Les évêques français en assemblée plénière à Lourdes
L'assemblée plénière de printemps des évêques de France s'est ouverte ce lundi matin
à Lourdes, dans la foulée du rassemblement interdiocésain célébrant les cinquante
ans de l'ouverture du Concile Vatican II. Jusqu'au 29 mars, l'épiscopat français travaillera
sur plusieurs thèmes comme les statuts de l'Enseignement catholique, la nouvelle évangélisation,
l'éducation et Internet, sans oublier bien sûr les réflexions autour des questions
d'actualité après la tragédie de Toulouse et Montauban et la campagne électorale aux
élections présidentielles. A cette occasion, le cardinal André Vingt-Trois, archevêque
de Paris et président de la Conférence des évêques de France a ouvert les travaux
de l'assemblée. Voici son discours:
"Chers amis,
Nous commençons cette
assemblée juste après les événements tragiques de Toulouse et de Montauban qui ont
bouleversé notre pays au cours des semaines écoulées. Nous avons eu à coeur d’exprimer
aux familles endeuillées et à la communauté juive de France notre proximité et la
part que nous avons prise à leur peine. Je profite de notre assemblée pour renouvelerl’assurance
de la prière de nos communautés catholiques. L’acte d’un homme fanatisé peut aussi
exprimer des tentations de violence sociale. Nous souhaitons tous que cette violence
ne se diffuse pas à l’égard des différentes communautés religieuses de notre pays.
Nous venons de vivre le rassemblement national des représentants des diocèses français
qui inaugure chez nous les cérémonies du cinquantenaire de l’ouverture du Concile
Vatican II. Avant que chacun de nos diocèses ne marque cette ouverture par un événement
diocésain au mois d’octobre prochain, il était bon que notreÉglise en France vive
ce temps de communion dans l’action de grâce pour tout ce qu’elle a reçu du Concile.
Pour nous, il ne s’agit pas simplement des commémorations historiques. En promulguant
une Année de la Foi, le Saint Père a voulu que le souvenir de l’événement majeur du
Concile Vatican II soit pour les chrétiens l’occasion d’un renouveau de leur profession
de foi ecclésiale au Christ ressuscité qui fut au coeur de la célébration du Concile,
comme il est au coeur de notre foi.
La prière et la réflexion que nous avons
vécues pendant ces deux journées avec les représentants de nos diocèses ont permis
de mesurer combien le Concile a très profondément marqué la vie de notre Église en
France. Il lui a permis d’entrer avec confiance et vigueur dans notre XXI° siècle.
Le quart de siècle du pontificat du bienheureux Jean-Paul II a été comme une longue
méditation sur l’apport du Concile à la vie de l’Église. Les sessions successives
du synode des évêques ont monnayé cet apport pour la vie de l’Église universelle et
toutes les catégories du peuple chrétien, depuis le ministère des évêques et des prêtres
jusqu’à la mission des laïcs, en passant par la vie consacrée et la pratique des sacrements.
«L’herméneutique de la réforme » a été une pratique patiente et persévérante de l’Église
tout au long de ce quart de siècle.De même, la réflexion pastorale sur la pratique
sacramentelle avec les synodes sur la catéchèse, la réconciliation et l’eucharistie
a renouvelé l’élan de la célébration des mystères chrétiens.
Toute cette période,
jalonnée par la succession des Journées Mondiales de la Jeunesse et par les années
saintes, nous a préparés en profondeur à raviver notre sens de la mission à l’aube
du XXI° siècle. Et ce renouveau se concrétise maintenant par une mise en oeuvre
plus systématique de la nouvelle évangélisation que Paul VI appelait de ses voeux
à la fin de son pontificat par l’exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi. Si je
me suis permis ce petit rappel historique, c’est pour nous éviter de nous laisser
submerger par les inévitables difficultés quotidiennes de notre mission, éviter de
nous laisser étouffer par la contrainte de chaque jour et mieux percevoir comment
notre mission se situe dans une histoire longue qui est l’histoire du dynamisme de
la Bonne Nouvelle.
