Blocage et violence en Syrie. L'inquiétude du Saint-Siège
Le Saint-Siège est préoccupé au sujet de la Syrie où la situation est caractérisée
par une violence croissante et par l’impossibilité de trouver des solutions ; il participe
à la douleur des victimes civiles. C’est la réponse donnée par le directeur du Bureau
de presse du Saint-Siège aux questions des journalistes.
Quelques heures plus
tôt, le Père Dall’Oglio, jésuite, fondateur de la communauté monastique siro-catholique
Deir Mar Musa, installé depuis plusieurs années en Syrie, avait demandé une intervention
diplomatique du Saint-Siège, immédiate et au plus haut niveau. La gravité de la situation
exige, selon lui, la mobilisation de toutes les bonnes volontés. Pour le Père Dall’Oglio,
cette initiative devrait tenir compte des diverses sensibilités, exacerbées par la
souffrance, celle des communautés chrétiennes orthodoxes byzantines qui entretiennent
des rapports étroits avec le patriarcat de Moscou et qui ont donc un rôle très délicat
actuellement, celles des Arméniens, majoritaires parmi les chrétiens de Syrie. Le
Vatican peut, selon lui, mettre à profit sa longue expérience de dialogue avec le
monde musulman. Ecoutez le Père Dall'Oglio interrogé par Marie-Leïla Coussa
Pour le Père
Dall'Oglio, la guerre civile a déjà commencé en Syrie, elle risque de se gangréner,
et les communautés chrétiennes finiront comme celles d’Irak. D’où l’urgence d’une
initiative efficace et d’un effort de dialogue avec Téhéran et Moscou. Si cette tragédie
absolue, il redoute une désagrégation du Moyen Orient et voit bien peu de perspectives
démocratiques. Le Père Dall’Oglio est contraire à toute logique répressive mais aussi
à une intervention militaire internationale.
Nous ne pouvons pas être indifférents
à ce qui ce passe en Syrie – a affirmé le Père Federico Lombardi, réagissant à cette
demande. Il a rappelé que dans son discours au corps diplomatique, le mois dernier,
Benoît XVI avait évoqué cette question : J’éprouve - avait affirmé le Pape
- une grande préoccupation pour les populations des pays dans lesquels se poursuivent
tensions et violences, en particulier la Syrie, où je souhaite une rapide fin des
effusions de sang et le commencement d’un dialogue fructueux entre les acteurs politiques,
favorisé par la présence d’observateurs indépendants.
Damas,
9 février 2012 (Apic) L’insurrection armée en Syrie "s’islamise" de plus en plus,
d’après divers témoignages récoltés sur place par l’agence de presse catholique AsiaNews,
à Rome. Le patriarche melkite Grégoire III Laham, qui réside habituellement dans la
capitale syrienne Damas, refuse cependant pour l’instant de qualifier d’intercommunautaire
le conflit qui ensanglante son pays. L’agence de presse catholique AsiaNews affirme
le 8 février que la violence augmente chaque jour davantage contre les minorités alaouites
et chrétiennes, et contre tous ceux qui sont soupçonnés d’être du côté du gouvernement. Il
faut poser le problème en termes sociaux, "parler de citoyens syriens, et non pas
de chrétiens", assure de son côté le patriarche Grégoire III. Dans une interview publiée
mardi 7 février dans le quotidien francophone "L’Orient-Le Jour", publié à Beyrouth,
il considère que le problème n’est pas religieux, "même si certains introduisent cet
élément dans leur analyse". Il n’empêche que les trois évêques de Homs et de Hama,
un prélat catholique et deux orthodoxes, ont quitté la ville, annonce pour sa part
l’agence de presse missionnaire Misna à Rome. "Seuls des prêtres orthodoxes et quelques
autres catholiques sont restés à Homs". La violence vient des deux partis
en conflit Selon les témoignages recueillis sur place par l’agence AsiaNews,
la situation interne en Syrie montre des signes d’une radicalisation confessionnelle
croissante. Si ces témoins veulent rester anonymes pour raison de sécurité, c’est
