Benoît XVI à la Havane : "la vérité sur l’homme est un présupposé inévitable pour
atteindre la liberté"
Le Pape a célèbré la messe cet après-midi sur la Place de la Révolution, (à 9 heures
locales) en plein coeur de La Havane, point d'orgue de ce 23 ème voyage apostolique.
Quelques 300.000 personnes se sont rassemblées sur cette place mythique sous le portrait
géant et maintes fois photographié au cours des décennies de Che Guevara. Benoît
XVI a centré son homélie sur la vérité et la liberté. La chercher a t-il souligné
suppose toujours un exercice d’authentique liberté. Tout homme doit être chercheur
de vérité et opter pour elle, même aux prix de lourds sacrifices. Le récit de notre
envoyé spécial à Cuba Bernard Decottignies
Voici
le texte de son homélie: Chers frères et sœurs :
« Béni sois-tu, Seigneur,
Dieu…, béni soit ton nom de gloire et de sainteté » (Dn 3, 52). Cet hymne de
bénédiction du livre de Daniel résonne aujourd’hui dans notre liturgie, nous invitant
à plusieurs reprises à bénir et à louer Dieu. Nous faisons partie de la multitude
de ce chœur qui célèbre sans cesse le Seigneur. Nous nous unissons à ce concert d’action
de grâces et nous offrons notre voix joyeuse et confiante, qui cherche à cimenter
dans l’amour et la vérité le chemin de la foi. « Béni sois-tu Dieu » qui nous
réunit sur cette place emblématique pour que nous plongions davantage dans sa vie.
Je suis très heureux de me trouver aujourd’hui parmi vous et de présider cette sainte
messe au cœur de cette année jubilaire dédiée à la Vierge de la Charité de Cobre (Virgen
de la Caridad del Cobre). Je salue cordialement le Cardinal Jaime Ortega y
Alamino, Archevêque de La Havane, et je le remercie pour les aimables paroles qu’il
m’a adressées au nom de vous tous. Je salue aussi les Cardinaux, mes frères Évêques
de Cuba et d’autres pays qui ont désiré participer à cette célébration solennelle.
Je salue également les prêtres, les séminaristes, les religieux et tous les fidèles
ici réunis, de même que les autorités qui nous accompagnent. Dans la première
lecture qui a été proclamée, les trois jeunes, poursuivis par le souverain babylonien,
préfèrent affronter la mort dans le brasier que de trahir leur conscience et leur
foi. Ils trouvèrent la force de « louer, de glorifier et de bénir Dieu » dans la conviction
que le Seigneur du cosmos et de l’histoire ne les abandonnera pas à la mort et au
néant. En effet, Dieu n’abandonne jamais ses enfants et ne les oublie jamais. Il est
au-dessus de nous et il est capable de nous sauver par son pouvoir. En même temps,
il demeure près de son peuple et par son Fils Jésus-Christ, il a désiré installer
sa demeure parmi nous. « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment
mes disciples ; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous affranchira » (Jn
8, 31). Dans ce texte de l’Évangile qui a été proclamé, Jésus se révèle comme le Fils
de Dieu le Père, le Sauveur, le seul qui puisse dévoiler la vérité et donner l’authentique
liberté. Son enseignement provoque résistance et inquiétude parmi ses interlocuteurs,
et il les accuse de chercher sa mort, faisant référence au suprême sacrifice de la
croix, déjà proche. Même ainsi, il les exhorte à croire, à demeurer dans sa Parole
pour connaître la vérité qui libère et rend digne. En effet, la vérité est un
désir de l’être humain et la chercher suppose toujours un exercice d’authentique liberté.
Nombreux sont ceux, en revanche, qui préfèrent les raccourcis et qui essaient d’échapper
à cette tâche. Certains, comme Ponce Pilate, ironisent sur la possibilité de pouvoir
connaître la vérité (cf. Jn 18, 38), proclamant l’incapacité de l’homme à l’atteindre
ou niant qu’existe une vérité pour tous. Cette attitude, comme dans le cas du scepticisme
ou du relativisme, provoque un changement dans le cœur, le rendant froid, hésitant,
loin des autres et enfermé en soi-même. Des personnes qui se lavent les mains comme
le gouverneur romain et laissent filer le cours de l’histoire sans se compromettre.
