Benoît XVI appelle les fidèles à se faire pèlerins dans les déserts du monde
Benoît XVI a ouvert ce jeudi matin lors d’une messe solennelle l’Année de la foi,
50 ans jour pour jour après l’ouverture du Concile Vatican II. 400 évêques et cardinaux
étaient rassemblés sur le parvis de la Basilique Saint Pierre.
Parmi eux, les
quelques 260 pères synodaux qui participent actuellement au Vatican à la XIII° Assemblée
générale ordinaire du Synode des évêques consacrée à "la Nouvelle évangélisation pour
la transmission de la foi chrétienne".
Le Pape a salué le Patriarche de Constantinople,
Bartholomée I, l’archevêque de Canterbury et primat de l’Eglise anglicane Rowan Williams,
ainsi que les présidents des conférences épiscopales. Dans son homélie, Benoît XVI
a rappelé l’importance du témoignage de foi dans les déserts du monde contemporain.
Les
précisions d'Hélène Destombes :
Dans le désert,
il faut surtout des personnes de foi qui par l’exemple de leur vie tiennent en éveil
l’espérance. Benoît XVI, dans son homélie, exhorte les fidèles à entamer un pèlerinage
dans nos sociétés où s’est propagé le vide et qui ont connu ces dernières décennies
une désertification spirituelle, avec pour seul bagage : « l’Evangile et la foi de
l’Eglise, dont les documents du Concile sont l’expression lumineuse. »
« Si
l’Eglise propose aujourd’hui une année de la foi ainsi qu’une nouvelle évangélisation,
indique le Pape, ce n’est pas pour célébrer un anniversaire, mais parce que c’est
une nécessité encore plus qu’il y a 50 ans ».
L’urgence est de « raviver »
dans toute l’Eglise cette tension positive, ce désir d’annoncer à nouveau le Christ
à l’homme contemporain. Et afin que « l’élan intérieur pour la nouvelle évangélisation
ne reste pas seulement virtuel », Benoît XVI recommande de s’appuyer sur un fondement
concrets et précis : les documents du Concile Vatican II. S’y référer « protège des
excès, d’une nostalgie anachronique ou de courses en avant ».
Comme il l’a
déjà fait a plusieurs reprises, le Pape souligne donc la nécessite de revenir à la
lettre du Concile pour en découvrir l’esprit authentique. Accompagnée de cette boussole
et attentive aux signes souvent implicite de cet soif de Dieu dans nos sociétés contemporaines,
l’Eglise est invitée à rendre témoignage d’une vie nouvelle transformé par Dieu qui,
précise le Pape, indique le chemin. Cette année de la foi et le synode consacré à
la Nouvelle évangélisation représentent déjà des signes d’encouragement et d’espérance.
Et
présent à cette cérémonie, la patriarche de Constantinople, Bartholomée Ier : dans
son message, il a rappelé que pour l’Eglise orthodoxe, ces cinquante dernières années
ont été une période d’échanges et d’attentes. "Notre chemin n’a cependant pas été
toujours facile ou exempt de souffrances et de défis", a-t-il reconnu.
L'homélie
du Pape, jeudi matin, dans son intégralité :
"Vénérés frères
Chers
frères et sœurs,
"À 50 ans de l’ouverture du Concile Œcuménique Vatican II,
c’est avec une joie profonde que nous inaugurons aujourd’hui l’Année de la foi. Je
suis heureux de saluer toutes les personnes présentes, en particulier Sa Sainteté
Bartholomée I, Patriarche de Constantinople, ainsi que Sa Grâce Rowan Williams, Archevêque
de Canterbury. J’ai une pensée spéciale pour les Patriarches et les Archevêques majeurs
des Églises orientales catholiques et pour les Présidents des Conférences épiscopales.
