Justice et Paix : “L’eau est un élément essentiel pour la vie”
A l’occasion du VIe Forum mondial sur l’Eau du 12 au 17 mars 2012 à Marseille dans
le sud de la France, le Saint-Siège a décidé de prendre officiellement la parole.
Le Conseil pontifical Justice et Paix, qui a envoyé trois délégués à cette rencontre
internationale, a publié le 10 mars un document intitulé : « L’eau, un élément essentiel
pour la vie. Imposer des solutions efficaces ». Dans cette contribution au Forum mondial
sur l’eau, le Saint-Siège rappelle combien, malgré certains progrès, la moitié de
la population mondiale reste encore aujourd’hui privée d’un accès adéquat à l’eau.
Il espère une meilleure gestion de l’eau de la part des acteurs concernés que le Saint-Siège
appelle à agir avec sobriété, responsabilité et solidarité. Les forums mondiaux
sur l’Eau sont organisés tous les trois ans par le Conseil mondial de l’Eau, une instance
rassemblant des acteurs privés, publics et des représentants du monde associatif.
Ci dessous, l’intégralité du document publié ce samedi 10 décembre par
le Conseil pontifical « Justice et Paix »
« L’eau, un élément essentiel
pour la vie » : instaurer des solutions efficaces - Contribution du Saint-Siège
au VI ème Forum Mondial de l'Eau, Marseille, France, mars 2012
A.
INTRODUCTION
I. CONTRIBUTION DE L'EGLISE CATHOLIQUE AU DÉBAT INTERNATIONAL
A
l’occasion des Forums mondiaux de l’Eau de 2003, 2006 et 2009, le Saint-Siège
a élaboré plusieurs réflexions. Se basant sur sa compétence – d’ordre principalement
moral –, il a mis en évidence différents arguments concernant l’eau, en soulignant
à nouveau l’importance et en encourageant les actions tendant à améliorer sa jouissance
et sa protection au niveau mondial.
1. Kyoto 2003 Pour le Saint-Siège
(Cf. CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», Water, an Essential Element for Life,
Cité du Vatican 2003.), le Forum de Kyoto a été l’opportunité de rédiger le
document Water, an Essential Element for Life (L’eau, un élément essentiel
pour la vie), qui a mis en évidence le fait que l’eau est un facteur commun aux
trois piliers – économique, social et environnemental – du développement durable.
A propos de la situation dramatique dans laquelle vivent les personnes ne disposant
pas d’eau potable, l’accent a été mis sur la prédominance à la fois des problèmes
d’accès et de gestion des ressources par rapport à ceux liés à la disponibilité totale,
et de ceux dus à l’emploi excessif et irresponsable de l’eau dans les pays développés
par rapport aux problèmes qu’entraîne la demande croissante en raison de l’augmentation
de la population. Le document définit l’eau comme un bien triple : un bien social,
lié à la santé, à l’alimentation et aux conflits ; un bien économique, nécessaire
à la production d’autres biens et rapporté à l’énergie, mais qui ne peut pas être
considéré comme n’importe quel autre bien commercial du fait qu’il est indispensable
à la vie et un don de Dieu ; un bien environnemental, au sens où il est lié
à la durabilité de l’environnement et aux catastrophes naturelles. De plus, toujours
à l’occasion du Forum de Kyoto, le Saint-Siège a souhaité que soit formellement
reconnu le droit à l’eau potable comme étant un droit fondamental et inaliénable,
fondé sur la dignité humaine. En effet, l’eau est une condition indispensable
pour la vie et la croissance humaine intégrale. Enfi n, il a mis en évidence sa valeur
religieuse ainsi que ses nombreux liens avec les problèmes de la pauvreté.
2.
Mexico 2006 Lors de la rencontre de Mexico et pour actualiser le document précédent
(Cf. CONSEIL PONTIFICAL « JUSTICE ET PAIX », Water, an Essential Element for Life
– An Update, Cité du Vatican 2006.), le Saint-Siège a surtout pris en compte l’eau
comme étant une responsabilité de tous les hommes, du fait qu’elle est un bien
fondamental de la création de Dieu, un bien destiné à chaque personne et à tous les
peuples. Pouvoir y accéder constitue un facteur clef de paix et de sécurité. Le
nouveau document arrive à souhaiter la promotion d’une culture de l’eau qui
puisse mettre celle-ci en valeur, la respecter, en ne la considérant pas comme une
simple marchandise, mais comme un bien destiné à tous. Une telle culture est
fondamentale pour que l’eau soit gérée en toute justice et responsabilité, en référence
aussi aux catastrophes naturelles.
3. Istanbul 2009 Enfin, dans la
perspective du Vème Forum d’Istanbul, le document initial a été actualisé avec,
pour sous-titre : And Now a Matter of Greater Urgency (Un thème devenu maintenant
plus urgent). Plus particulièrement, le nouveau texte (Cf. CONSEIL PONTIFICAL
« JUSTICE ET PAIX », Water, an Essential Element for Life and Now a Matter of Greater
Urgency – An Update, Cité du Vatican 2009.) encourage à analyser l’eau potable
et l’assainissement dans l’optique d’une seule et importante question, tous deux étant
fondamentaux pour déterminer les contenus du droit même. A propos du droit à l’eau,
le Saint-Siège constate qu’il est peu explicite et pas encore suffisamment affirmé
au plan juridique, bien qu’il ait été reconnu indirectement dans différents textes
internationaux. Il propose de demander à nouveau que ce droit – qui a ses racines
dans la dignité humaine – soit promu et reconnu explicitement. Enfin, en observant
les tendances statistiques en acte, le Saint-Siège relève que les Objectifs de
Développement du Millénaire (Objectif 7.c ) relatifs à l’eau ne seront
vraisemblablement pas atteints dans le délai de 2015 et que, dans ce cas d’insuccès,
tout pourcentage de leur réalisation représenterait un grave manquement de la part
de la communauté internationale.
