Au Canada, l’Eglise soutient le dialogue entre les autorités et les Amérindiens
Ce vendredi, comme c’est le cas depuis un mois maintenant au Canada, les populations
autochtones du pays s’apprêtent à bloquer ponts et voie de chemin de fer. Ils souhaitent
se faire voir et du même coup mettre la pression sur les autorités politiques, alors
que le premier ministre a finalement concédé un rendez-vous de travail, pour ne pas
dire de crise, avec les autochtones canadiens ce vendredi après-midi. Le compte-rendu
de Marie Duhamel
Une
protestation Amérindienne qui prend de l’ampleur
Stephen Harper n’avait
plus vraiment le choix. Le Premier ministre canadien est soumis à une triple pression
à commencer par celle de la chef amérindienne Theresa Spence. En grève de la faim
depuis quatre semaines, elle dénonce les conditions de vie des autochtones de son
village dans le nord de l’Ontario. Logement, santé, éducation, les habitants d’Attawapiskat
sont à des années-lumière du mode de vie des autres Canadiens. Son village n’est pas
le seul à connaître de graves difficultés. Dans la plupart des 600 réserves, c’est
la même chose et ce pourrait être pire. C’est en tout cas, ce que redoute un nouveau
mouvement venant de la base autochtone. « Idle no more », « plus jamais passif »,
fait vivre les Canadiens au rythme de leurs manifestations. Ils bloquent les gares
et les autoroutes contre des amendements du gouvernement qui nuiraient un peu plus
à leur vie quotidienne, ouvrant la possibilité à des tiers de louer leurs terrains
dans les réserves et d’y alléger les contrôles environnementaux.
Mardi, des
Premières nations de Frog Lake, en Alberta ont même décidé de poursuivre le gouvernement
fédéral en justice, estimant que les lois C-38 et C-45 adoptées par le parlement canadien
en décembre pourraient avoir « un impact dangereux sur l'environnement ». Un ancien
chef de cette communauté, George Stanley, a affirmé que l'Etat canadien devait honorer
les traités signés avec les Premières nations.
L’Etat doit prendre en charge
et consulter les autochtones
Jamais officiellement battus sur le terrain,
les autochtones canadiens sont liés à Ottawa par des traités signés d'égal à égal
avec les colons britanniques. Selon ces accords, contre l’exploitation de leurs territoires,
les métis, inuit et amérindiens doivent être pris en charge par l’Etat. Mardi, la
Cour fédérale a en outre statué sur le fait que les quelque 600.000 Métis et Indiens
du pays qui vivent à l'extérieur des réserves sont bel bien des « Indiens » en vertu
de la Constitution et qu'ils sont donc éligibles aux mêmes droits que ceux vivant
sur des réserves, notamment en matière de santé, d'éducation, de logement ou d'exemption
fiscale.
Par ailleurs, en vertus de ces anciens traités, la Cours suprême
a statué à de nombreuses reprises sur le fait que gouvernement canadien a le devoir
de consulter les Amérindiens pour toutes les décisions susceptibles d'affecter leurs
droits et de tenir compte de leurs préoccupations.
Finalement, la chef Theresa
Spence et le mouvement « Idle no more » ont poussé le principal dirigeant autochtone,
le chef de l’Assemblée des Premières Nations Shawn Atleo à réclamer une rencontre.
Elle a lieu ce vendredi après-midi pour discuter du respect de ces droits conférés
par les traités signés avec la Couronne et de l'amélioration des conditions de vie
dans les quelque 600 réserves du pays.
Après avoir cherché à ne pas s'impliquer
dans le conflit opposant le gouvernement canadien aux Amérindiens, le représentant
de la Couronne britannique a, lui aussi jeudi, accepté de rencontrer leurs chefs.
L’Eglise
voit d’un œil positif la détermination des Premières Nations
Que peut-on
espérer de ces rencontres, notamment de celle entre les Amérindiens et le Premier
ministre ? Certains analystes estiment qu’il s’agit pour les autorités de calmer le
jeu sans passer ensuite à l’action. L’Eglise catholique est elle plus optimiste, surtout,
elle espère beaucoup plus.
Favorable sans condition à cette rencontre, le
président de la conférence épiscopale du Canada, Mgr Richard W. Smith, a fait savoir,
dans une lettre publiée le 9 janvier dernier, que l’Eglise appuyait « les conversations
et la collaboration qui doivent contribuer à garantir et protéger les droits et responsabilités
des Premières Nations ».
« Bien des engagements ont été pris par les générations
qui nous ont précédés et les questions en suspens essentielles au progrès futur ont
déjà été identifiées par la Commission royale ainsi que par les agences autochtones,
fédérales et autres. Ce qu’il faut maintenant, c’est que ces différentes initiatives
bénéficient « du support d’une nouvelle pensée, d’une nouvelle synthèse culturelle,
pour dépasser les approches purement techniques et harmoniser les multiples tendances
politiques en vue du bien commun » (Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de
la paix 2013, n° 6) ».
