L’Assemblée plénière de printemps des évêques de France s’est ouverte mardi matin
à Paris. Les évêques sont réunis jusqu’à jeudi pour réfléchir aux nombreux défis de
l’Église. Ces défis ne manquent pas, comme l’a rappelé le cardinal André Vingt-Trois,
archevêque de Paris et président de la Conférence des évêques de France. Dans un discours
dense qui fait la lecture des évènements qui ont marqué la France et la vie de l’Eglise
ces derniers mois, il a tenu mardi matin un langage ferme face aux mutations culturelles
actuelles, en particulier autour du dossier explosif du mariage pour tous.
Le
compte-rendu d’Olivier Bonnel
Le
cardinal Vingt-Trois s’arrête d’abord sur le nouveau pontificat du pape François qui
a suivi la renonciation de Benoît XVI : « deux événements qui ont constitué une
épreuve de vitalité pour notre Église » souligne l’archevêque de Paris. « En nous
invitant à sortir aux périphéries, le pape François nous invite à rejoindre tous
ceux que la vie malmène », explique-t-il.
Contre « l’invasion organisée
et militante de la théorie du genre »
Puis le discours du cardinal Vingt-Trois
se fait plus sombre et plus inquiet quand il s’agit d’aborder les défis de l’Eglise
de France dans une société en pleine mutation. Depuis plusieurs mois, le climat de
tension autour du « mariage pour tous » est une véritable source de préoccupation,
et le président de la conférence des évêques ne manque pas de le souligner. Plus que
le manque de débat et le mépris ressenti par une partie de la population, le cardinal
dénonce : « l’invasion organisée et militante de la théorie du genre particulièrement
dans le secteur éducatif, et, plus simplement, la tentation de refuser toute différence
entre les sexes ». « Si l’on fait disparaître les moyens d’identification de la différence
dans les relations sociales, poursuit Mgr Vingt-Trois on entraîne une frustration
de l’expression personnelle, qui finit par déboucher tôt ou tard sur la violence ».
Le
cardinal Vingt-Trois invite ainsi à dépasser les revendications catégorielles tout
en déplorant que la « société française ait perdu sa capacité d’intégration
et surtout sa d’homogénéiser des différences dans un projet commun ».
Les
chrétiens ne doivent pas s’enfermer dans un combat politique ou idéologique
Le
président de la Conférence des évêques explique ainsi que croire au Christ est une
forme de dissidence, un choix délibérer qui marque une différence : « Nous ne
devons plus attendre des lois civiles qu’elles défendent notre vision de l’homme »,
assène-t-il avant d’appeler les chrétiens à la cohérence dans leur témoignage
de la foi et à une conversion permanente, qui évite de s’enfermer dans un combat politique
ou idéologique.
Pour ce dernier discours comme président de la Conférence
des évêques de France, Mgr Vingt-Trois a parlé comme il l’a toujours fait : sans langue
de bois, en nommant les problèmes tout en appelant à dépassionner les débats, pour
mieux vivre en chrétiens dans la société.
Nouveau président, nouveau Conseil
permanent pour la CEF
Les évêques de France se réunissent donc en Assemblée
plénière de printemps jusqu’au 18 avril 2013. Lors de cette Assemblée plénière, plusieurs
votes auront lieu pour renouveler certaines instances de la Conférence des évêques
de France, dont la Présidence et le Conseil Permanent. Les prises de fonction auront
lieu le 1er juillet 2013. « Les évêques vont élire un nouveau président, le cardinal
Vingt-Trois ,ayant accompli deux mandats, n’est plus rééligible ». Egalement au centre
de cette assemblée : l’enseignement catholique alors que « les évêques de France sont
en train de réécrire un statut pour l’enseignement catholique ».
Le
discours du cardinal André Vingt-Trois à l'ouverture de l'Assemblée plénière des évêques
de France
Les événements ont un peu bouleversé le calendrier de notre
rendez-vous de printemps. Une des conséquences sera que plusieurs évêques, et notamment
nos frères d'Outre-Mer, seront absents de notre assemblée.
1. Un nouveau pontificat.
Le
mois de février a été fertile en surprises. La renonciation du Pape Benoît XVI à l'exercice
de sa charge d'évêque de Rome et de Souverain Pontife a été la première, dans tous
les sens du terme. Nous connaissons tous suffisamment Benoît XVI pour savoir que ce
fut, de sa part, une décision mûrement réfléchie avec le souci principal du bien de
l'Église. Les Congrégations générales et le conclave ont abouti à l'élection du Pape
François dans la liesse médiatique que nous avons constatée. Nous savons combien cet
engouement risque d'être éphémère quand il ne s'attache qu'aux signes les plus superficiels.
Mais, durable ou pas, la bienveillance ne fait jamais de mal. Ces deux événements
ont constitué une épreuve de vitalité pour notre Église, avec les inquiétudes, voire
le désarroi, que certains ont pu éprouver, mais aussi avec l'espérance à laquelle
nous étions tous appelés : Dieu n'abandonne jamais son Église. Pendant quelques jours,
cette Église a fait la « une » des médias. Ils ont montré que nous existons et que
notre existence les intéresse. L'accueil très favorable réservé à l'élection du Pape
François témoigne d'une attente réelle de nos contemporains. Je voudrais souligner
quelques traits marquants de cette période de transition.