II. ETABLISSEMENT D’UN BILAN EN VUE DE SOLUTIONS
FUTURES
En 1990, le bienheureux Jean-Paul II avait lancé un appel fervent
à propos de «la crise écologique (qui) met en évidence la nécessité morale urgente
d’une solidarité nouvelle » (Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la XXIIIème
Journée mondiale de la Paix (1er janvier 1990), 10 ) et de
la juste exploitation des ressources naturelles. Deux ans plus tard, l’ONU organisa
à Rio de Janeiro un Sommet sur «Environnement et Développement», un événement
historique qui a eu une influence et des répercussions au niveau mondial. Il contribua,
de façon significative, à structurer les réflexions et les projets d’action sur le
développement pour les vingt années suivantes. Le rôle particulier de l’eau dans
le développement a été largement reconnu, ainsi que le prouvent diverses initiatives
telles que : les premières activités du Conseil Mondial pour l’Eau dans la moitié
des années 90 ; la décision onusienne de proclamer une décennie de l’eau pour la vie
(2005-2015) ; la création – au sein de différents Gouvernements et Organisations
internationales – de structures chargées des problèmes complexes de l’eau. Aujourd’hui,
suite au déclenchement d’une violente crise économique – liée aussi à l’exploitation
des ressources naturelles et à l’écart survenu entre la finance et l’économie réelle,
entre le profit et la durabilité –, le moment est venu d’établir un bilan de la situation
actuelle afin d’instaurer urgemment des solutions efficaces aux problèmes restés irrésolus,
en vue de la Conférence de Rio+20 qui se tiendra en juin de cette année, mais aussi
d’ultérieures réflexions nécessaires sur l’eau dans le cadre du développement intégral
des peuples. Le fait que les organisateurs aient choisi Time for Solutions pour
titre de ce VIème Forum Mondial de l’Eau est source d’espérance. Le Saint-Siège
souhaite qu’en 2012 soient prises des décisions incisives fondées sur des principes
valables et que soient partagées des pratiques «vertueuses» à institutionnaliser et
universaliser dans la mesure du possible dès l’année successive, que l’ONU a dédiée
à la coopération dans le cadre des problèmes de l’eau (ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU,
Resolution adopted by the General Assembly 65/154. International Year of Water
Cooperation, 2013, A/RES/65/154, 11 février 2011.) Toujours dans cette optique,
le Saint-Siège espère que ce document pourra offrir une contribution utile.
B.
SITUATION ACTUELLE
I. PROGRÈS RÉALISÉS DANS L’AFFIRMATION DU DROIT À L’EAU
ET RECONNAISSANCE DE LA NÉCESSITÉ DE L’APPLIQUER
1. Le Saint-Siège et
la proposition de droits relatifs aux biens collectifs, y compris l’eau En
1990, le bienheureux Jean-Paul II parlait du «droit à la sécurité dans l’environnement,
comme un droit qui devra être inscrit dans une charte des droits de l’homme mise à
jour » (JEAN-PAUL II, Message pour la XXIIIème Journée mondiale de
la Paix (1er janvier 1990), 9.) L’année suivante, dans son Encyclique
Centesimus annus, ce droit est présenté comme un droit qui correspond à un
«bien collectif», dont la protection ne peut pas être assurée par de simples mécanismes
de marché (JEAN-PAUL II, Centesimus annus, 40.) mais grâce à la collaboration
de tous les hommes. Toujours Jean-Paul II, en 2003, réfléchissait sur l’affirmation
d’un écart croissant et préoccupant entre une série de nouveaux droits promus dans
les sociétés technologiquement avancées et consuméristes, et les droits humains élémentaires
encore non respectés, surtout dans des situations de sous développement, comme le
droit à l’eau potable (Cf. JEAN-PAUL II, Message pour la XXXVIème Journée
mondiale de la Paix (1er janvier 2003), 5). Dans le Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise publié en 2004, il est spécifié que «le droit
à l’eau, comme tous les droits de l’homme, se base sur la dignité et non pas sur des
évaluations de type purement quantitatif», et il est précisé qu’il est «un droit universel
et inaliénable» (CONSEIL PONTIFICAL «JUSTICE ET PAIX», Compendium de la Doctrine
Sociale de l'Eglise, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2004, 485. )
En 2009, mettant en relief son lien avec les autres droits, Sa Sainteté Benoît XVI
a souligné qu’il remplit un rôle important pour la réalisation de ceux-ci, à partir
déjà du droit premier à la vie (Cf. BENOIT XVI, Caritas in veritate, 27). 2.
