Discours prononcé par le Pape lors de la signature de Ecclesia in Medio Oriente
Monsieur le Président de la République, Béatitude, vénérés Patriarches, chers
frères dans l’Épiscopat et membres du Conseil Spécial du Synode des Évêques pour le
Moyen-Orient, illustres représentants des confessions religieuses, du monde de
la culture et de la société civile, chers frères et sœurs dans le Christ, chers
amis,
J’exprime ma gratitude au Patriarche Gregorios Laham pour ses paroles
d’accueil, ainsi qu’au Secrétaire général du Synode des Évêques, Mgr Nikola Eterovic,
pour ses mots de présentation. Mes vives salutations vont aux Patriarches, à l’ensemble
des évêques orientaux et latins qui sont réunis dans cette belle basilique Saint-Paul,
et aux membres du Conseil Spécial du Synode des Évêques pour le Moyen-Orient. Je me
réjouis aussi de la présence de délégations orthodoxe, musulmane et druze, ainsi que
de celles du monde de la culture et de la société civile. L’heureuse cohabitation
de l’Islam et du Christianisme, deux religions ayant contribuées à façonner de grandes
cultures, fait l’originalité de la vie sociale, politique et religieuse au Liban.
On ne peut que se réjouir de cette réalité qu’il faut absolument encourager. Je confie
ce désir aux responsables religieux de votre pays. Je salue affectueusement la chère
communauté grecque-melkite qui me reçoit. Votre présence solennise la signature de
l’Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente, et témoigne que
ce document, destiné certes à l’Église universelle, revêt une importance particulière
pour l’ensemble du Moyen-Orient. Il est providentiel que cet acte ait lieu le
jour même de la fête de la Croix glorieuse, dont la célébration est née en Orient
en 335, au lendemain de la Dédicace de la Basilique de la Résurrection construite
sur le Golgotha et le sépulcre de Notre-Seigneur, par l’empereur Constantin-le-Grand,
que vous vénérez comme un saint. Dans un mois se célébrera le 1.700ème anniversaire
de l’apparition qui lui fit voir dans la nuit symbolique de son incroyance, le chrisme
flamboyant, alors qu’une voix lui disait : « Par ce signe, tu vaincras ! ». Plus tard,
Constantin signa l’édit de Milan et donna son nom à Constantinople. Il me semble que
l’Exhortation post-synodale peut être lue et interprétée à la lumière de la fête de
la Croix glorieuse, et plus particulièrement à la lumière du chrisme, le X (khi) et
le P (rhô), des deux premières lettres du mot ???st??. Une telle lecture conduit à
une véritable redécouverte de l’identité du baptisé et de l’Église, et elle constitue
en même temps comme un appel au témoignage dans et par la communion. La communion
et le témoignage chrétiens ne sont-ils pas fondés sur le Mystère pascal, sur la crucifixion,
la mort et la résurrection du Christ ? N’y trouvent-ils pas leur accomplissement plénier
? Il existe un lien inséparable entre la Croix et la Résurrection qui ne peut pas
être oublié par le chrétien. Sans ce lien, exalter la Croix signifierait justifier
la souffrance et la mort pour ne voir en eux qu’une fin fatale. Pour un chrétien,
exalter la Croix veut dire communier à la totalité de l’amour inconditionnel de Dieu
pour l’homme. C’est poser un acte de foi ! Exalter la croix, dans la perspective de
la Résurrection, c’est désirer vivre et manifester la totalité de cet amour. C’est
poser un acte d’amour ! Exalter la Croix conduit à s’engager à être des hérauts de
la communion fraternelle et ecclésiale, source du véritable témoignage chrétien. C’est
poser un acte d’espérance ! En se penchant sur la situation actuelle des Églises
au Moyen-Orient, les Pères synodaux ont pu réfléchir sur les joies et les peines,
les craintes et les espoirs des disciples du Christ vivant en ces lieux. Toute l’Église
a pu ainsi entendre le cri anxieux et percevoir le regard désespéré de tant d’hommes
et de femmes qui se trouvent dans des situations humaines et matérielles ardues, qui
vivent de fortes tensions dans la peur et l’inquiétude, et qui veulent suivre le Christ
- Celui qui donne sens à leur existence - mais qui s’en trouvent souvent empêchés.
