NIGERIA : Solidarité et témoignage de l’archevêque de Niamey au Niger
(01.01.2012) - Suite à la violence de la secte Boko Haram au Nigéria (en particulier
l'attentat qui a coûté la vie à 50 chrétiens au moment de Noël 2011) et à l'initiative
du Président du Niger voisin, une délégation de ce pays, impliquant des officiels
de ce gouvernement (le Niger étant un pays dont la population comprend plus de 90
% de musulmans) et les 2 autorités religieuses du pays, le Grand Imam et l'Archevêque
de Niamey, s'est déplacée à Abuja au Nigeria. Mgr Cartatéguy raconte.
Il est
8 heures, ce vendredi 30 décembre 2011, lorsque l’avion présidentiel décolle de l’aéroport
international de Niamey à destination d’Abuja, la capitale politique du Nigéria. A
bord, il y a le Ministre d’Etat, Ministre des Affaires Etrangères, un député de l’Assemblée
Nationale, un Conseiller du Président de la République, le Président de l’Association
Islamique du Niger et moi-même, Archevêque de Niamey. Nous allons en mission officielle
au nom du Président de la République du Niger apporter un message de compassion au
peuple du Nigéria, meurtri par les événements douloureux de la nuit de Noël où 50
chrétiens sont massacrés par la secte islamiste Boko Haram. Le trajet entre Niamey
et Abuja ne dure qu’une heure trente. Ce temps m’a suffi pour échanger avec Cheik
Ismaël, le Président de l’Association islamique du Niger sur les relations fraternelles
que nous entretenons au Niger entre Chrétiens et Musulmans tout en étant préoccupés
par les courants extrémistes qui gagnent aussi du terrain au Niger. Je lui ai
signifié que cette année, des messages interdisant aux musulmans de participer aux
fêtes de Noël étaient diffusés sur les téléphones portables. Je lui ai lu le texte
libellé ainsi : « Dans le cadre de la lutte contre les perversités en Islam, on rappelle
au musulman que les fêtes du 24, 25 et 31 décembre sont formellement interdites. Nous
ne sommes plus ignorants. Le prophète (saw) a dit : quiconque imite un peuple fait
partie de ce peuple. Donc n’imite pas les chrétiens. Faites passer l’info, svp. ».
Il n’est pas étonné du message. Lui-même en reçoit régulièrement pour lui dire
qu’il n’est pas dans la droiture de l’Islam. « Tout cela nous vient de l’extérieur…
et nous devons être vigilants et combattre ensemble ceux qui veulent nous diviser…
nous devons faire la paix et l’unité en interne, sinon, les diviseurs qui sont nombreux
venant de l’extérieur et qui nous guettent pourront profiter de notre faiblesse pour
nous dresser les uns contre les autres. Monseigneur, tous les deux, nous sommes dans
la même situation et nous ne devons pas nous décourager …» me confiait-il en égrenant
son chapelet que certains courants islamistes lui interdisent d’utiliser. Pendant
que nous échangeons, Monsieur le Ministre qui est assis en face de nous lit ses notes
sur la secte Boko Haram que son chef de cabinet vient de lui remettre. Boko Haram
est un mouvement islamiste armé actif au nord-est du Nigéria. Ce mouvement prône un
islam radical et rigoriste. Son idéologie est inspirée par les Talibans d’Afghanistan
et a probablement des liens aussi avec Al-Qaida au Maghreb islamique. Ses adeptes
rejettent la modernité et visent à instaurer la charia dans les Etats au Nord du Nigéria.
Boko vient du mot anglais « book » qui veut dire « livre » et « haram » est un mot
arabe qui signifie « interdit ». Tous les livres sont mauvais et interdits (symbole
de l’éducation occidentale) un seul livre est valable : le Coran. Nous sommes accueillis
à l’aéroport d’Abuja par l’Ambassadeur du Niger au Nigéria et par plusieurs autres
personnalités de la ville. Après avoir bu un café chaud au salon d’honneur, nous
sommes allés en trombe dans les voitures noires officielles au centre ville d’Abuja.