Le parcours des Nations Unies Au cours des dernières années, l’Assemblée Générale
des Nations Unies s’est intéressée elle aussi à maintes reprises au droit à l’eau
et l’a consacré explicitement en 2010, le définissant «un droit à l’eau potable salubre
et propre et à l’assainissement» (ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU, Le droit fondamental
à l'eau et à l'assainissement, A/64/L.63/Rev.1*, 26 juillet 2010.) Dans la même
Résolution, il est reconnu comme un droit fondamental et essentiel au plein exercice
du droit à la vie et de tous les droits de l’homme. En outre, dans le Préambule de
cette Résolution historique, l’Assemblée Générale rappelle l’Observation n° 15 (2002)
du Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels (ECOSOC) où sont
précisés le contenu normatif du droit à l’eau, les obligations des Etats partie au
Pacte des Nations Unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et celles
des acteurs non étatiques impliqués, y compris les institutions financières internationales
(Cf. ECOSOC, Observation Générale N° 15 (2002). Le droit à l'eau (art. 11 et 12
du Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels),
E/C.12/2002/11, 20 janvier 2003.) L’année suivante, Mme Catarina de Albuquerque
(Cf. ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU, Rapport de la Rapporteuse Spéciale sur le droit
fondamental à l'eau potable et à l'assainissement, Catarina de Albuquerque, A/HRC/18/33,
4 juillet 2011. ) Rapporteur spécial pour le droit à l’eau, a largement contribué
à mieux comprendre les possibilités concrètes de réalisation de ce droit, en présentant
plusieurs bonnes pratiques et conditions de succès, à travers, entre autre, une identification
claire des responsabilités. En 2011 toujours, dans le sillage de cette reconnaissance
souhaitée et en se basant sur le rapport cité précédemment, le Conseil des Droits
de l’Homme a lancé un appel aux Etats pour que le droit à l’eau soit effectivement
appliqué (Cf. ASSEMBLEE GENERALE DE L’ONU, Le droit fondamental à l'eau et à l'assainissement,
A/HRC/18/L.1, 23 septembre 2011).
II. IL RESTE ENCORE BEAUCOUP À FAIRE
1.
Il y a trop de personnes qui n’ont pas accès à l’eau potable Encore aujourd’hui,
dans des contextes différents, nombreuses sont les personnes qui ne peuvent pas vivre
dignement et sont particulièrement exposées aux maladies et à la mortalité. En effet,
l’accès à l’eau potable en quantité et qualité adéquates est insuffisant. En outre,
il faut bien considérer que les chiffres relatifs à cet accès habituellement cités
dans les rencontres internationales ne reflètent pas la complexité du phénomène. De
plus, la distribution géographique des personnes qui, aujourd’hui encore, ont besoin
d’avoir accès à l’eau de façon appropriée fait que les problèmes sont toujours plus
difficiles à résoudre.
a. Accès à l’eau potable en quantité inadéquate Certaines
communautés n’ont pas suffisamment d’eau pour satisfaire leurs besoins, ou encore
ne disposent pas d’eau à proximité, de sorte que les personnes doivent parcourir de
longues distances pour se la procurer ( Avec, en conséquence, une réduction du temps
disponible pour d'autres activités fondamentales telles que l'instruction et le travail.
) Ou bien, elles dépendent de ressources qui varient selon les saisons et les précipitations. A
ces restrictions naturelles, viennent s’en ajouter d’autres de type anthropique
et technique, comme : le manque d’institutions adéquates ; l’impossibilité de
conserver ou de payer l’eau potable ; le manque soudain des sources habituelles ou
des structures de gestion de l’eau à cause de conflits ou de nouvelles activités à
haute consommation. (Eau pompée pour usage industriel et agricole.)
b. Accès
à l’eau potable de qualité inadéquate La bonne qualité de l’eau potable n’est
pas garantie en l’absence de mécanismes efficaces de dépuration et de structures adéquates
d’assainissement. Il en est de même lorsque manque l’information nécessaire pour faire
la distinction entre l’eau vraiment potable et celle apparemment potable
qui, par contre, demande à être traitée pour pouvoir être bue (Emblématique
ici est l'activité d'éducateurs sanitaires qui consiste, dans les pays en voie de
développement, à expliquer aux personnes que l'eau courante ou l'eau transportée dans
des camions-citernes n'est pas nécessairement potable, indépendamment du fait qu'elle
soit fournie par les autorités publiques locales ou par des entreprises privées.)
Dans d’autres contextes, certaines communautés possèdent et contrôlent des mécanismes
efficaces de dépuration et d’assainissement compatibles avec leur niveau technologique
et économique, mais insuffisants pour traiter des eaux hautement polluées, comme les
eaux noires ou les eaux usées industrielles.
c. Sous-estimation des chiffres
de la soif De telles situations concerneraient environ 800/900 millions de
personnes, selon les statistiques internationales largement diffusées, dont celles
des Nations Unies. Mais si l’on adopte une définition plus large d’accès à l’eau
– un accès régulier et constant à l’eau potable au plan économique, légal et effectif,
et qui soit acceptable au point de vue de sa jouissance – la réalité décrite dans
certaines études est source de plus grande préoccupation encore : 1.9 milliard de
personnes disposeraient uniquement d’une eau insalubre, tandis que 3.4 milliards de
personnes utiliseraient occasionnellement une eau de qualité incertaine. Selon ces
dernières statistiques, en définitive, l’accès à l’eau potable ne serait pas garanti
à environ la moitié de la population mondiale (Cf. GERARD PAYEN Les besoins en
eau potable dans le monde sont sous-estimés : des milliards de personnes sont concernées
in AA.VV. Implementing the Right to Drinking Water and Sanitation in Europe,
Académie de l’Eau, France 2011, p. 26. )
d. Une distribution géographique
complexe La plus grande partie des personnes n’ayant pas régulièrement accès
à l’eau potable – 84% selon l’Organisation Mondiale de la Santé (Cf. ORGANISATION
MONDIALE DE LA SANTE, World Health Statistics 2011, 2011, p. 18.)
– vivent dans des zones rurales, c’est-à-dire dans des zones où les possibilités de
fournir de l’eau potable sont limitées. Dans ces zones, différents facteurs – comme
l’éloignement de certaines communautés et le coût des infrastructures – font qu’une
amélioration nette et rapide de la situation soit improbable. Par ailleurs, des
problèmes difficiles à résoudre peuvent aussi se présenter dans les zones urbaines.