Pour faire mémoire du Concile, que certains d’entre nous ici présents – et que je
salue affectueusement – ont eu la grâce de vivre personnellement, cette célébration
est encore enrichie par quelques signes spécifiques : la procession initiale qui rappelle
la procession inoubliable des Pères conciliaires lorsqu’ils firent leur entrée solennelle
dans cette Basilique ; l’intronisation de l’Evangéliaire, copie de celui-là même qui
a été utilisé durant le Concile ; les sept Messages finaux du Concile ainsi que le
Catéchisme de l’Église catholique que je remettrai à la fin de la Messe, avant la
Bénédiction. Non seulement ces signes nous rappellent le devoir de commémoration qui
est le nôtre, mais ils nous offrent aussi l’opportunité de dépasser cette perspective
pour aller au-delà. Ils nous invitent à entrer plus avant dans le mouvement spirituel
qui a caractérisé Vatican II, pour se l’approprier et lui donner tout son sens. Ce
sens fut et demeure la foi en Christ, la foi apostolique, animée par l’élan intérieur
qui pousse à annoncer le Christ à chaque homme et à tous les hommes pendant le pèlerinage
de l’Église sur les chemins de l’histoire.
"La cohérence entre l’Année de
la foi que nous ouvrons aujourd’hui et le chemin que l’Église a parcouru depuis les
50 dernières années est évidente : à commencer par le Concile, puis à travers le Magistère
du Serviteur de Dieu Paul VI qui, déjà en 1967, avait proclamé une « Année de la foi
», jusqu’au Grand Jubilée de l’an 2000 par lequel le Bienheureux Jean-Paul II a proposé
à nouveau à toute l’humanité Jésus-Christ comme unique Sauveur, hier, aujourd’hui
et pour toujours. Entre ces deux pontifes, Paul VI et Jean-Paul II, existe une convergence
totale et profonde précisément au sujet du Christ, centre du cosmos et de l’histoire,
ainsi qu’au regard du zèle apostolique qui les a portés à l’annoncer au monde. Jésus
est le centre de la foi chrétienne. Le chrétien croit en Dieu par Jésus qui nous en
a révélé le visage. Il est l’accomplissement des Écritures et leur interprète définitif.
Jésus-Christ n’est pas seulement objet de la foi mais, comme le dit la Lettre aux
Hébreux, il est « celui qui donne origine à la foi et la porte à sa plénitude » (He
12,2).
"L’Évangile de ce jour nous dit que Jésus, consacré par le Père dans
l’Esprit-Saint, est le sujet véritable et pérenne de l’évangélisation. « L’Esprit
du Seigneur est sur moi pour cela il m’a consacré par l’onction et m’a envoyé annoncer
aux pauvres une bonne nouvelle » (Lc 4,18). Cette mission du Christ, ce mouvement,
se poursuit dans l’espace et dans le temps, il traverse les siècles et les continents.
C’est un mouvement qui part du Père et, avec la force de l’Esprit, porte la bonne
nouvelle aux pauvres de tous les temps, au sens matériel et spirituel. L’Église est
l’instrument premier et nécessaire de cette œuvre du Christ parce qu’elle est unie
à Lui comme le corps l’est à la tête. « Comme le Père m’a envoyé, moi-aussi je vous
envoie » (Jn 20, 21). C’est ce qu’a dit le Ressuscité aux disciples et, soufflant
sur eux, il ajouta : « Recevez l’Esprit Saint » (v. 22). C’est Dieu le sujet principal
de l’évangélisation du monde, à travers Jésus-Christ ; mais le Christ lui-même a voulu
transmettre à l’Église sa propre mission, il l’a fait et continue de le faire jusqu’à
la fin des temps en répandant l’Esprit-Saint sur les disciples, ce même Esprit qui
se posa sur Lui et demeura en Lui durant toute sa vie terrestre, Lui donnant la force
de « proclamer aux prisonniers la libération et aux aveugles la vue », de « remettre
en liberté les opprimés » et de « proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4,
18-19).