parce que ceux qui ne partagent pas la vision des groupes armés sont repérés et souvent
éliminés physiquement. Ces témoignages vont à l’encontre de la vision simpliste
des médias internationaux qui s’appuient trop souvent sur des sources militantes et
non vérifiées. "Nos sources sont des voix qui racontent une histoire différentes de
celle qui prévaut dans les mass médias, et qui montrent que la violence exercée sur
la population vient des deux partis en conflits", souligne AsiaNews. Obéir
aux insurgés ou mourir Ainsi, note-t-elle, deux jeunes pères de familles
ont été tués à Homs, "mais pas par l’armée…" Leur unique faute, être allés acheter
du pain pour tous ceux qui avaient trop peur pour sortir de leur maison. Ils ont été
abattus dans la boulangerie. D’autres ont été assassinés uniquement parce qu’ils travaillaient
dans leur magasin et n’avaient pas adhéré à la paralysie de la ville décrétée par
les insurgés. L’opposition et les pays arabes demandent que le régime retire
ses blindés des rues. Mais les personnes interrogées ont rappelé que c’est grâce aux
blindés de l’armée qu’elles ont pu passer la dernière fois qu’elles sont revenues
d’Alep, au début de décembre. Elles n’ont plus osé s’y rendre en voiture depuis. L’armée
avait créé un corridor pour les voitures civiles. "Les voitures et les bus ont passé
au milieu des tirs, entourées par les blindés… S’il n’y avait pas l’armée pour contrôler,
personne ne pourrait plus passer sur les autoroutes… Cela ne signifie pas qu’il n’y
a pas de violence de la part de l’armée, il y en a, c’est sûr, pas question d’être
naïfs!" A Homs, les chrétiens sont dans le collimateur des insurgés A
Homs, relève AsiaNews, les chrétiens sont désormais dans le collimateur des insurgés
sunnites, comme le sont les alaouites, la minorité à laquelle appartient le président
Bachar al-Assad. Les insurgés n’épargnent personne: un chrétien de Tartous raconte
par exemple que ses trois neveux, fils de son frère, ont été abattus à Homs, dans
leur atelier, simplement parce qu’ils réparaient une voiture appartenant à la police. Si
la situation est grave pour les chrétiens, le fossé s’est encore davantage creusé
entre sunnites et alaouites, la confession à laquelle sont rattachés les Assad. Les
sunnites ont peur de traverser les villages alaouites, et vice-versa. Dans certaines
zones, les deux forces sont présentes en alternance, ce qui génère une situation de
peur constante au sein de la population. D’autres sources locales, non liées
au régime en place à Damas, critiquent la manière dont les médias, notamment internationaux,
décrivent la situation sur le terrain. Ils disent que depuis la mi-mars 2011, la répression
de la révolte par l’armée a fait plus de 6’000 morts en Syrie, alors que nombre de
civils, sans parler des soldats et des membres des forces de sécurité loyalistes,
ont été tués par les insurgés. AsiaNews parle de "mur inexpugnable de la désinformation". Les
chrétiens de Syrie vont-ils partager le sort de leurs coreligionnaires d’Irak ? "La
réalité n’est pas binaire (…). Elle est complexe. Y aura-t-il encore une place pour
les chrétiens syriens dans la déstabilisation en cours dans cette société composite
? Le destin de la Syrie va-t-il ressembler à celui de l’Irak, nous le savons pas",
écrit pour sa part le Monastère de Saint Jacques le Mutilé (Deir Mar Yakub) Cf. www.maryakub.org. Sur
le site internet de ce couvent, situé dans le village de Qâra, à 15 km de l’Antiliban,
à la frontière libanaise, et à 100 km au nord de Damas, on peut lire que les chrétiens
du diocèse de Homs, Hama et Yabroud étaient intégrés au tissu social comme des citoyens
à part entière, mais la situation a radicalement changé. Le Monastère, qui
milite "contre tout ce qui est contraire à la loi de Dieu et aux droits de l’homme",
déclare prendre position pour les pauvres et les maltraités, "particulièrement pour
les civils innocents, qu’ils soient ciblés par le régime ou par les bandes armées