En effet, des millions de personnes disposent d’une eau courante insalubre du fait
qu’elles vivent dans des contextes nécessitant d’importants investissements en infrastructures
et en technologie pour rendre l’eau courante potable. Cette distribution
géographique des assoiffés – ainsi pourrait-on définir toutes les personnes
qui ne peuvent pas accéder à l’eau de façon régulière – rend la situation particulièrement
préoccupante, du fait que les progrès sont vraisemblablement lents et coûteux. En
outre, dans certaines zones urbaines du monde, on note un fort déséquilibre entre
la croissance de la population et l’augmentation des infrastructures hydriques.
2.
Le retard dans l’assainissement Les progrès dans le secteur de l’assainissement
apparaissent comme insuffisants. Plus d’un milliard de personnes n’auraient pas accès
à un type quelconque d’assainissement (Cf. ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTE, World
Health Statistics 2011, 2011, p. 18) et les tendances actuelles laissent présager
que les progrès seront lents dans ce domaine. Le phénomène est inquiétant du fait
que, tout comme la dépuration, l’assainissement joue un rôle essentiel dans les processus
de réutilisation de l’eau et d’opposition à de possibles dangers pour la santé humaine
dus à l’eau polluée ou stagnante. L’absence d’assainissement et de systèmes adéquats
de dépuration constituent une grave menace à l’environnement, en particulier dans
les grandes villes à forte densité d’habitation, du fait que d’importantes quantités
d’eau polluée sont déversées dans l’environnement, et ce dans un espace limité.
3.
Les risques d’une vision mercantile Les règles et les négociations du commerce
international devraient rechercher le bien de tous, en particulier des personnes pauvres
et vulnérables, et garantir aux hommes les moyens de subsistance (Cf. Intervention
du Saint-Siège au Conseil de l'Organisation Mondiale du Commerce sur les aspects des
droits relatifs à la propriété intellectuelle inhérents au commerce, Genève 8
juin 2010.) Le caractère essentiel de l’eau, don de Dieu pour l’existence humaine
oblige à ne pas la considérer comme un bien commercial quelconque. (Personne ne peut
revendiquer le mérite de l'eau, au sens où personne n'est à son origine) Hélas,
sur le plan pratique, on constate encore parfois une conception excessivement mercantile
de l’eau, qui risque de porter à l’erreur de la considérer comme une marchandise quelconque,
en planifiant les investissements selon les critères du profit et sans tenir compte
de la valeur qui est la sienne au niveau public. Une vision et une attitude trop
mercantiles peuvent conduire à programmer des investissements pour des infrastructures
uniquement dans des zones où il semble rentable de les réaliser, c’est-à-dire là
où ils semblent engendrer des bénéfices, là où habitent de nombreuses personnes. Le
risque existe de ne pas percevoir nos frères et nos sœurs comme des êtres humains
qui ont droit à une existence digne, mais de les considérer au contraire comme de
simples clients. Une telle approche mercantiliste induit à créer dans certains cas
une dépendance non nécessaire (dépendance de réseaux, de procédures, de brevets) et
prédispose à fournir l’eau uniquement à ceux qui peuvent la payer. Une autre limite
de l’approche mercantile de la gestion de l’eau (et d’autres ressources naturelles)
est de soigner et sauvegarder l’environnement en assumant ses propres responsabilités
uniquement si et quand cela convient au plan économique.
4. Un droit à
sauvegarder et à promouvoir Une fois reconnu, un droit doit être protégé et
promu dans un cadre juridique ad hoc et des institutions adéquates permettant
de définir clairement les responsabilités, d’établir les circonstances dans lesquelles
le droit n’est pas garanti et de demander réparation en cas de non-respect. Plusieurs
pays ont inséré le droit à l’eau dans leur système législatif interne, en précisant
les critères de qualité et de quantité pour les différents sujets et en identifiant
les structures responsables de son application. Ce qui est important du fait que,
dans le cadre de son propre territoire, l’Etat est le sujet responsable devant garantir
les droits et le bien-être des personnes, de même que la gestion correcte des ressources
naturelles. Il est regrettable que tous les Etats n’aient pas inséré le droit à l’eau
dans leur ordre juridique national. Certains Etats tolèrent ou mettent en acte
sur leur territoire des actions qui, directement ou indirectement, portent atteinte
au droit des communautés relevant d’Etats limitrophes, ou arrivent même à utiliser
l’eau pour exercer des pressions politiques ou économiques. Par ailleurs, au niveau
international, après qu’un droit aussi important ait été reconnu, apparaît encore
plus clairement l’inadéquation de «l’ensemble des institutions qui structurent juridiquement»
(BENOIT XVI, Caritas in veritate, 7.) les droits et ont pour but de les garantir.
La nécessité d’améliorer et de renforcer les institutions internationales existantes
«apparaît (du reste) avec évidence si l’on pense au fait que le programme des questions
devant être traitées au niveau mondial devient toujours plus dense»( CONSEIL PONTIFICAL
JUSTICE ET PAIX», Pour une réforme du système financier et monétaire international
dans la perspective d'une autorité publique ayant compétence universelle, Librairie
Editrice Vaticane, Cité du Vatican 2011, 3.) et que certaines problématiques ne peuvent
plus être gérées par un Etat individuellement. Cela est d’autant plus valable pour
l’eau qui, de par sa nature, ruisselle aussi bien en surface qu’en profondeur, indépendamment
des frontières fixées par les hommes. En plus de la carence des institutions, «il
faut malheureusement constater les fréquentes hésitations de la communauté internationale
concernant le devoir de respecter et d’appliquer les droits humains » (JEAN-PAUL II,
Message pour la XXXVIème Journée mondiale de la Paix (1er janvier
2003), 5.)