La nouvelle évangélisation tiendra une place importante
dans cette assemblée pour approfondir les pistes de travail du prochain synode et
alimenter de quelque façon la contribution de nos délégués dont la désignation a été
approuvée par le Saint Père. La question à laquelle nous sommes confrontés n’est plus
un débat d’école sur le sens ou l’opportunité de la nouvelle évangélisation. Sur ce
sujet, tout a été pensé et tout a été dit. Maintenant, il s’agit de le faire. Nous
sommes invités à un travail de fond sur la mise en oeuvre de la nouvelle évangélisation.
Et, comme nous le savons, les premiers bénéficiaires de l’évangélisation sont ceux
qui en ont reçu la mission. Par la nouvelle évangélisation, c’est d’abord nous-mêmes
qui sommes entraînés à un nouvel accueil de la Bonne Nouvelle dans la situation qui
est la nôtre aujourd’hui. C’est dans la mesure où nous recevons l’Evangile de manière
toujours nouvelle que nous pouvons réellement contribuer à son annonce.
L’Année
de la Foi à laquelle nous sommes invités par le Pape ne vise pas seulement des initiatives
diocésaines qui seront sans doute nombreuses, ou une relance des mouvements d’évangélisation
qui est toujours nécessaire. Elle est un appel adressé à chaque chrétien pour procéder
en Église à une démarche de renouvellement de sa profession de foi. Ce renouveau concerne
en même temps l’acte de liberté personnelle qui répond à l’appel de Dieu et le contenu
spécifique de la foi chrétienne qui lui donne son identité propre. Il est le fondement
de notre engagement dans la nouvelle évangélisation.
Dans notre pays de tradition
chrétienne, la nouvelle évangélisation est souvent vécue comme un effort pour raviver
chez beaucoup de nos contemporains la saveur de l’Evangile qu’ils ont souvent oubliée
mais qui demeure comme une ressource latente. Cet appel adressé aux héritiers de la
tradition chrétienne est souvent mieux entendu que nous ne l’imaginons. Et beaucoup
des héritiers de cette tradition constituent les troupes des catéchumènes adultes
et jeunes que nous accompagnons en ce temps de Carême. Mais la mobilité nouvelle des
populations conduit dans notre pays des immigrés originaires d’autres traditions religieuses
ou simplement des hommes de bonne volonté à qui la préoccupation religieuse est étrangère
et qui ont ainsi une chance de découvrir chez nous une annonce de Jésus-Christ, même
si elle est parfois maladroite ou insuffisante à nos propres yeux.
Les commencements
de l’Église apostolique nous montrent que l’annonce du kérygme est indissociable des
signes de l’amour de Dieu pour les hommes manifesté dans la vie des chrétiens. C’est
notre capacité à servir nos frères qui attire leur attention sur le contenu de notre
foi tel que nous pouvons le proposer dans une société sécularisée. Nous sommes bien
convaincus que nos oeuvres n’ajoutent rien à la splendeur de la vérité, mais nous
savons aussi, comme nous le dit clairement l’épître de Jacques, que la foi sans les
oeuvres est inerte et imperceptible. C’est pourquoi, au cours des siècles l’élan missionnaire
de l’Église a été constamment illustré par l’engagement des chrétiens dans les combats
de ce monde. La préparation du rassemblement Diaconia 2013 est pour nous une occasion
de nous rappeler le lien étroit qui unit la foi et la charité.
C’est dans cette
tradition d’une confession de foi mise en pratique dans toutes les conditions de la
vie quotidienne que s’est enracinée dans notre pays une vigueur missionnaire magnifique
dans les deux siècles écoulés. La puissance de l’Esprit a suscité des hommes et des
femmes capables de rendre témoignage à l’Évangile dans toutes les circonstances. Nous
sommes les héritiers de ce dynamisme missionnaire incarné dans le quotidien au plus
près de la vie des hommes. Notre mission aujourd’hui est de lui donner corps dans
les circonstances actuelles qui ne sont plus celles du XIX ème siècle, ni même du
XX ème.
Nul ne s’étonnera donc de voir aujourd’hui les chrétiens pleinement
engagés dans le débat politique auquel notre pays est entraîné par les échéances électorales
prochaines. Il est trop clair que la médiatisation effrénée de cette campagne provoque
des sollicitations multiples pour engager l’Église dans une prise de position particulière.Le
message du Conseil Permanent du mois d’octobre dernier et les points de vigilance
qu’il a soulignés nous permettent de nous situer d’une façon juste dans ce débat.