C’est pourquoi j’ai désiré que la Première Lettre de Saint Pierre soit la trame du
document. En même temps, l’Église a pu admirer ce qu’il y a de beau et de noble dans
ces Églises sur ces terres. Comment ne pas rendre grâce à Dieu à tout moment pour
vous tous (cf. 1 Th 1, 2 ; Première Partie de l’Exhortation post-synodale), chers
chrétiens du Moyen-Orient ! Comment ne pas le louer pour votre courage dans la foi
? Comment ne pas le remercier pour la flamme de son amour infini que vous continuez
à maintenir vive et ardente en ces lieux qui ont été les premiers à accueillir son
Fils incarné ? Comment ne pas lui chanter notre reconnaissance pour les élans de communion
ecclésiale et fraternelle, pour la solidarité humaine sans cesse manifestée envers
tous les enfants de Dieu ? Ecclesia in Medio Oriente permet de repenser le présent
pour envisager l’avenir avec le regard même du Christ. Par ses orientations bibliques
et pastorales, par son invitation à un approfondissement spirituel et ecclésiologique,
par le renouveau liturgique et catéchétique préconisés, par ses appels au dialogue,
elle veut tracer un chemin pour retrouver l’essentiel : la sequela Christi, dans un
contexte difficile et quelquefois douloureux, un contexte qui pourrait faire naître
la tentation d’ignorer ou d’oublier la Croix glorieuse. C’est justement maintenant
qu’il faut célébrer la victoire de l’amour sur la haine, celle du pardon sur la vengeance,
celle du service sur la domination, celle de l’humilité sur l’orgueil, celle de l’unité
sur la division. À la lumière de la fête d’aujourd’hui et en vue d’une application
fructueuse de l’Exhortation, je vous invite tous à ne pas avoir peur, à demeurer dans
la vérité et à cultiver la pureté de la foi. Tel est le langage de la Croix glorieuse
! Telle est la folie de la Croix : celle de savoir convertir nos souffrances en cri
d’amour envers Dieu et de miséricorde envers le prochain ; celle de savoir aussi transformer
des êtres attaqués et blessés dans leur foi et leur identité, en vases d’argile prêts
à être comblés par l’abondance des dons divins plus précieux que l’or (cf. 2 Co 4,
7-18). Il ne s’agit pas là d’un langage purement allégorique, mais d’un appel pressant
à poser des actes concrets qui configurent toujours davantage au Christ, des actes
qui aident les différentes Églises à refléter la beauté de la première communauté
des croyants (cf. Ac 2, 41-47 ; Deuxième partie de l’Exhortation) ; des actes similaires
à ceux de l’empereur Constantin qui a su témoigner et sortir les chrétiens de la discrimination
pour leur permettre de vivre ouvertement et librement leur foi dans le Christ crucifié,
mort et ressuscité pour le salut de tous. Ecclesia in Medio Oriente offre des
éléments qui peuvent aider à un examen de conscience personnel et communautaire, à
une évaluation objective de l’engagement et du désir de sainteté de chaque disciple
du Christ. L’Exhortation ouvre au véritable dialogue interreligieux basé sur la foi
au Dieu Un et Créateur. Elle veut aussi contribuer à un œcuménisme plein de ferveur
humaine, spirituelle et caritative, dans la vérité et l’amour évangéliques, puisant
sa force dans le commandement du Ressuscité : « Allez donc, de toutes les nations
faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que je suis
avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 19-20). Dans toutes
ses composantes, l’Exhortation voudrait aider chaque disciple du Seigneur à vivre
pleinement et à transmettre réellement ce qu’il est devenu par le baptême : un fils
de Lumière, un être illuminé par Dieu, une lampe nouvelle dans l’obscurité troublante
du monde afin que des ténèbres resplendissent la lumière (cf. Jn 1, 4-5 et 2 Co 4,
1-6). Ce document veut contribuer à dépouiller la foi de ce qui l’enlaidit, de tout
ce qui peut obscurcir la splendeur de la lumière du Christ. La communion est alors
une adhésion véritable au Christ, et le témoignage est un rayonnement du Mystère pascal
qui donne un sens plénier à la Croix glorieuse. Nous suivons et « proclamons … un
Christ crucifié … puissance de Dieu et sagesse de Dieu » (1 Co 1, 23-24 ; cf. Troisième
Partie de l’Exhortation). « Sois sans crainte, petit troupeau » (Lc 12, 32)
et souviens-toi de la promesse faite à Constantin : « Par ce signe, tu vaincras !
» Églises au Moyen-Orient, soyez sans crainte, car le Seigneur est vraiment avec vous
jusqu’à la fin du monde ! Soyez sans crainte, car l’Église universelle vous accompagne
par sa proximité humaine et spirituelle ! C’est dans ces sentiments d’espérance et
d’encouragement à être des protagonistes actifs de la foi par la communion et le témoignage,
que dimanche je confierai l’Exhortation post-synodale Ecclesia in Medio Oriente à
mes vénérés frères Patriarches, Archevêques et Évêques, à tous les prêtres, aux diacres,
aux religieux et aux religieuses, aux séminaristes et aux fidèles laïcs. « Gardez
courage » (Jn 16, 33) ! Par l’intercession de la Vierge Marie, la Theotókos, j’invoque
avec grande affection l’abondance des dons divins sur vous tous ! Puisse Dieu accorder
à tous les peuples du Moyen-Orient de vivre dans la paix, la fraternité et la liberté
religieuse ! Que Dieu vous bénisse tous ! Lè yo barèk al-Rab jami’a kôm !