III. L’ADOPTION D’UNE NÉCESSAIRE VISION INTÉGRÉE ET À PLUSIEURS
NIVEAUX DANS LA RECHERCHE DE SOLUTIONS SOUTENUE PAR DES STRUCTURES INTERNATIONALES
AD HOC
Le Saint-Siège apprécie la prise de conscience qu’il n’est guère
possible de chercher, et encore moins de trouver et d’appliquer, des solutions à la
question de l’eau considérée indépendamment des différents problèmes liés au développement,
ni en se limitant à un seul niveau d’intervention. Au cours des dernières années,
des évolutions encourageantes ont été enregistrées dans ces secteurs. L’apparition
de certaines structures multinationales ou internationales – devant toutefois être
renforcées – reflète la progressive prise de conscience assumée par la communauté
internationale quant à leur nécessité.
1. L’eau dans une approche globale du
développement On sait désormais qu’il est impossible d’analyser et d’essayer de résoudre
la question de l’eau de façon isolée, sans la relier à d’autres thèmes sociaux, économiques
et environnementaux qui lui sont liés (Cf. UNITED NATIONS SECRETARY-GENERAL’S HIGH-LEVEL
PANEL ON GLOBAL SUSTAINABILITY, Resilient People, Resilient Planet : a Future Worth
Choosing, 30 janvier 2012, p. 6.). Cette question est communément associée à celles
de la faim et de la sous-alimentation, de l’économie et de la finance, de l’énergie,
de l’environnement au sens large, de la production et de l’industrie, de l’hygiène,
de l’agriculture, de l’urbanisation, des catastrophes naturelles, des «sécheresses
dévastatrices et de la montée du niveau des eaux» ( BENOIT XVI, Discours pour la
Fête de l'accueil des jeunes, Voyage apostolique à Sydney, 17 juillet 2008). Tous
ces problèmes sont tous très interdépendants. Ils doivent donc être affrontés ensemble,
en vue d’un authentique développement intégral et durable.
2. Les différents
niveaux d’analyse L’analyse interdisciplinaire est communément pratiquée –
et elle doit continuer de l’être – à différents niveaux lorsqu’il s’agit d’interpréter
les problèmes cités ci-dessus et de les affronter de façon adéquate. Elle le fait
en tenant compte du niveau global et du niveau local, de la structure régionale et
de celle nationale, conformément aux exigences du principe de subsidiarité. Les réseaux
aquifères internationaux, les fleuves et les lacs transnationaux, ainsi que les activités
qui ont une incidence potentielle sur la disponibilité de l’eau dans un autre Etat
constituent naturellement une question sociale supranationale. La prévention et la
gestion des crises dans des zones de tension exigent elles aussi une analyse à différents
niveaux, du fait que les décisions nationales peuvent se répercuter sur les situations
locales, tout comme d’éventuels conflits locaux peuvent entraîner l’instabilité au
niveau régional. Par ailleurs, la possibilité de coopération aussi entre les diverses
réalités locales et globales – pour suivre des projets, diffuser des pratiques justes,
rechercher des investissements – exige elle aussi que soit pratiquée une analyse à
différents niveaux.
3. Les nouvelles structures inter-gouvernementales Elles
sont encore insuffisantes Le Saint-Siège exprime son appréciation pour la création,
au sein des Nations Unies ou de structures inter-gouvernementales régionales, de groupes
de consultations ou d’organisations de coordination consacrés spécifiquement aux problèmes
de l’eau. Cette tendance, qui a vu le jour au début des années 2000, témoigne de l’attention
croissante accordée au «bien public» qu’est l’eau. Malgré cela, des progrès institutionnels
devraient être réalisés ultérieurement dans le cadre de la gestion équitable de l’eau
au niveau international.
IV. UNE DEMANDE CROISSANTE
1. Les raisons Dans
l’avenir, on verra croître la demande d’eau au plan mondial, étant donné que la population
du globe est en augmentation. Par ailleurs, indépendamment de l’accroissement de la
population, on assiste à une élévation des niveaux de vie et de la consommation dans
différents pays. On voit croître la demande d’eau et d’énergie, utilisées aussi pour
des objectifs non essentiels et la production de biens de consommation pas toujours
nécessaires. A ce propos, une inquiétude particulière est suscitée par «le gaspillage
des ressources (...) pour alimenter un besoin de consommation insatiable» (BENOIT
XVI, Discours pour la Fête d'Accueil des Jeunes, Voyage apostolique à Sydney,
17 juillet 2008) et par «l’accumulation illimitée de biens (...) réservés à un petit
nombre et proposés comme modèles à la masse» (BENOIT XVI, Discours aux nouveaux
ambassadeurs près le Saint-Siège à l’occasion de la présentation collective des lettres
de créance, 17 décembre 2009.)
2. Des ressources compromises En
outre, la demande accrue d’eau se confronte avec une carence de ce bien, et les «inquiétudes
dues à la diminution toujours plus importante de la disponibilité en eau» (Intervention
du Saint-Siège à la 37ème session de la Conférence de la FAO, 28
juin 2011.) sont toujours plus évidentes. En effet, les ressources hydriques
sont aussi compromises par des activités directement imputables à une mauvaise gestion
comme : la pollution qui intervient à divers niveaux dans le cycle de l’eau ; le pompage
excessif, qui ne tient pas compte dûment des temps de régénération de la ressource
«eau». A sa charge aussi des pertes, des installations mal conçues ou mal gérées et
les gaspillages dus à des consommations irresponsables. Dans certaines zones particulièrement
concernées par les changements climatiques, le réchauffement global réduit les ressources
disponibles. Vraisemblablement, ce phénomène touchera davantage les zones disposant
d’eau en quantité réduite et habitées par des populations vulnérables, où il sera
le plus ressenti. Des millions de personnes pourraient être privées d’eau potable
et voir mise en danger leur production agricole – qui dépend surtout de l’abondance
des pluies ou de leur carence. En outre, certains pays ont utilisé en excès l’eau
disponible, compromettant les ressources et outrepassant les limites de durabilité
(Cf. NATIONS UNIES, UN Millenium Development Goals Report 2011, 2011,
p. 52.). De sorte que la sécurité et la durabilité des ressources hydriques restent
une question qui doit être prise en considération de toute urgence ( Cf. NATIONS UNIES,
UN Millenium Development Goals Report 2010, 2010, p. 4.)