La sécurité du convoi est impressionnante. Les militaires casqués, vêtus de gilet
pare- balles tenaient leurs mitraillettes menaçantes. Ils étaient devant, au milieu
et derrière. Je les sentais partout. Après une heure de temps, grâce aux sirènes
des cortèges officiels, nous arrivons rapidement à l’hôtel Hilton où le Ministre
des Affaires Etrangères du Nigéria nous accueille très aimablement. Notre anglais
est faible comme leur français l’est, mais tout le monde parle hawsa. Nous n’oublions
pas que certains peuples du Niger et du Nigéria sont frères et qu’ils partagent la
même culture et la même langue. Après les salutations d’usage à l’ombre des drapeaux
du Nigeria et du Niger, nous reprenons les voitures pour la Présidence de la République,
bien éloignée du centre ville. Nous franchissons de nombreux barrages militaires.
Plus nous nous approchons du palais présidentiel, plus les militaires sont nombreux
et armés. Tout est désert. Ces lieux sentent le danger permanent, tout le monde a
peur du pire ! La salle d’audience est austère mais bien organisée où chacun trouve
sa place derrière son nom, son grade et son titre. Une noix de cola pour chacun à
côté du micro signifiait que nous étions les bienvenus. Le Président de la République
Goodluck Jonathan est entré avec son éternel chapeau noir qui ne le quitte que pour
la prière. Après les salutations et les présentations faîtes par le Ministre des Affaires
Etrangères du Nigéria, M Mohamed Bazoum, notre Ministre a présenté très succinctement
l’objet de notre mission et a demandé aux deux religieux de la délégation de faire
une prière. L’Iman prononce une Fatiha en arabe et moi, en français, une prière circonstanciée
sur la paix et le pardon à partir du « Notre Père ». Après avoir remis la le ttre
officielle du Président de la République du Niger dont nous avons deviné le contenu,
le Président de la République du Nigeria nous a remerciés très chaleureusement pour
cette visite qui le touche profondément. Il souligne l’originalité de cette mission
composée de l’Iman et de l’Archevêque. C’est le signe que ce qui se passe au Niger
peut advenir aussi au Nigéria. Le Président a manifesté sa détermination à combattre
la secte Boko Haram qui n’a rien à voir avec la religion et a demandé que les autres
pays frontaliers se mettent ensemble avec le Nigéria pour mener une guerre sans merci
à ces meurtriers. Il nous a avoués que les membres de la secte sont déjà au Niger,
au Tchad et au Cameroun. Le lendemain, il fermera les frontières avec ces pays pour
mieux traquer la secte qu’il qualifie de « cancer ». L’entretien n’a duré que 10
minutes. C’était suffisant pour déceler chez les autorités politiques du Nigéria l’émotion
de nous voir auprès d’elles pour traduire la compassion du peuple nigérien. Par la
suite, on saura que le Niger sera le seul pays à se déplacer pour manifester sa solidarité. Nous
sommes retournés à l’hôtel Hilton pour prendre le déjeuner de midi. Nous avons mangé
agréablement dans le self- service du restaurant de l’hôtel. Le foie gras, le saumon
et le caviar me rappellent que nous sommes toujours dans l’octave de Noël. C’est
l’heure de la grande prière à la mosquée du Vendredi. Toute la délégation étant musulmane,
l’Ambassadeur du Niger au Nigéria a voulu avec beaucoup d’attention mettre à ma disposition
une voiture pour que j’aille à l’Ambassade me reposer mais j’ai préféré accompagner
la délégation à la mosquée. La délégation est entrée à la mosquée pour la prière et
je suis resté dans la voiture, avec interdiction formelle d’ouvrir les portières et
de baisser la vitre par mesure de sécurité. Les militaires qui me gardaient étaient
toujours présents mais cette fois-ci avec beaucoup de discrétion. De la cour de
la mosquée, j’ai aperçu la croix de la cathédrale et je me suis mis à prier en communion
avec tous ceux qui à cette heure priaient à quelques mètres de moi. J’ai prié pour
qu’il n’y ait aucune vengeance mais que le pardon soit premier, même s’il paraît impossible
après ces tueries. Je me suis souvenu des paroles des Evêques d’Afrique au dernier
synode : « Ne pensez pas que le pardon ne sert à rien et qu’il vaut mieux tenter la
vengeance : le vrai pardon, conduit à la paix qui va jusqu’à la racine du conflit
et qui transforme les victimes et les ennemis de jadis en frères et sœurs. » J’ai
prié aussi pour ces fanatiques qui continuent à perpétrer des actes ignobles, aveuglés
par des intérêts égoïstes et qui n’ont dans le cœur que de la haine. J’ai prié pour
que leur cœur se transforme radicalement si du moins ils daignent écouter en vérité
et fidèlement la voix de Dieu dont ils se réclament. A nos yeux de chrétien et
de musulman, soucieux du message de paix, de respect et de tolérance que Dieu nous
enseigne, ces terroristes manipulées et embrigadées par des idéologies destructrices
ne peuvent aucunement se réclamer de Dieu. Leurs barbaries sans nom ne trouvent aucune
justification nulle part, surtout pas dans les livres Saints. Je continue à prier
pour que les relations entre les hommes soient empruntes de vérité et d’amitié en
bannissant les relations de méfiance à l’égard des autres. Que Dieu, source de toute
paix, bénisse les artisans de paix….