de l’insurrection". "Le peuple veut déclarer le Jihad !" "Avant
les évènements qui ensanglantent la Syrie, il était inconvenant de décliner sa confession
religieuse. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Le conflit qui s’instaure est passé
d’une réclamation populaire de liberté et démocratie à une révolution islamiste. Le
vendredi 20 janvier le slogan fatidique a été brandi par les Comités de coordination
de la révolution: "Le peuple veut déclarer le Jihad !". Jusqu’à présent nous n’avons
pas fait état d’une ’persécution’ directe qui frapperait les chrétiens. Ils étaient
englobés dans les sévices ciblant la population participant à la vie civile. Mais
il semble que la donne commence à changer. Comme si la tendance qui couvait devenait
dorénavant une consigne. Le futur le dira". La liste des attentats antichrétiens
s’allonge Le Monastère de Saint Jacques le Mutilé a dressé une liste des
attentats contre les chrétiens de ces dernières semaines, à commencer par l’assassinat
par les insurgés, le 25 janvier, du Père Basilios Nassar, curé grec orthodoxe du village
de Kfar Bohom, dans la province de Hama. Il a été abattu alors qu’il venait en aide
à un homme agressé par les insurgés dans la rue Jarajima à Hama. "C’est la première
fois, depuis l’insurrection, qu’un prêtre est la cible de la violence aveugle qui
est devenue l’arme redoutable d’une insurrection de plus en plus manipulée", peut-on
lire sur le site internet du monastère. "Ce meurtre est alarmant. Il conforte les
craintes de voir la révolution syrienne tourner au conflit confessionnel. Sous couvert
d’une quête de liberté et de démocratie les insurgés se révèlent comme des islamistes
qui s’en prennent à des civils innocents dans une démarche de discrimination religieuse". Le
site mentionne également l’exécution le 26 janvier, devant sa maison, de Zafer Karam
Issa, un major âgé de 30 ans appartenant à la communauté chrétienne, abattu d’une
centaine de balles par un commando dirigé par le fils de l’Emir islamiste de Yabroud,
M. Khadra. Durant la même semaine, un jeune chrétien, Khairo Kassouha, âgé de 24 ans,
a été lui aussi abattu en sortant de chez lui à Kusayr. Le Père Mayas Abboud,
recteur du petit séminaire grec-catholique à Damas, témoigne de ce qu’il a entendu
au téléphone de la veuve de Nidal Arbache, un chauffeur de taxi abattu par les insurgés.
"Ici à Kusayr nous sommes livrés au bon plaisir des insurgés qui font la loi chez
nous. Nous nous attendons à toutes sortes de sévices. Nous n’avons rien ni personne
pour nous protéger. Je vous en supplie Père, prenez cela comme un testament. S’il
m’arrive quelque chose de fâcheux je vous confie mon fils, prenez soin de lui. Toute
notre famille est menacée par les bandes armées". A Kusayr, un cousin de
Père Louka, curé de Nebek, raconte qu’il rentrait dans la localité lorsqu’à un rond-point
de la ville il a été arrêté par des insurgés. "Ils m’ont réclamé mes papiers et m’ont
fait attendre deux heures pour vérifier si mon nom est cité dans les listes issues
par les comités de coordination de la révolution qui sont désormais des organes de
référence judiciaire. Si mon nom avait été mentionné, j’aurais été exécuté sur place
comme ils le font avec d’autres". A Homs, la liste des victimes s’allonge,
selon le Monastère: Plus de 230 chrétiens ont été abattus. Plusieurs sont kidnappés.
Souvent les insurgés réclament une rançon qui varie entre 20’000 et 40’000 dollars
par personne. Certains quartiers mixtes comme Bab Sbah ou Hamidiyeh à Homs voient
80% de leurs habitants chrétiens les déserter pour s’établir chez des amis ou des
parents dans les régions de la Vallée des chrétiens. Les chrétiens de Hama et de sa
province font de même. "Le mouvement est progressif mais implacable", peut-on encore
lire sur le site du Monastère Saint-Jacques-Le Mutilé www.maryakub.org. (apic/asian/com/be)