C. SOLUTIONS
DURABLES
Nous nous trouvons donc dans un contexte où le droit à l’eau a
été reconnu au plan international mais les progrès sont lents pour ce qui est de son
application dans les différentes situations de développement. Face à ce défi, il est
toujours plus nécessaire que la communauté internationale élabore des solutions durables,
celles-ci devant être appliquées efficacement aux divers niveaux.
I . NÉCESSITÉ
DE SOLUTIONS IMMÉDIATES
Le Saint-Siège souligne l’aspect «urgent» du problème
et souhaite que la recherche de solutions, actuellement en cours dans la communauté
internationale, ne s’exprime pas seulement par des déclarations d’intentions, même
si celles-ci s’appuient sur d’abondantes études. Lors de la programmation d’économies
durables à moyen et à long terme, il ne faut pas négliger les questions épineuses,
sur lesquelles il est difficile d’obtenir un consentement unanime, mais qui, de toute
façon, exigent une attention diligente et des actions urgentes et efficaces, visant
à protéger la dignité humaine et la vie de millions de personnes. « Là où des vies
humaines sont en jeu, le temps est toujours court : toutefois le monde a été témoin
des immenses ressources que les gouvernements peuvent mettre à disposition lorsqu’il
s’agit de venir au secours d’institutions financières retenues comme “trop importantes
pour être vouées à l’échec”. Il ne peut être mis en doute que le développement humain
intégral des peuples du monde n’est pas moins important : voilà bien une entreprise
qui mérite l’attention du monde» (BENOIT XVI, Discours à l'occasion de la rencontre
avec les autorités civiles à Westminster Hall, Voyage apostolique au Royaume-Uni,
17 septembre 2010.) . II. STRUCTURES ET GOUVERNANCE
En référence à différents
problèmes supranationaux, dont celui de l’environnement et celui de l’eau, émerge
la nécessité d’une gouvernance internationale ( Cf. BENOIT XVI, Caritas in veritate,
67) Cette gouvernance ne doit pas être vue comme un principe supérieur qui opprime
les .initiatives locales ou étatiques, mais comme une nécessité de coordination et
d’orientation pour une valorisation et un usage harmonieux et durables de l’environnement
et des ressources naturelles en vue de réaliser le bien commun mondial.
1.
La tâche de la gouvernance C’est-à-dire qu’il est besoin d’un système d’institutions
qui garantisse à tous et partout un accès régulier et adéquat à l’eau (Cf. BENOIT
XVI, Caritas in veritate, 27), et réponde aux déficits déjà signalés
: en indiquant des standards qualitatifs et quantitatifs ; en offrant des critères
qui aident à promouvoir des législations nationales compatibles avec le droit à l’eau
reconnu au plan international, en contrôlant que les Etats respectent leurs engagements.
Une tâche importante consiste à faciliter différentes formes de coopération : la coopération
scientifique et le transfert des technologies ; la coopération administrative et directoriale.
Sont également nécessaires des mesures communes de contrôle contre la corruption et
la pollution, ainsi que celles pour prévenir et gérer les conflits. En particulier,
il faut que soit encouragée – dans le cadre régional et transfrontalier – l’institution
d’autorités compétentes en vue d’une gestion conjointe, intégrée, équitable, rationnelle
et solidaire des ressources communes. La gouvernance doit en outre garantir la
primauté de la politique – responsable du bien commun – sur l’économie et la finance.
Celles-ci doivent être ramenées dans les limites de leur vocation réelle et de leur
fonction, au vu des responsabilités évidentes qui sont les leurs à l’égard de l’environnement,
du bien public qu’est l’eau, et de la société, afin de faire naître des marchés et
des institutions financières véritablement au service de la personne, c’est-à-dire
capables de répondre aux exigences du bien commun et de la fraternité universelle,
et non motivés par le seul profit pour le profit.
2. Raison d’être de la
gouvernance : assurer la destination universelle des biens L’humanité a reçu de
Dieu la mission de veiller sur et d’administrer sagement l’environnement, l’eau et
les autres ressources, qui sont des «biens communs» et qui, comme tels, contribuent
au «bien commun mondial» dont la réalisation exige des institutions proportionnées.
Ces institutions doivent se charger de garantir la destination universelle des biens
au niveau mondial. En effet, la doctrine sociale de l’Eglise fonde l’éthique des relations
de propriété par rapport aux biens de la terre sur la perspective biblique qui indique
la création comme un don de Dieu à tous les êtres humains : «Dieu a destiné la terre
et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en
sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de
tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité. Quelles que soient
les formes de la propriété, adaptées aux légitimes institutions des peuples, selon
des circonstances diverses et changeantes, on doit toujours tenir compte de cette
destination universelle des biens. C’est pourquoi l’homme, dans l’usage qu’il en fait,
ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à
lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter
non seulement à lui, mais aussi aux autres» ( CONCILE VATICAN II, Constitution
pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, 69).Le droit
d’utiliser des biens de la terre, y compris l’usage de l’eau, est un droit naturel
et inviolable, de valeur universelle, du fait qu’il revient à chaque être humain.
Il doit être protégé et rendu effectif à travers des lois et des institutions adéquates
(Cf. CONSEIL PONTIFICAL«JUSTICE ET PAIX», Pour une meilleure distribution de la
terre, Librairie Editrice Vaticane, Cité du Vatican 1997, 28.)