Saluant la « créativité » et le « leadership » du Premier
ministre lorsqu’il renouvela en 2008 « le partenariat (du Canada) avec les autochtones
» en présentant « les excuses du Gouvernement du Canada aux anciens élèves des pensionnats
indiens », l’Eglise se félicite de voir les Amérindiens déterminés à prendre leur
destin en main. Les manifestations des ces dernières semaines « sont aussi le signe
encourageant d’un regain de détermination chez les autochtones à jouer un rôle déterminant
pour résoudre leurs problèmes et leurs frustrations. Il est de la plus haute importance
que les autochtones et leurs chefs continuent de s’engager pour être les sujets actifs
et responsables de leur propre développement culturel, économique et social. » (avec
agences)
Ci-dessous la lettre du président de la Conférence épiscopale
du Canada aux deux parties engagées dans les discussions
Le 9 janvier
2013,
Le Très Honorable Stephen Harper, C.P., M.P. Premier
Ministre du Canada
Le Chef national Shawn A-in-chut Atleo Chef
national de l’Assemblée des Premières Nations
Monsieur le Premier Ministre
Harper, Monsieur le Chef national Atleo,
Au nom des évêques catholiques
de notre pays, je tiens à vous assurer l’un et l’autre, ainsi que le ministre des
Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien et la délégation de dirigeants
des Premières Nations, de nos prières et de nos encouragements pour la rencontre du
11 janvier prochain. Vos échanges, nous n’en doutons pas, permettront d’engager un
processus qui répondra aux préoccupations de toutes les populations autochtones du
Canada – Premières Nations, Inuits et Métis. Nous espérons que votre rencontre
et le processus qui en résultera recevront l’appui de tous les Canadiens et de leurs
leaders politiques, ainsi que celui des membres et des dirigeants des communautés
autochtones. Le moment est important : il s’agit de tabler sur la bonne volonté et
les efforts accomplis dans le passé pour que notre pays trouve dans la concertation
des façons constructives de résoudre certains problèmes de fond. Les préoccupations
actuelles en matière d’éducation, de logement, d’eau potable, d’accès aux soins de
santé et d’occupation des terres sont cruciales et urgentes pour les Premières Nations.
Ces préoccupations sont aussi le symptôme d’enjeux économiques, politiques et sociaux
encore plus profonds, qui concernent tous les autochtones. Les manifestations quotidiennes
sporadiques organisées par des membres des Premières Nations en divers points du pays
ne disent pas seulement combien cette rencontre arrive à point nommé : elles sont
aussi le signe encourageant d’un regain de détermination chez les autochtones à jouer
un rôle déterminant pour résoudre leurs problèmes et leurs frustrations. Il est de
la plus haute importance que les autochtones et leurs chefs continuent de s’engager
pour être les sujets actifs et responsables de leur propre développement culturel,
économique et social. Depuis les débuts du pays, l’Église catholique travaille
avec la population autochtone. En tant qu’évêques, nous avons fait savoir que nous
sommes décidés à appuyer les conversations et la collaboration qui doivent contribuer
à garantir et à protéger les droits et les responsabilités des Premières Nations,
des Inuits et des Métis. La longue histoire de nos rapports avec les communautés autochtones
et notre souci constant de leur bien-être et de leur droit à l’autodétermination ressortent
du mémoire que notre Conférence a présenté à la Commission royale sur les peuples
autochtones en 1994, La justice comme un fleuve puissant (le texte en est disponible
sur la page Internet dédiée aux peuples autochtones par notre Conférence). Au cours
des vingt dernières années, notre pays et notre Église ont vécu plusieurs changements
positifs dans les situations qu’expérimentent les autochtones. Néanmoins, un certain
nombre de graves questions attendent encore une solution, notamment en ce qui a trait
à l’autodétermination et à un développement social, économique et constitutionnel
authentique. Dans son message pour la Journée mondiale de la paix 2013, le pape Benoît
XVI décrit en ces termes le défi qui se pose à nous : le « développement intégral,
social, communautaire, entendu comme un droit et un devoir [...] fait partie du dessein
de Dieu sur l’homme » et constitue donc « un principe moral fondamental » (Heureux
les artisans de paix, n° 1, 1er janvier 2013). Monsieur le Premier Ministre,
vous avez fait preuve de créativité et de leadership en renouvelant le partenariat
de notre pays avec les autochtones lorsque vous avez présenté les excuses du Gouvernement
du Canada aux anciens élèves des pensionnats indiens en juin 2008. Monsieur le Premier
Ministre et Monsieur le Chef national, vous avez tous les deux participé, en janvier
2012, à la rencontre historique entre la Couronne et les Premières Nations. Les évêques
catholiques du Canada vous encouragent l’un et l’autre, ainsi que tous les ordres
de gouvernement au Canada, et toutes les institutions civiles, sociales et culturelles
de notre pays, à tirer tout le parti possible du contexte actuel, afin de renouveler
de manière concertée les efforts à faire en vue du développement humain et social
des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Bien des engagements ont été pris
par les générations qui nous ont précédés et les questions en suspens essentielles
au progrès futur ont déjà été identifiées par la Commission royale ainsi que par les
agences autochtones, fédérales et autres. Ce qu’il faut maintenant, c’est que ces
différentes initiatives bénéficient « du support d’une nouvelle pensée, d’une nouvelle
synthèse culturelle, pour dépasser les approches purement techniques et harmoniser
les multiples tendances politiques en vue du bien commun » (Benoît XVI, Message pour
la Journée mondiale de la paix 2013, n° 6). Pour les catholiques, la canonisation
en octobre dernier de Kateri Tekakwitha, première autochtone nord-américaine déclarée
sainte catholique, confirme l’importance qu’il y a en ce moment pour notre pays et
pour notre Église à renouveler et à approfondir nos relations et notre partenariat
avec la population autochtone. Puisse son exemple à titre de « protectrice du Canada
» qui a vécu à une époque de tensions et d’incompréhension, contribuer à inspirer
et à promouvoir le respect, le dialogue et la patience lors de votre rencontre du
11 janvier, pour ainsi porter les fruits d’une véritable espérance. En vous
offrant, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Chef national, l’assurance de mes
prières pour demander la bénédiction divine sur vos travaux et sur le témoignage que
vous donnez, je demeure sincèrement uni à vous en Notre Seigneur. + Richard
W. Smith Archevêque d’Edmonton et Président de la Conférence des
évêques catholiques du Canada c.c. : L’honorable John Duncan Ministre
des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien