2013-01-11 14:38:12

Au Canada, l’Eglise soutient le dialogue entre les autorités et les Amérindiens


Ce vendredi, comme c’est le cas depuis un mois maintenant au Canada, les populations autochtones du pays s’apprêtent à bloquer ponts et voie de chemin de fer. Ils souhaitent se faire voir et du même coup mettre la pression sur les autorités politiques, alors que le premier ministre a finalement concédé un rendez-vous de travail, pour ne pas dire de crise, avec les autochtones canadiens ce vendredi après-midi. Le compte-rendu de Marie Duhamel RealAudioMP3

Une protestation Amérindienne qui prend de l’ampleur

Stephen Harper n’avait plus vraiment le choix. Le Premier ministre canadien est soumis à une triple pression à commencer par celle de la chef amérindienne Theresa Spence. En grève de la faim depuis quatre semaines, elle dénonce les conditions de vie des autochtones de son village dans le nord de l’Ontario. Logement, santé, éducation, les habitants d’Attawapiskat sont à des années-lumière du mode de vie des autres Canadiens. Son village n’est pas le seul à connaître de graves difficultés. Dans la plupart des 600 réserves, c’est la même chose et ce pourrait être pire. C’est en tout cas, ce que redoute un nouveau mouvement venant de la base autochtone. « Idle no more », « plus jamais passif », fait vivre les Canadiens au rythme de leurs manifestations. Ils bloquent les gares et les autoroutes contre des amendements du gouvernement qui nuiraient un peu plus à leur vie quotidienne, ouvrant la possibilité à des tiers de louer leurs terrains dans les réserves et d’y alléger les contrôles environnementaux.

Mardi, des Premières nations de Frog Lake, en Alberta ont même décidé de poursuivre le gouvernement fédéral en justice, estimant que les lois C-38 et C-45 adoptées par le parlement canadien en décembre pourraient avoir « un impact dangereux sur l'environnement ». Un ancien chef de cette communauté, George Stanley, a affirmé que l'Etat canadien devait honorer les traités signés avec les Premières nations.

L’Etat doit prendre en charge et consulter les autochtones

Jamais officiellement battus sur le terrain, les autochtones canadiens sont liés à Ottawa par des traités signés d'égal à égal avec les colons britanniques. Selon ces accords, contre l’exploitation de leurs territoires, les métis, inuit et amérindiens doivent être pris en charge par l’Etat. Mardi, la Cour fédérale a en outre statué sur le fait que les quelque 600.000 Métis et Indiens du pays qui vivent à l'extérieur des réserves sont bel bien des « Indiens » en vertu de la Constitution et qu'ils sont donc éligibles aux mêmes droits que ceux vivant sur des réserves, notamment en matière de santé, d'éducation, de logement ou d'exemption fiscale.

Par ailleurs, en vertus de ces anciens traités, la Cours suprême a statué à de nombreuses reprises sur le fait que gouvernement canadien a le devoir de consulter les Amérindiens pour toutes les décisions susceptibles d'affecter leurs droits et de tenir compte de leurs préoccupations.

Finalement, la chef Theresa Spence et le mouvement « Idle no more » ont poussé le principal dirigeant autochtone, le chef de l’Assemblée des Premières Nations Shawn Atleo à réclamer une rencontre. Elle a lieu ce vendredi après-midi pour discuter du respect de ces droits conférés par les traités signés avec la Couronne et de l'amélioration des conditions de vie dans les quelque 600 réserves du pays.

Après avoir cherché à ne pas s'impliquer dans le conflit opposant le gouvernement canadien aux Amérindiens, le représentant de la Couronne britannique a, lui aussi jeudi, accepté de rencontrer leurs chefs.

L’Eglise voit d’un œil positif la détermination des Premières Nations

Que peut-on espérer de ces rencontres, notamment de celle entre les Amérindiens et le Premier ministre ? Certains analystes estiment qu’il s’agit pour les autorités de calmer le jeu sans passer ensuite à l’action. L’Eglise catholique est elle plus optimiste, surtout, elle espère beaucoup plus.

Favorable sans condition à cette rencontre, le président de la conférence épiscopale du Canada, Mgr Richard W. Smith, a fait savoir, dans une lettre publiée le 9 janvier dernier, que l’Eglise appuyait « les conversations et la collaboration qui doivent contribuer à garantir et protéger les droits et responsabilités des Premières Nations ».

« Bien des engagements ont été pris par les générations qui nous ont précédés et les questions en suspens essentielles au progrès futur ont déjà été identifiées par la Commission royale ainsi que par les agences autochtones, fédérales et autres. Ce qu’il faut maintenant, c’est que ces différentes initiatives bénéficient « du support d’une nouvelle pensée, d’une nouvelle synthèse culturelle, pour dépasser les approches purement techniques et harmoniser les multiples tendances politiques en vue du bien commun » (Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la paix 2013, n° 6) ».