"Le Concile Vatican II n’a pas voulu consacrer un document spécifique
au thème de la foi. Pourtant, il a été entièrement animé par la conscience et le désir
de devoir, pour ainsi dire, s’immerger à nouveau dans le mystère chrétien, afin d’être
en mesure de le proposer à nouveau efficacement à l’homme contemporain. A cet égard,
le Serviteur de Dieu Paul VI déclarait deux ans après la clôture de l’Assise conciliaire
: « Si le Concile ne traite pas expressément de la foi, il en parle à chaque page,
il en reconnait le caractère vital et surnaturel, il la répute entière et forte et
établit sur elle toutes ses affirmations doctrinales. Il suffirait de rappeler quelques
affirmations conciliaires […] pour se rendre compte de l’importance essentielle que
le Concile, en cohérence avec la tradition doctrinale de l’Église, attribue à la foi,
à la vraie foi, celle qui a pour source le Christ et pour canal le magistère de l’Eglise
(Catéchèse de l’Audience générale du 8 mars 1967). Ainsi s’exprimait Paul VI.
"Mais
nous devons maintenant remonter à celui qui a convoqué le Concile Vatican II et qui
l’ouvrit : le Bienheureux Jean XXIII. Dans son discours inaugural, celui-ci présenta
le but principal du Concile en ces termes : « Voici ce qui intéresse le Concile Œcuménique
: que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit défendu et enseigné de façon plus
efficace. (…) Le but principal de ce Concile n’est donc pas la discussion de tel ou
tel thème de doctrine … pour cela il n’est pas besoin d’un Concile … Il est nécessaire
que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être fidèlement respectée, soit
approfondie et présentée de façon à répondre aux exigences de notre temps » (AAS 54
[1962], 790.791-792).
"À la lumière de ces paroles, on comprend ce que j’ai
moi-même eu l’occasion d’expérimenter : durant le Concile il y avait une tension émouvante
face au devoir commun de faire resplendir la vérité et la beauté de la foi dans l’aujourd’hui
de notre temps, sans pour autant sacrifier aux exigences du moment présent ni la confiner
au passé : dans la foi résonne l’éternel présent de Dieu, qui transcende le temps
et qui pourtant ne peut être accueillie par nous que dans notre aujourd’hui qui est
unique. C’est pourquoi je considère que la chose la plus importante, surtout pour
un anniversaire aussi significatif que celui-ci, est de raviver dans toute l’Église
cette tension positive, ce désir d’annoncer à nouveau le Christ à l’homme contemporain.
Mais afin que cet élan intérieur pour la nouvelle évangélisation ne reste pas seulement
virtuel ou ne soit entaché de confusion, il faut qu’il s’appuie sur un fondement concret
et précis, et ce fondement est constitué par les documents du Concile Vatican II dans
lesquels il a trouvé son expression. Pour cette raison, j’ai insisté à plusieurs reprises
sur la nécessité de revenir, pour ainsi dire, à la “ lettre ” du Concile – c’est-à-dire
à ses textes – pour en découvrir aussi l’esprit authentique, et j’ai répété que le
véritable héritage du Concile réside en eux. La référence aux documents protège des
excès ou d’une nostalgie anachronique et ou de courses en avant et permets d’en saisir
la nouveauté dans la continuité. Le Concile n’a rien produit de nouveau en matière
de foi et n’a pas voulu en ôter ce qui est antique. Il s’est plutôt préoccupé de faire
en sorte que la même foi continue à être vécue dans l’aujourd’hui, continue à être
une foi vivante dans un monde en mutation.
"Si nous acceptons la direction
authentique que le Bienheureux Jean XXIII a voulu imprimer à Vatican II, nous pourrons
la rendre actuelle durant toute cette Année de la foi, dans l’unique voie de l’Église
qui veut continuellement approfondir le dépôt de la foi que le Christ lui a confié.
Les Pères conciliaires entendaient présenter la foi de façon efficace. Et s’ils se
sont ouverts dans la confiance au dialogue avec le monde moderne c’est justement parce
qu’ils étaient sûrs de leur foi, de la solidité du roc sur lequel ils s’appuyaient.
En revanche, dans les années qui ont suivi, beaucoup ont accueilli sans discernement
la mentalité dominante, mettant en discussion les fondements même du depositum fidei
qu’ils ne ressentaient malheureusement plus comme leurs dans toute leur vérité.
