Il y a deux ans naissait au cœur de la Tunisie ce que l’on appellera bientôt le Printemps
arabe. A Sidi Bouzid, le 17 décembre 2010, un jeune vendeur ambulant, Mohammed Bouazizi,
s’immolait par le feu pour dénoncer les brimades policières et la pauvreté. De là
partait un mouvement de protestation qui allait gagner toute la Tunisie et emporter
en quelques semaines le régime de Zine el Abidine Ben Ali.
Ce lundi, le président
tunisien, Moncef Marzouki, s’est rendu sur place pour déposer une gerbe de fleurs
sur la tombe du jeune martyr et pour prononcer un discours. Lors de cette visite dans
une région particulièrement déshéritée du pays, des manifestants ont fait entendre
leur voix : « Vous êtes venu il y a un an et vous aviez promis que les choses allaient
changer sous six mois, mais rien n’a changé » a notamment lancé un manifestant.
Il
faut reconnaître des progrès, malgré des restes d'autoritarisme
Si l’on
constate des persistances au niveau économique, la Tunisie a tout de même bien changé,
nuance Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français du Proche-Orient de Beyrouth.
« On a quand même passé un cap nouveau, il y a eu les premières élections libres et
démocratiques du pays, l’élection d’une assemblée constituante. Malgré quelques restes
d’autoritarisme notamment dans les forces de police, il y a tout de même un retour
aux libertés politiques fondamentales », précise le chercheur.
« Certes, il
y a des tentations autoritaires. On perçoit chez le parti Ennahda actuellement au
pouvoir, une tentation hégémonique mais pas de réelle volonté de revenir au parti
unique comme du temps de l’ancien régime de Ben Ali avec le RCD (Rassemblement constitutionnel
démocratique).On est plus dans la figure d’un parti dominant qui se comporte comme
un parti ultra-majoritaire », explique Vincent Geisser.
Mais « il y a aussi
des poches de résistance démocratique ; la société civile tunisienne a muri avec la
Révolution. On voit des réactions sous forme de manifestations quand le gouvernement
ou le parti islamiste prend des mesures polémiques comme le remplacement du mot égalité
par celui de complémentarité dans les relations hommes-femmes » poursuit-il.
Les
difficultés économiques et sociales qui font partie des causes profondes de la Révolution.
Deux
ans après, les Tunisiens sont toujours confrontés aux mêmes problèmes. « La bipolarisation
politique entre laïcs et islamistes cache une autre bipolarisation entre ceux qui
vivent à peu près convenablement et ceux qui vivent dans des conditions misérables
», reconnait Vincent Geisser.
« On a d’un côté la Tunisie de la capitale et
du littoral et de l’autre la Tunisie de l’intérieur, celle du Nord-Ouest et du Centre-Ouest
qui est marquée par de très fortes inégalités sociales et qui a le sentiment de s’être
fait voler la révolution. »
Vincent Geisser, chercheur à l’Institut français
du Proche-Orient de Beyrouth, est interrogé par Xavier Sartre
(Photo:
Protestations contre la visite du président tunisien à Sidi Bouzid)