Sans faillir à notre
serment de ne rien révéler du conclave, je puis vous dire que les dix jours pendant
lesquels les cardinaux ont procédé à l'élection du nouveau Pape ont été des journées
d'une exceptionnelle intensité spirituelle. La prière que nous vivions ensemble, les
échanges quotidiens pendant les congrégations générales furent des moments d'une belle
gravité et d'une grande fraternité. Le vote lui-même, avec sa ritualisation et sa
solennité, était une paraliturgie dans laquelle chacun cherchait comment accomplir
au mieux la volonté de Dieu.
L'élection du cardinal Bergoglio marque un tournant
dans la vie de notre Église. Il est le premier pape à n'avoir du Concile Vatican II
qu'une connaissance médiatisée. Il n'y a absolument pas participé à aucun titre, ni
évêque, ni expert. Nous sommes entrés dans le temps des héritiers, que nous sommes
tous, et il me semble que les modalités d'interprétation des textes conciliaires et
de leurs applications vont devenir particulièrement importantes et significatives.
Vous vous rappelez sans doute de la ligne donnée par Benoît XVI dans son discours
à la Curie sur l'herméneutique de la continuité (22 décembre 2005). Elle prend une
actualité nouvelle dans ce temps que nous vivons.
Comme tout le monde, vous
aurez remarqué comment le pape a mis en valeur sa mission d'évêque de Rome qui est
le fondement de sa charge universelle. Il ne s'est pas contenté de le faire le premier
soir à la loggia de Saint Pierre. Il a repris avec persévérance cette ligne dans ses
interventions et ses prédications. Peut-être faut-il y voir une intention d'infléchir
au moins la représentation que l'on se fait du pape et les attitudes à son égard ?
Certains, sautant allègrement par-dessus la tête des évêques ne voient-ils pas dans
le pape une sorte de super évêque, ou, mieux encore de curé du monde... ? Il me semble
que la manière de faire suivie par le pape François induira une pratique plus conforme
à la tradition et à l'ecclésiologie. Le pape n'est pas en séjour à Rome comme il pourrait
être ailleurs. Il est pape parce qu'il est évêque de Rome. Comme les cardinaux français
ont eu le privilège de le faire de vive voix, je renouvelle ici, en notre nom à tous,
l'expression de notre profonde communion au Pape François et l'assurance de notre
prière pour son ministère.
L'insistance du pape pour appeler l'Église à se
porter à la « périphérie » de notre monde est sans doute beaucoup plus riche de sens
que ne le laisserait supposer une écoute rapide. Il est clair qu'il vise bien les
périphéries sociales de nos sociétés et qu'il nous invite à rejoindre tous ceux que
la vie malmène. Mais, et cela est moins entendu et souligné, il parle aussi beaucoup
des « périphéries existentielles » qui ne visent pas seulement la marginalité sociale,
mais aussi les drames intérieurs de la liberté humaine et le désespoir qui résultent
d'un monde qui prodigue des jugements sévères sans annoncer l'espérance de la miséricorde.
Ne voyons-nous pas que, sous les apparences d'un libéralisme moral ou, pour mieux
dire, d'un libertarisme moral, nos sociétés secrètent une avidité pour dénoncer les
coupables qui ne se soumettent pas à la loi commune ? La « nouvelle évangélisation
», engagée depuis plus de vingt ans, doit se développer en intégrant cet objectif
prioritaire d'annoncer une espérance à ceux que la vie afflige.
2. Notre
engagement dans la nouvelle évangélisation.
Pour nous, la nouvelle évangélisation
se présente dans une société en pleine mutation et les signes de cette mutation ne
manquent pas. Les longs mois de débat à propos du projet de loi de mariage pour les
personnes de même sexe ont fait apparaître des clivages qui étaient prévisibles et
annoncés. Ces clivages sont un bon indicateur d'une mutation des références culturelles.
L'invasion organisée et militante de la théorie du genre particulièrement dans le
secteur éducatif, et, plus simplement, la tentation de refuser toute différence entre
les sexes en est un signe. C'est le refus de la différence comme mode d'identification
humaine, et en particulier de la différence sexuelle. C'est l'incapacité à assumer
qu'il y ait des différences entre les gens. On se refuse à gérer le fait que les gens
ne sont pas identiques. Ils ne sont pas identiques dans leur identité sexuelle mais
ils ne sont pas plus identiques dans leur personnalité, et le principe incontournable
de la vie sociale c'est précisément de faire vivre ensemble des gens qui ne sont pas
identiques, de gérer les différences entre les individus sur un mode pacifique et
non pas sur un mode de violence.