"Si
aujourd’hui l’Église propose une nouvelle Année de la foi ainsi que la nouvelle évangélisation,
ce n’est pas pour célébrer un anniversaire, mais parce que c’est une nécessité, plus
encore qu’il y a 50 ans ! Et la réponse à donner à cette nécessité est celle voulue
par les Papes et par les Pères du Concile, contenue dans ses documents. L’initiative
même de créer un Conseil Pontifical destiné à promouvoir la nouvelle évangélisation,
que je remercie pour les efforts déployés pour l’Année de la foi, entre dans cette
perspective. Les dernières décennies ont connu une « désertification » spirituelle.
Ce que pouvait signifier une vie, un monde sans Dieu, au temps du Concile, on pouvait
déjà le percevoir à travers certaines pages tragiques de l’histoire, mais aujourd’hui
nous le voyons malheureusement tous les jours autour de nous. C’est le vide qui s’est
propagé. Mais c’est justement à partir de l’expérience de ce désert, de ce vide, que
nous pouvons découvrir de nouveau la joie de croire, son importance vitale pour nous,
les hommes et les femmes. Dans le désert on redécouvre la valeur de ce qui est essentiel
pour vivre ; ainsi dans le monde contemporain les signes de la soif de Dieu, du sens
ultime de la vie, sont innombrables bien que souvent exprimés de façon implicite ou
négative. Et dans le désert il faut surtout des personnes de foi qui, par l’exemple
de leur vie, montrent le chemin vers la Terre promise et ainsi tiennent en éveil l’espérance.
La foi vécue ouvre le cœur à la Grâce de Dieu qui libère du pessimisme. Aujourd’hui
plus que jamais évangéliser signifie rendre témoignage d’une vie nouvelle, transformée
par Dieu, et ainsi indiquer le chemin. La première Lecture nous a parlé de la Sagesse
du voyageur (cf. Sir 34,9-13) : le voyage est une métaphore de la vie et le voyageur
sage est celui qui a appris l’art de vivre et est capable de le partager avec ses
frères – comme c’est le cas pour les pèlerins sur le Chemin de Saint-Jacques ou sur
les autres voies qui ont connu récemment, non par hasard, un regain de fréquentation.
Comment se fait-il que tant de personnes ressentent le besoin de parcourir ces chemins
? Ne serait-ce pas parce qu’il trouvent là, ou au moins y perçoivent quelque chose
du sens de notre être au monde ? Voici alors la façon dont nous pouvons penser cette
Année de la foi : un pèlerinage dans les déserts du monde contemporain, au cours duquel
il nous faut emporter seulement ce qui est essentiel : ni bâton, ni sac, ni pain,
ni argent et n’ayez pas deux tuniques – comme dit le Seigneur à ses Apôtres en les
envoyant en mission (cf. Lc 9,3) – mais l’Évangile et la foi de l’Église dont les
documents du Concile Œcuménique Vatican II sont l’expression lumineuse, comme l’est
également le Catéchisme de l’Église catholique, publié il y a 20 ans maintenant.
"Vénérés
et chers Frères, le 11 octobre 1962 on célébrait la fête de la Vierge Marie, Mère
de Dieu. C’est à elle que nous confions l’Année de la foi, comme je l’ai fait il y
a une semaine lorsque je suis allé en pèlerinage à Lorette. Que la Vierge Marie brille
toujours comme l’étoile sur le chemin de la nouvelle évangélisation. Qu’elle nous
aide à mettre en pratique l’exhortation de l’Apôtre Paul : « Que la Parole du Christ
habite en vous dans toute sa richesse ; instruisez-vous et reprenez-vous les uns les
autres avec une vraie sagesse… Et tout ce que vous dites, tout ce que vous faites,
que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus Christ, en offrant par lui votre action
de grâce à Dieu le Père » (Col 3,16-17). Amen."
(Photo : la procession des
Cardinaux jeudi matin, avant la messe du Pape à l'occasion du début de l'Année de
la foi)