et je ne peux pas le considérer comme un animal, une bête de somme.
Si
je vous pose cette question c’est que nous entendons de plus en plus souvent des personnes,
religieuses ou laïques, qui vivent en Centrafrique et qui nous disent que les gens
du Séléka ne parlent pas le Sango, que ce sont des musulmans et des arabes, des étrangers
qui veulent imposer un islam rigoriste.
Cette peur, j’entends ça de mes
agents pastoraux. Et je l’ai fait remonter aux responsables de Séléka. Ils me l’ont
dit, le Séléka est composé à 90% de musulmans. Eh bien, ils sont arrivés à Bangui,
à eux maintenant de dire clairement leur objectif politique et non religieux. S’ils
ne disent rien, cela pourrait laisser entendre ou laisser croire qu’ils sont complices
ou qu’ils valident. Or je ne veux pas m’aventurer dans ce chemin et penser qu’ils
sont dans cette logique. Nous leur demandons simplement de respecter cela parce que,
ce que les sœurs dominicaines de Nazareth ont vécu (venir avec des armes, tirer pour
leur faire peur, pour pouvoir piller toute une maison), jamais on a eu cela. On peut
venir piller mais tirer pour terroriser les gens, ça c’est encore un autre mode opératoire
qu’on vient d’introduire.
Et à ces gens qui arrivent, qui sont majoritaires,
qui parlent arabe : moi j’ai été clair, je l’ai dit et je le redis. Tous ceux qui
ont aidé à prendre le pouvoir , il est temps que les responsables de ce pays leur
demandent ouvertement de quitter, de regagner leur pays et d’être contenus quelque
part, de jeter les armes, de laisser les Centrafricains vaquer à leurs occupations.
Ils ont aussi le droit de vivre libres dans leur pays.
Pour vous la priorité,
c’est le retour de l’ordre ?
C’est la sécurisation, la première priorité.
La sécurité des personnes et des biens. Normalement, le couvre-feu doit commencer
à minuit, mais à partir de 17 ou 18heures, vous n’avez plus beaucoup de gens dans
la ville. Ça veut dire que les gens savent qu’il n’y a pas de sécurité. Dans la journée,
les gens hésitent à sortir et nous demandons aux responsables de pouvoir s’impliquer
d’avantage : cantonner, désarmer, éloigner tous les éléments de Séléka qu’il appellent
eux même « incontrôlés » et que les gendarmes et les policiers qui existent bel et
bien, reprennent leur service. Ceux qui voudraient devenir militaire du côté du Séléka,
ils auront à passer les tests et regagner l’armée. Cela ne peut se passer que de cette
manière. Sinon ce ne sera pas de manière républicaine.
Ce qui est important,
c’est cette situation d’errance de nos frères et de nos sœurs qui sont dans la ville
et qui ne savent pas où aller. Il est temps que la communauté internationale puisse
aussi se pencher sur cette question. Parce que, ce que je vous raconte là, c’est ce
que nous voyons à Bangui, mais dans l’arrière-pays il y a aussi des scènes dramatiques.
Toutes le préfectures sont touchées. Aucune n’est épargnée. Il est temps que la communauté
internationale puisse prendre la question de la République démocratique à bras le
corps. La vie humaine ici, est-ce qu’elle a du sens ? Parce que, si elle a un sens,
il faut qu’on s’engage à la défendre.
Actuellement, nous avons des gens qui
n’ont pas pu aller aux champs, et bientôt la saison est finie pour planter et nous
allons avoir bientôt des catastrophes humaines au niveau de la famine parce que les
gens n’ont pas planté, ils vont devenir des mendiants. Donc il va falloir tôt ou tard
penser à cette situation là et nous commençons déjà à en parler. (Photo AP : Soldats
du Seleka dans les rues de Bangui 17/04/13)