Mohamed Morsi confronté à la colère de la rue en Egypte
Plusieurs milliers d'Egyptiens manifestaient mardi après-midi après l'annonce lundi
que le président islamiste Mohamed Morsi maintenait un décret par lequel il s'octroie
concrètement les pleins pouvoirs. Des milliers d'avocats notamment ont défilé vers
la place Tahrir au Caire en scandant "le peuple veut la chute du régime", un des slogans
emblématiques de la révolte de l'an dernier qui mena à la chute du régime de Hosni
Moubarak. D'autres cortèges progressaient vers la célèbre place du centre ville, qui
se remplissait progressivement de manifestants protestant contre une dérive "dictatoriale"
du nouveau pouvoir.
En mettant à sa botte le pouvoir judiciaire, Mohamed Morsi
a provoqué un véritable séisme politique dans le pays et donne le sentiment d’enterrer
les acquis de la révolution. Le peuple égyptien gronde et compte le faire savoir.
Lundi, de nombreux manifestants occupaient la place. Olivier Bonnel les a rencontrés.
Les
visages sont fermés et les traits tirés. Depuis vendredi dernier, des dizaines de
tentes sont réapparues sur la place Tahrir, épicentre de la révolution égyptienne,
et les occupants ne dorment pas beaucoup. Tout le monde attend cette journée de mardi
comme un tournant de la vie politique égyptienne. La déclaration du président Morsi,
le 22 novembre, a été un électrochoc.
En sept articles, le président égyptien
s’est arrogé les pleins-pouvoirs, en mettant au pas notamment la justice. Sur la place,
les banderoles sont claires et traduisent la défiance grandissante envers les Frères
musulmans.
« Interdit aux Frères »
A l’entrée de la rue Mohamed
Mahmoud, où les combats entre révolutionnaires et police ont été sanglants, une grande
banderole jaune annonce la couleur : « interdit aux Frères ». Beaucoup de jeunes sont
là, plutôt occidentalisés, à griller des cigarettes en silence. Certains sont assis
devant le mur de l’ancienne université américaine, couverts de graffitis postrévolutionnaire
qui dénoncent la répression policière.
Plusieurs drapeaux flottent au vent
avec le visage de martyrs, tués lors des affrontements avec les forces de l’ordre.
Car pour de nombreux jeunes, la révolution continue. Le dernier « héros en date »
est un webmaster, tué la semaine dernière et dont les obsèques ont lieu ce vendredi
à la mosquée qui donne sur la place.
Morsi, nouveau Moubarak ?
Quelque
chose semble s’être cassé alors que beaucoup espéraient la construction d’un état
plus démocratique, même imparfait. La crise économique est profonde et les Frères
musulmans, si habitués à œuvrer auprès des pauvres semblent avoir déserté en rase
campagne.
Au milieu de la foule, une femme tient un carton sur lequel un pain
est dessiné. Il y a quelques semaines, elle a fait le siège du domicile de Mohamed
Morsi. Au bout de plusieurs heures, on lui a donné une galette de pain, quelques fèves
et cinq livres, mais on l’a surtout invité à quitter les lieux sous peine de terminer
au commissariat.
« Les problèmes des Egyptiens ne sont pas ceux de Gaza !
» hurle-t-elle en faisant référence au récent succès diplomatiques du président égyptien
dans la crise entre le Hamas et Israël. Un peu plus loin, un homme s’approche. Il
s’appelle Magdi Hussein et est ingénieur dans le bâtiment. Il a planté sa tente à
quelques mètres du terre-plein central de la place.
Magdi a soif de s’exprimer
et compte bien demander au président de revenir sur ses décisions :
Le calme
avant la tempête
L’ambiance est lourde sur la place. Les gens sont sur
le qui-vive, chacun semble vouloir ménager ses forces pour la grande manifestation
ce mardi. La plupart des opposants au président, libéraux ou nassériens, militants
de gauche et intellectuels, coptes ou musulmans modérés sont attendus pour grossir
les rangs.
A la veille de cette manifestation de force, certains paradent
à Tahrir des bandages sur la tête, montrant les stigmates des derniers affrontements.
Des ambulances sont garées dans les rues adjacentes prêtes à secourir les blessés.
Sur une banderole on peut lire : « L’Egypte est pour tous les Egyptiens ». Comme en
février 2011.
Olivier Bonnel, au Caire
(Photo : la place Tahrir, au
centre du Caire, lundi 26 novembre au matin)