D’autre part, il y a les autres qui interprètent mal cette recherche de vérité
les portant à l’irrationalité et au fanatisme, les enfermant dans « leur vérité »,
et qui entendent l’imposer aux autres. Ils sont comme ces légalistes aveuglés qui,
en voyant Jésus frappé et en sang, crient, furieux : « Crucifie-le ! » (cf. Jn
19 , 6). Cependant, qui agit irrationnellement ne peut pas parvenir à être disciple
de Jésus. Foi et raison sont nécessaires et complémentaires dans la recherche de la
vérité. Dieu a créé l’homme avec une vocation innée à la vérité et pour cela, l’a
doté de raison. Ce n’est certainement pas l’irrationalité, mais le désir de vérité
qui promeut la foi chrétienne. Tout homme doit être chercheur de vérité et opter pour
elle quand il la rencontre, même s’il risque d’affronter des sacrifices. De plus,
la vérité sur l’homme est un présupposé inévitable pour atteindre la liberté, car
nous découvrons en elle les fondements d’une éthique avec laquelle tous peuvent se
confronter, et qui contient des formulations claires et précises sur la vie et la
mort, les droits et les devoirs, le mariage, la famille et la société, en définitif,
sur la dignité inviolable de l’être humain. Ce patrimoine éthique est ce qui peut
rapprocher toutes les cultures, tous les peuples et toutes les religions, les autorités
et les citoyens, et les citoyens entre eux, les croyants dans le Christ et ceux qui
ne croient pas en lui. Le christianisme, mettant en évidence les valeurs qui
sous-tendent l’éthique, n’impose pas mais propose l’invitation du Christ à connaître
la vérité qui rend libre. Le croyant est appelé à l’offrir à ses contemporains, comme
le fit le Seigneur, avant même le sombre présage du rejet et de la croix. La rencontre
personnelle avec Celui qui est la vérité en personne nous pousse à partager ce trésor
avec les autres, spécialement par le témoignage. Chers amis, n’hésitez pas à
suivre Jésus-Christ. Nous trouvons en lui la vérité sur Dieu et sur l’homme. Il nous
aide à vaincre nos égoïsmes, à abandonner nos ambitions et à vaincre ce qui nous opprime.
Celui qui fait le mal, celui qui commet un péché en est esclave et n’atteindra jamais
la liberté (cf. Jn 8, 34). Ce n’est qu’en renonçant à la haine et à notre cœur
dur et aveugle, que nous serons libres, qu’une nouvelle vie jaillira en nous. Convaincu
que le Christ est la vraie mesure de l’homme et sachant que c’est en lui que l’on
trouve la force nécessaire pour affronter toutes les épreuves, je désire vous annoncer
ouvertement que le Seigneur Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie. Vous trouverez
tous en lui la pleine liberté, la lumière pour comprendre avec profondeur la réalité
et la transformer par le pouvoir rénovateur de l’amour. L’Église vit pour faire
bénéficier les autres de l’unique chose qu’elle possède et qui n’est autre que le
Christ, espérance de la gloire (cf. Col 1, 27). Pour pouvoir accomplir cette
tâche, elle doit compter sur la liberté religieuse qui est essentielle, et qui consiste
à pouvoir proclamer et célébrer la foi même publiquement, portant le message d’amour,
de réconciliation et de paix que Jésus a apporté au monde. Il faut reconnaître avec
joie qu’à Cuba des pas sont actuellement en train d’être accomplis pour que l’Eglise
mène à bien son incontournable mission d’exprimer publiquement et ouvertement sa foi.
Cependant, il est nécessaire d’aller de l’avant et je désire encourager les instances
gouvernementales de la Nation à renforcer ce qui a déjà été obtenu et à avancer sur
ce chemin d’un authentique service du bien commun de la société cubaine tout entière.
Le droit à la liberté religieuse, tant dans sa dimension individuelle que communautaire,
manifeste l’unité de la personne humaine qui est à la fois citoyen et croyant. Il
légitime aussi le fait que les croyants offrent une contribution à l’édification de
la société. Son renforcement consolide la vie en commun, alimente l’espérance en un
monde meilleur, crée les conditions propices à la paix et au développement harmonieux,
en même qu’il établit des bases fermes pour consolider les droits des générations
futures. Quand l’Église souligne ce droit, elle ne réclame aucun privilège. Elle
prétend seulement être fidèle au mandat de son divin fondateur, consciente que là
où le Christ se manifeste, l’homme grandit en humanité et trouve sa consistance. C’est
pourquoi elle cherche à donner ce témoignage dans sa prédication et son enseignement,
tant dans la catéchèse que dans le milieu scolaire et universitaire. Il est à espérer
qu’arrive bientôt ici également le moment où l’Église pourra apporter dans les divers
champs du savoir les bénéfices de la mission que son Seigneur lui a confiée et qu’elle
ne pourra jamais négliger. Un exemple illustre de ce labeur fut le célèbre prêtre
Félix Varela, éducateur et maître, illustre fils de cette ville de La Havane qui est
passé à l’histoire de Cuba comme le premier qui enseigna à penser à son peuple. Le
père Varela nous montre la voie pour une vraie transformation sociale : former des
hommes vertueux pour forger une nation digne et libre, puisque cette transformation
dépendra de la vie spirituelle de l’homme, car « il n’y a pas de patrie sans vertu
» (Cartas a Elpidio, carta sesta Madrid 1836, 220). Cuba et le monde ont besoin
de changements, mais ceux-ci n’auront lieu que si chacun se trouve dans les conditions
de s’interroger sur la vérité et se décide à prendre la voie de l’amour, semant la
réconciliation et la fraternité. En invoquant la maternelle protection de la
Très Sainte Marie, demandons que chaque fois que nous participons à l’Eucharistie
nous devenions aussi les témoins de la charité qui répond au mal par le bien (cf.
Rm 12, 21), nous offrant comme hostie vivante à celui qui par amour s’offrit
lui-même pour nous. Marchons à la lumière du Christ, qui est celui qui peut détruire
les ténèbres de l’erreur. Supplions-le qu’avec le courage et la force des saints,
nous puissions donner une réponse libre, généreuse et cohérente à Dieu, sans peur
ni rancœurs. Amen.