III.
POLITIQUES NOUVELLES
1. Politiques pour l’eau La promotion du bien
commun – dont les conditions de réalisation contemporaine incluent la protection et
la promotion du droit à l’eau – est un «devoir des autorités civiles» ( Cf. BENOIT
XVI, Discours à l'occasion de la rencontre avec les autorités civiles à Westminster
Hall, Voyage apostolique au Royaume-Uni, 17 septembre 2010.) Les politiques nécessaires
doivent donc protéger ce bien, dans ses conditions de réalisation contemporaine. A
ce sujet, le Saint-Siège est conscient que les situations sont très différentes. Ce
qui obligera à penser des politiques qui soient valables et efficaces pour les différents
contextes.
a. Les opérateurs privés Etant entendu que l’autorité
publique conserve la fonction normative et de contrôle, lorsqu’on en arrive au cas
des opérateurs privés du secteur de l’eau il faut dire qu’il est impossible d’établir
des règles ou des normes universelles de collaboration entre le public et le privé.
S’il est compréhensible et logique que les acteurs privés tendent à développer des
activités rentables, ils ne doivent pas oublier que l’eau a une valeur sociale et
doit être accessible à tous. Sur ce point, l’autorité doit – à travers une législation
ad hoc – garantir que l’eau conserve sa destination universelle, «en accordant
une attention particulière aux secteurs les plus vulnérables de la société»(JEAN-PAUL
II, Message pour la XXIIIème Journée mondiale de la Paix (1er
janvier 1990), 9). Les acteurs privés ont un rôle essentiel dans la réalisation
du développement et dans la gestion de différentes ressources naturelles ; aussi ne
doivent-ils pas en être exclus a priori. Toutefois, ils ne doivent pas se comporter
comme si l’eau était un bien tout simplement commercial, et non un «bien public».
Ils doivent donc être orientés à suivre des comportements «vertueux», c’est-à-dire
à gérer des services de distribution de l’eau qui soient conformes aux exigences du
bien commun.
b. Les politiques publiques Il faut promouvoir des politiques
«courageuses », conçues avec clairvoyance, qui ne soient ni influencées par les intérêts
particuliers ni approuvées de façon opportuniste dans le but d’obtenir un succès électoral.
Dans le cas de l’eau, le monde de la politique doit agir de façon responsable, en
renonçant à des intérêts économiques immédiats ou à des idéologies finissant par humilier
la dignité humaine. La loi positive doit se fonder sur les principes de la loi morale
naturelle, afin de garantir le respect de la dignité et de la valeur de la personne
humaine (Cf. BENOIT XVI, Message pour la XLIVème Journée mondiale
de la Paix (1er janvier 2011), 12) susceptibles d’être altérées
si le droit à l’eau n’est pas garanti ni promu. Aussi des législations et des structures
au service du droit à l’eau sont-elles nécessaires. Mais, surtout, il est besoin de
personnes justes, c’est-à-dire qui aient une profonde sensibilité à l’égard du bien
commun et du «bien public» qu’est l’eau.
2. Politiques basées sur la solidarité Les
politiques doivent être l’expression de la solidarité, inter-générationnnelle et infra-générationnelle,
comprise comme l’amour pour le bien commun et le dévouement généreux, choral et systématique
à celui-ci, suivant les contextes historiques. Elles doivent donc être configurées
en tenant compte des conditions concrètes de sa réalisation, parmi lesquelles émerge
aujourd’hui la nécessité de l’accès de tous au bien de l’eau. Le Saint-Siège affirme
à nouveau la nécessité morale urgente d’une nouvelle solidarité (Cf. JEAN-PAUL II,
Message pour la XXIIIème Journée mondiale de la Paix (1er
janvier 1990)) à propos des ressources naturelles, de la gestion de l’environnement,
et de l’eau en particulier, dans une dimension internationale embrassant les pays
les 10.plus pauvres et impliquant une gestion parcimonieuse des ressources de la
planète. Il rappelle en outre que, pour «qu’elle s’exprime en actions effectives,
il est nécessaire de repenser les moyens qui amélioreront les conditions de vie dans
de nombreux domaines» ( BENOIT XVI, Discours à l'occasion de la rencontre avec
les autorités civiles à Westminster Hall, Voyage apostolique au Royaume-Uni, 17
septembre 2010), ainsi que des décisions qualifiées au plan éthique. Sans une solidarité
réelle, il est impossible de concevoir des mécanismes financiers ni de programmer
des politiques fonctionnelles pour réaliser le droit à l’eau. En effet, la solidarité
est une vertu de nature éthique, qui favorise une vie digne pour tous, permettant
l’accès aux biens fondamentaux. Si la dignité humaine est négligée, alors les réformes
des structures, la gouvernance même et l’orientation morale offerte par les grands
principes sont rendues vaines.
3. Engagement de la société civile En
la présente occasion, le Saint-Siège n’oublie pas que la gestion de l’eau ne constitue
pas un problème limité seulement à certains techniciens, politiciens ou administrateurs.
Elle est, et elle doit être, un souci pour tous, pour toute la société civile. Cette
dernière a recours en particulier à l’appui de la communauté politique pour atteindre
ses objectifs. Toutefois, cela ne signifie pas que la société civile puisse être
remplacée dans sa responsabilité première. La communauté politique est au service
des objectifs de la société civile, celle-ci lui confiant la tâche de produire toutes
les politiques et institutions qui sont nécessaires au bien commun (Cf. CONCILE VATICAN
II, Constitution pastorale sur l'Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et
spes, 74). L’autorité politique remplit correctement cette tâche si, dans la protection
et la promotion du droit à l’eau, elle met en valeur l’apport de la société civile
et l’incite à s’organiser. La gestion correcte du bien public qu’est l’eau se fait
selon les critères de la solidarité et de la subsidiarité. La société civile garde
la responsabilité ultime qui fait que, lorsque la communauté politique se montre
incapable d’assurer sa fonction, elle se mobilise en vue de la bonne réalisation de
cette fonction.