Saluant la « créativité » et le « leadership » du Premier ministre lorsqu’il renouvela en 2008 « le partenariat (du Canada) avec les autochtones » en présentant « les excuses du Gouvernement du Canada aux anciens élèves des pensionnats indiens », l’Eglise se félicite de voir les Amérindiens déterminés à prendre leur destin en main. Les manifestations des ces dernières semaines « sont aussi le signe encourageant d’un regain de détermination chez les autochtones à jouer un rôle déterminant pour résoudre leurs problèmes et leurs frustrations. Il est de la plus haute importance que les autochtones et leurs chefs continuent de s’engager pour être les sujets actifs et responsables de leur propre développement culturel, économique et social. »
(avec agences)


Ci-dessous la lettre du président de la Conférence épiscopale du Canada aux deux parties engagées dans les discussions

Le 9 janvier 2013,

Le Très Honorable Stephen Harper, C.P., M.P.
Premier Ministre du Canada

Le Chef national Shawn A-in-chut Atleo
Chef national de l’Assemblée des Premières Nations

Monsieur le Premier Ministre Harper, Monsieur le Chef national Atleo,

Au nom des évêques catholiques de notre pays, je tiens à vous assurer l’un et l’autre, ainsi que le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien et la délégation de dirigeants des Premières Nations, de nos prières et de nos encouragements pour la rencontre du 11 janvier prochain. Vos échanges, nous n’en doutons pas, permettront d’engager un processus qui répondra aux préoccupations de toutes les populations autochtones du Canada – Premières Nations, Inuits et Métis.
Nous espérons que votre rencontre et le processus qui en résultera recevront l’appui de tous les Canadiens et de leurs leaders politiques, ainsi que celui des membres et des dirigeants des communautés autochtones. Le moment est important : il s’agit de tabler sur la bonne volonté et les efforts accomplis dans le passé pour que notre pays trouve dans la concertation des façons constructives de résoudre certains problèmes de fond. Les préoccupations actuelles en matière d’éducation, de logement, d’eau potable, d’accès aux soins de santé et d’occupation des terres sont cruciales et urgentes pour les Premières Nations. Ces préoccupations sont aussi le symptôme d’enjeux économiques, politiques et sociaux encore plus profonds, qui concernent tous les autochtones. Les manifestations quotidiennes sporadiques organisées par des membres des Premières Nations en divers points du pays ne disent pas seulement combien cette rencontre arrive à point nommé : elles sont aussi le signe encourageant d’un regain de détermination chez les autochtones à jouer un rôle déterminant pour résoudre leurs problèmes et leurs frustrations. Il est de la plus haute importance que les autochtones et leurs chefs continuent de s’engager pour être les sujets actifs et responsables de leur propre développement culturel, économique et social.
Depuis les débuts du pays, l’Église catholique travaille avec la population autochtone. En tant qu’évêques, nous avons fait savoir que nous sommes décidés à appuyer les conversations et la collaboration qui doivent contribuer à garantir et à protéger les droits et les responsabilités des Premières Nations, des Inuits et des Métis. La longue histoire de nos rapports avec les communautés autochtones et notre souci constant de leur bien-être et de leur droit à l’autodétermination ressortent du mémoire que notre Conférence a présenté à la Commission royale sur les peuples autochtones en 1994, La justice comme un fleuve puissant (le texte en est disponible sur la page Internet dédiée aux peuples autochtones par notre Conférence). Au cours des vingt dernières années, notre pays et notre Église ont vécu plusieurs changements positifs dans les situations qu’expérimentent les autochtones. Néanmoins, un certain nombre de graves questions attendent encore une solution, notamment en ce qui a trait à l’autodétermination et à un développement social, économique et constitutionnel authentique. Dans son message pour la Journée mondiale de la paix 2013, le pape Benoît XVI décrit en ces termes le défi qui se pose à nous : le « développement intégral, social, communautaire, entendu comme un droit et un devoir [...] fait partie du dessein de Dieu sur l’homme » et constitue donc « un principe moral fondamental » (Heureux les artisans de paix, n° 1, 1er janvier 2013).
Monsieur le Premier Ministre, vous avez fait preuve de créativité et de leadership en renouvelant le partenariat de notre pays avec les autochtones lorsque vous avez présenté les excuses du Gouvernement du Canada aux anciens élèves des pensionnats indiens en juin 2008. Monsieur le Premier Ministre et Monsieur le Chef national, vous avez tous les deux participé, en janvier 2012, à la rencontre historique entre la Couronne et les Premières Nations. Les évêques catholiques du Canada vous encouragent l’un et l’autre, ainsi que tous les ordres de gouvernement au Canada, et toutes les institutions civiles, sociales et culturelles de notre pays, à tirer tout le parti possible du contexte actuel, afin de renouveler de manière concertée les efforts à faire en vue du développement humain et social des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Bien des engagements ont été pris par les générations qui nous ont précédés et les questions en suspens essentielles au progrès futur ont déjà été identifiées par la Commission royale ainsi que par les agences autochtones, fédérales et autres. Ce qu’il faut maintenant, c’est que ces différentes initiatives bénéficient « du support d’une nouvelle pensée, d’une nouvelle synthèse culturelle, pour dépasser les approches purement techniques et harmoniser les multiples tendances politiques en vue du bien commun » (Benoît XVI, Message pour la Journée mondiale de la paix 2013, n° 6).
Pour les catholiques, la canonisation en octobre dernier de Kateri Tekakwitha, première autochtone nord-américaine déclarée sainte catholique, confirme l’importance qu’il y a en ce moment pour notre pays et pour notre Église à renouveler et à approfondir nos relations et notre partenariat avec la population autochtone. Puisse son exemple à titre de « protectrice du Canada » qui a vécu à une époque de tensions et d’incompréhension, contribuer à inspirer et à promouvoir le respect, le dialogue et la patience lors de votre rencontre du 11 janvier, pour ainsi porter les fruits d’une véritable espérance.
En vous offrant, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Chef national, l’assurance de mes prières pour demander la bénédiction divine sur vos travaux et sur le témoignage que vous donnez, je demeure sincèrement uni à vous en Notre Seigneur.
+ Richard W. Smith
Archevêque d’Edmonton et
Président de la Conférence des évêques catholiques du Canada
c.c. : L’honorable John Duncan
Ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien







All the contents on this site are copyrighted ©.