La prière terminée nous repartons à l’aéroport
pour reprendre notre avion. A peine avons nous attachés nos ceintures pour le décollage
que toute la délégation s’est assoupie d’un sommeil profond. Il est vrai que « Dieu
comble son bien aimé quand il dort » ! Nous serons réveillés à l’atterrissage pour
répondre aux questions des nombreux journalistes qui attendaient caméra au poing notre
arrivée. Ils ont tous la même question : « Quel message leur avez-vous apporté ? »
Monsieur le Ministre répondra d’abord : « Au Niger, nous ne pouvons pas rester insensibles
à une pareille situation, nous avons voulu témoigner aux Nigérians notre soutien,
notre solidarité, notre compassion et leur exprimer aussi le message dont nous avons
voulu être le symbole… Le Niger fort heureusement, un pays de tolérance, aussi nous
avons voulu dire à ceux qui se comportent de cette façon au Nigéria qu’à coté d’eux,
ici, au Niger, on a un autre sens de relation entre les confessions, nous vivons en
très bonne harmonie. Comme quoi, ce qui est en cause, ce ne sont pas les religions,
mais plutôt les hommes qui ont des agissements politiques et, qui ne méritent pas
de s’adosser à des religions pour se comporter ainsi… » ensuite l’Iman de la Grande
mosquée de Niamey répond en Zarma et moi-même j’ai dit que j’avais été heureux que
le Niger ait pris cette initiative. Les événements du Nigéria ont bouleversé les consciences
des croyants chrétiens et musulmans et tous unanimement nous condamnons cette violence.
La violence exercée sur des innocents ne peut jamais être la résolution d’un conflit.
Le résultat de la violence est connu d’avance. Elle détruit systématiquement et produit
des massacres inutiles. Nous sommes allés dire que les vrais croyants ne peuvent pas
entrer dans la logique de la violence… et j’ai cité la réflexion d’un jeune musulman
à qui je demandai s’il respectait le seul chrétien du village : « ton chrétien n’a
pas de problème avec nous parce que c’est notre ami. L’Islam et le Christianisme ne
sont pas des routes parallèles ». C’est vrai, les parallèles ne se rencontrent jamais.
Nos routes sont peut-être sinueuses mais elles s’entrecroisent dans les échangeurs
pour nous permettre de rouler chacun sur sa voie, dans l’écoute, le respect et la
tolérance. Seul le respect du code de l’amour nous empêche le choc de l’affrontement
et nous fait parvenir dans la liberté là où nous voulons arriver. A la sortie de
l’aéroport, Issaka, le chauffeur, me dit que la secte Boko Haram vient de faire exploser
une bombe à la mosquée de Maiduguri. Elle s’attaque aussi aux musulmans. Le lendemain,
une forte délégation de dignitaires de la communauté musulmane est venue à l’Archevêché
nous souhaiter « Bon Noël » et nous nous sommes promis de continuer à fraterniser
pour aller vers Dieu par nos chemins particuliers.
Fait à Niamey en la journée
mondiale de la Paix (01.01.2012) Michel CARTATEGUY,Archevêque de
Niamey/Niger(Source : http://www.mafrwestafrica.net/content/view/314/97/lang,fr/)