Or, si l'on fait disparaître les moyens d'identification
de la différence dans les relations sociales, cela veut dire que, par un mécanisme
psychologique que nous connaissons bien, on entraîne une frustration de l'expression
personnelle, et que la compression de la frustration débouche un jour ou l'autre sur
la violence pour faire reconnaître son identité particulière contre l'uniformité officielle.
C'est ainsi que se prépare une société de violence. Ce que nous voyons déjà dans le
fait que l'impuissance à accepter un certain nombre de différences dans la vie sociale,
aboutit à la cristallisation de revendications catégorielles de petits groupes, ou
de sous-ensembles identitaires, qui pensent ne pouvoir se faire reconnaître que par
la violence. Notre société a perdu sa capacité d'intégration et surtout sa capacité
d'homogénéiser des différences dans un projet commun.
Pour ma part, je pense
que la loi pour le mariage des personnes homosexuelles participe de ce phénomène et
va l'accentuer en le faisant porter sur le point le plus indiscutable de la différence
qui est la différence sexuelle, et donc va provoquer ce que j'évoquais : l'occultation
de l'identité sexuelle comme réalité psychologique et la fermentation, la germination
d'une revendication forte de la reconnaissance de la sexualité différenciée. Cette
explication simple échappe à un certain nombre d'esprits avisés, qui devraient pourtant
se préoccuper de la paix sociale dans les années qui viennent. Que tous les moyens
aient été mis en œuvre pour éviter le débat public, y compris dans le processus parlementaire,
peut difficilement masquer l'embarras des promoteurs du projet de loi. Passer en force
peut simplifier la vie un moment. Cela ne résout aucun des problèmes réels qu'il faudra
affronter de toute façon. Pour éviter de paralyser la vie politique dans un moment
où s'imposent de graves décisions économiques et sociales, il eût été plus raisonnable
et plus simple de ne pas mettre ce processus en route.
Ainsi, se confirme peu
à peu que la conception de la dignité humaine qui découle en même temps de la sagesse
grecque, de la révélation judéo-chrétienne et de la philosophie des Lumières n'est
plus reconnue chez nous comme un bien commun culturel ni comme une référence éthique.
L'espérance chrétienne est de moins en moins reconnue comme une référence commune
et, comme toujours, ce sont les plus petits qui en font les frais. C'est un profond
changement d'abord pour les chrétiens eux-mêmes. Vouloir suivre le Christ nous inscrit
inéluctablement dans une différence sociale et culturelle que nous devons assumer.
Nous ne devons plus attendre des lois civiles qu'elles défendent notre vision de l'homme.
Nous devons trouver en nous-mêmes, en notre foi au Christ, les motivations profondes
de nos comportements. La suite du Christ ne s'accommode plus d'un vague conformisme
social. Elle relève d'un choix délibéré qui nous marque dans notre différence.
Cette
fracture se manifeste aussi dans les intentions de légiférer sur la laïcité. Nous
avions déjà exprimé notre perplexité devant les projets de loi limitant la liberté
individuelle dans l'habillement ou les signes distinctifs des religions. Autant il
est compréhensible que la vie commune, notamment dans les entreprises, soit régie
par des règles de cohabitation pacifique, autant il serait dommageable pour la cohésion
sociale de stigmatiser les personnes attachées à une religion et à sa pratique, spécialement
les juifs et les musulmans. Dans ce domaine, les mesures coercitives provoquent plus
de repliement et de fermeture que de tolérance et d'ouverture. Faut-il voir un signe
inquiétant dans le fait que, à ce jour, aucun des cultes connus en France n'a été
consulté ni même contacté sur ces sujets et qu'aucun n'est associé au travail préparatoire
?
C'est dans ce contexte général que nous devons réfléchir aux conditions de
la nouvelle évangélisation. Pour vivre dans notre différence sans nous laisser tromper
et tenter par les protections trompeuses d'une organisation en ghetto ou en contre-culture,
nous sommes appelés à approfondir notre enracinement dans le Christ et les conséquences
qui en découlent pour chacune de nos existences. À quoi bon combattre pour la sauvegarde
du mariage hétérosexuel stable et construit au bénéfice de l'éducation des enfants,
si nos propres pratiques rendent peu crédible la viabilité de ce modèle ? À quoi bon
nous battre pour défendre la dignité des embryons humains, si les chrétiens eux-mêmes
tolèrent l'avortement dans leur propre vie ? À quoi bon nous battre contre l'euthanasie
si nous n'accompagnons pas humainement nos frères en fin de vie ? Ce ne sont ni les
théories ni les philosophes qui peuvent convaincre de la justesse de notre position.
C'est l'exemple vécu que nous donnons qui sera l'attestation du bien-fondé des principes.
La
mobilisation impressionnante de nos concitoyens contre le projet de loi autorisant
le mariage des personnes de même sexe a été un bel exemple de l'écho que notre point
de vue pouvait avoir dans les préoccupations de tous. Au-delà des sondages prédigérés,
l'expression des préoccupations profondes rencontre une inquiétude réelle sur l'avenir
qui se prépare. Réduire ces manifestations à une manie confessionnelle rétrograde
et homophobe ne correspond évidemment pas à ce que tout le monde a pu constater.