Nous ne sommes pas chargés de répondre quotidiennement aux déclarations variées et
variables des candidats. C’est plutôt à eux de s’exprimer par rapport aux préoccupations
que nous avons énoncées. La réponse à leurs propositions viendra des urnes et du vote
des Français. Dans ce vote, les chrétiens auront à se déterminer en conscience devant
les graves enjeux humains, anthropologiques et éthiques qu’il implique. Je voudrais
seulement vous partager ici deux préoccupations par rapport au déroulement de cettecampagne,
du moins tel que nous le percevons à travers les informations diverses qui nous sont
distillées.
Ma première préoccupation concerne le risque de scepticisme des
électeurs à l’égard de l’action politique, du personnel politique en général et des
candidats aux élections en particulier. La gravité de la crise de notre société, amplifiée
encore par la dramatisation de l’information, pourrait susciter chez certains une
sorte de fatalisme. La réduction des analyses aux éléments économiques, sociaux ou
financiers de la crise risque de masquer ses dimensions culturelle, morale et spirituelle.
Nous serions devant une situation impossible à maîtriser et qui échapperait à toute
volonté politique des gouvernants. Cette impression ne peut que se fortifier dans
la mesure où les propositions faites ou les projets annoncés ne semblent pastoujours
à la hauteur des défis à relever. Si la crise est vraiment aussi profonde, comment
pourrait-on éviter de proposer des remèdes proportionnés ? Ce serait une défaite de
la démocratie si les électeurs renonçaient à voter parce qu’ils doutent des solutions
présentées. Dans une crise grave, il est important que chacun prenne sa part de responsabilité
en votant.L’histoire, y compris contemporaine, nous montre que des hommes et des femmes
décidés et qui déclarent ouvertement leurs projets peuvent changer quelque chose,même
si c’est douloureux pour tous.
Ma seconde préoccupation concerne l’ambiance
de notre société. La confrontation démocratique ne peut pas faire l’économie de débats
vigoureux et musclés, et c’est sans doute sain. Mais quand la confrontation se transforme,
plus ou moins, en appel à la haine envers d’autres candidats et à l’expression du
mépris de l’autre, elle engage l’avenir de manière inquiétante. Dans une élection
où les résultats sont nécessairement serrés, il n’est pas sain que les positions adverses
soient diabolisées. Comment oublier que, derrière les candidats que l’on démolit,
il y a des électeurs qui constituent un pourcentage important de la population et
qui ne doivent pas être rejetés dans une sorte d’opprobre ? Le pays ne peut se rassembler
dans un effort commun si sont semées la haine et la violence.
Sur ces deux
préoccupations, je sais que les chrétiens sont attentifs et veillent à mener le combat
politique dans le respect mutuel. Nous devons les y encourager et leur en rappeler
les obligations quand besoin est. Notre Église n’est ni un parti politique, ni un
groupe de pression qui défendrait des intérêts corporatistes. Ses membres sont simplement
des citoyens sérieux et respectueux des institutions. Mais notre mission d’annoncer
le Christ mort et ressuscité nous permet de contribuer efficacement au service du
bien commun. En annonçant que les institutions sont au service du respect de la personne
humaine, nous rappelons le sens des fonctions sociales. En invitant les chrétiens
à prier et approfondir leur vie intérieure, nous contribuons à former des citoyens
libres à l’égard des idoles du moment, notamment la frénésie financière. En invitant
les personnes à servir comme le Christ a servi, nous développons le sens de la responsabilité,
nous encourageons l’émergence de militants bénévoles, d’élus dignes de confiance.
Les
travaux que nous allons ouvrir maintenant se situent dans le cadre de cette mission
au service du bien commun. Notre travail sur le statut de l’Enseignement Catholique,
la publication prochaine du rapport du groupe de travail sur l’environnement, la poursuite
de notre recherche sur la culture Internet ou les débuts du groupe de travail sur
la présence des catholiques dans la société sont autant de contributions pour éclairer
la mission des chrétiens dans le temps que nous vivons. Nous ne doutons pas que ces
contributions apportent des éléments de réflexion à tous nos concitoyens." Lourdes-Lundi
26 mars 2012