IV. SOBRIÉTÉ ET JUSTICE
Dans une société qui poursuit
l’objectif d’un développement durable et général, tous sont appelés à vivre avec sobriété
et justice ( Cf. Tt 2, 12).
1. Sobriété dans la consommation Certaines
sociétés ont la possibilité et l’habitude de consommer, dans des buts différents,
plus ou moins essentiels et plusieurs fois par jour, la quantité d’eau qui est indispensable
à une vie digne mais dont sont tragiquement privées d’autres sociétés. Cette inégalité
dans l’accès et la consommation d’eau ne peut être approuvée. On ne peut louer les
sociétés qui consomment l’eau pour des objectifs superflus, en proie à un consumérisme
toujours plus effréné, orientées à accumuler des biens sans limite, de telles sociétés
exerçant des pratiques contraires à un développement durable. (Cf. BENOIT XVI, Discours
aux nouveaux ambassadeurs près le Saint-Siège à l'occasion de la présentation collective
deslettres de créance, 17 décembre 2009.) On ne peut partager la motivation
selon laquelle la consommation ou l’économie d’eau en un certain endroit, en particulier
dans un pays développé, n’aurait pas de conséquences ailleurs, surtout dans les pays
en voie de développement. L’eau constitue un «système» sur l’échelle mondiale et,
même s’il n’existait aucun lien direct entre la consommation et la disponibilité en
deux lieux différents, il en existe d’autres, indirects, dont il faut tenir compte
: transporter, dépurer et consommer l’eau a un coût et nécessite de l’énergie. De
sorte que les sommes demandées pourraient être utilisées plus utilement en aidant
les plus pauvres. Il ne faut pas oublier, en outre, que cette énergie est parfois
soustraite à des régions qui en ont bien plus besoin. Aussi le Saint-Siège réitère-t-il
l’importance de la sobriété dans les consommations, en invoquant la responsabilité
des administrations, des entreprises et des citoyens individuellement. Cette sobriété
s’appuie sur des valeurs telles que l’altruisme, la solidarité et la justice.
2.
Principe de justice Le principe de justice, articulé dans ses aspects commutatifs,
contributifs et distributifs, c’est-à dire en tant que justice sociale, doit être
une source d’inspiration pour résoudre la question de l’eau. Ce même principe doit,
par exemple, orienter la subdivision équitable des investissements nécessaires au
développement et à promouvoir la mise en application du droit à l’eau. Les pays en
voie de développement et les économies émergentes doivent contribuer à ces investissements,
proportionnellement à leurs possibilités, en appuyant ainsi les Etats donateurs traditionnels.
De son côté, la communauté internationale est appelée à adopter des modalités innovatrices
de financement, qui peuvent inclure les capitaux perçus grâce à une imposition éventuelle
des transactions financières. Le principe de justice doit, en outre, aider à identifier
les dommages provoqués au bien de l’eau et à proposer des réparations ou des sanctions
possibles. Pour ce faire, un rôle fonctionnel pourrait être assumé par les cours
de justice compétentes à recevoir les réclamations venant de ceux dont le droit
à l’eau n’est pas garanti. De même, le principe cité précédemment oriente la juste
distribution de l’eau. A ce propos, le Saint-Siège souligne qu’il existe des niveaux
minimum pour une existence digne, qui ne sont toutefois pas garantis dans de nombreux
pays en développement ; ces niveaux doivent être instaurés de façon prioritaire par
rapport à ceux élevés de consommation, spécifiques aux pays plus développés. En
outre, le Saint-Siège considère que la justice doit, en harmonie avec le principe
de subsidiarité, être active à tous les niveaux, de celui local à celui transfrontalier,
du niveau national au niveau régional, du niveau continental au niveau international. Tout
comme la solidarité, elle doit être intergénérationnelle et infra-générationnelle. Du
moment que le principe de justice doit protéger le droit de tous, en particulier des
plus faibles, il sollicite à considérer que certaines politiques coercitives de contrôle
des naissances imposées à ceux-ci ne constituent pas une solution équitable. En effet,
de telles politiques obligent les communautés plus pauvres à soumettre leur développement
démographique à des conditions afin de consentir à d’autres sociétés de conserver
leurs niveaux excessifs de consommation.
D. CONCLUSION
Des milliards
de personnes se trouvent encore sans une eau de qualité adéquate ou en quantité suffisante
pour leur permettre une vie digne, sûre et confortable. Confiant dans le sens de responsabilité
des différents acteurs impliqués dans la gestion de l’eau, le Saint-Siège désire partager
son point de vue avec les Gouvernements et toutes les personnes de bonne volonté.
En rappelant le devoir de la solidarité, il souhaite que les engagements pris soient
respectés et que soient adoptées urgemment des solutions durables, avec une attention
particulière aux plus vulnérables et aux générations futures. Les prochains grands
événements internationaux pourront ainsi proposer ces solutions équitables et durables
pour l’environnement, qui s’appuient sur des mécanismes innovateurs garantissant leur
respect et leur réalisation rapide. Nous devons être conscients de ce que l’écart
entre les financements considérés comme nécessaires et ceux qui sont concrètement
mobilisés influence l’application du droit à l’eau. L’eau fait trop souvent l’objet
de pollution, de gaspillage et de spéculation ; elle est toujours plus disputée et
source bien connue de conflits persistants. Au contraire, elle doit être conservée
comme un bien universel indispensable au développement intégral des peuples et à la
paix.