Discours de Benoît XVI aux ambassadeurs près le Saint-Siège à l'occasion de la présentation
des voeux (texte intégral)
Excellences, Mesdames et Messieurs,
Il
m’est toujours particulièrement agréable de pouvoir vous accueillir, distingués Membres
du Corps diplomatique accrédités près le Saint-Siège, dans le cadre splendide de cette
salle royale, pour vous formuler personnellement des vœux fervents pour l’année qui
commence. Je remercie tout d’abord votre Doyen, l’Ambassadeur Alejandro Valladares
Lanza, ainsi que le vice Doyen, l’Ambassadeur Jean-Claude Michel, pour les paroles
déférentes par lesquelles ils se sont fait les interprètes de vos sentiments et je
salue de manière spéciale tous ceux qui participent pour la première fois à notre
rencontre. À travers vous, mes souhaits s’étendent à toutes les Nations que vous représentez,
avec lesquelles le Saint-Siège maintient des relations diplomatiques. C’est une joie
pour nous que la Malaisie ait rejoint cette communauté au cours de l’année dernière.
Le dialogue que vous entretenez avec le Saint-Siège favorise le partage d’impressions
et d’informations, de même que la collaboration dans des domaines de caractère bilatéral
ou multilatéral qui sont d’un intérêt particulier. Votre présence aujourd’hui rappelle
l’importante contribution de l’Église à vos sociétés, dans des secteurs tels que l’éducation,
la santé et l’assistance. Signes de la coopération entre l’Église catholique et les
États sont les Accords qui ont été passés en 2011 avec l’Azerbaïdjan, le Monténégro
et le Mozambique. Le premier a déjà été ratifié; je souhaite qu’il en aille de même
rapidement pour les deux autres et que l’on parvienne à la conclusion de ceux qui
sont en cours de négociation. De même, le Saint-Siège désire tisser un dialogue fructueux
avec les Organisations internationales et régionales et, dans cette perspective, je
relève avec satisfaction que les pays membres de l’Association des Nations de l’Asie
du Sud-Est (A.S.E.A.N.) ont accueilli la nomination d’un Nonce Apostolique accrédité
près de cette organisation. Je ne peux omettre de mentionner que, au mois de décembre
dernier, le Saint-Siège a renforcé sa longue collaboration avec l’Organisation Internationale
pour les Migrations, en en devenant membre à part entière. Il s’agit-là d’un témoignage
de l’engagement du Saint-Siège et de l’Église catholique aux côtés de la communauté
internationale, dans la recherche de solutions adéquates à ce phénomène qui présente
de multiples aspects, de la protection de la dignité des personnes au souci du bien
commun des communautés qui les reçoivent et de celles dont elles proviennent. Au
cours de l’année qui vient de s’achever j’ai rencontré personnellement de nombreux
Chefs d’État et de Gouvernement, comme aussi des représentants éminents de vos nations
qui ont participé à la cérémonie de la Béatification de mon très aimé Prédécesseur,
le Pape Jean-Paul II. Des Représentants de vos pays ont aussi été aimablement présents
à l’occasion du soixantième anniversaire de mon Ordination sacerdotale. À eux tous,
comme à ceux que j’ai rencontrés dans mes voyages apostoliques en Croatie, à Saint-Marin,
en Espagne, en Allemagne et au Bénin, je renouvelle ma gratitude pour la délicatesse
qu’ils m’ont manifestée. En outre, j’adresse une pensée particulière aux pays de l’Amérique
Latine et des Caraïbes qui, en 2011, ont fêté le bicentenaire de leur indépendance.
Le 12 décembre dernier, ils ont voulu souligner leur lien avec l’Église catholique
et avec le successeur du Prince des Apôtres, en participant, avec des représentants
éminents de la communauté ecclésiale et des autorités institutionnelles, à la célébration
solennelle dans la Basilique Saint-Pierre, au cours de laquelle j’ai annoncé mon intention
de me rendre prochainement au Mexique et à Cuba. Je désire enfin saluer le Sud-Soudan
qui, en juillet dernier, s’est constitué en tant qu’État souverain. Je me félicite
que ce pas ait été accompli pacifiquement. Hélas, tensions et affrontements se sont
succédé ces derniers mois et je souhaite que tous unissent leurs efforts afin que,
pour les populations du Soudan et du Sud Soudan, s’ouvre enfin une période de paix,
de liberté et de développement. Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, La
rencontre d’aujourd’hui se déroule traditionnellement à la fin des festivités de Noël,
où l’Église célèbre la venue du Sauveur. Il vient dans l’obscurité de la nuit, et
pourtant sa présence est immédiatement source de lumière et de joie (cf. Lc 2, 9-10).
Vraiment, le monde est sombre, là où il n’est pas éclairé par la lumière divine !
Vraiment le monde est obscur, là où l’homme ne reconnaît plus son lien avec le Créateur
et, ainsi, met également en danger ses relations avec les autres créatures et avec
la création elle-même. Le moment actuel est malheureusement marqué par un profond
malaise et les diverses crises: économiques, politiques et sociales, en sont une expression
dramatique. À ce sujet, je ne peux pas ne pas mentionner, avant tout, les développements
graves et préoccupants de la crise économique et financière mondiale. Celle-ci n’a
pas frappé seulement les familles et les entreprises des pays économiquement plus
avancés, où elle a trouvé son origine, créant une situation dans laquelle beaucoup,
surtout parmi les jeunes, se sont sentis désorientés et frustrés dans leurs aspirations
d’un avenir serein, mais elle a aussi profondément marqué la vie des pays en voie
de développement. Nous ne devons pas nous décourager mais retracer résolument notre
chemin, avec de nouvelles formes d’engagement. La crise peut et doit être un aiguillon
pour réfléchir sur l’existence humaine et sur l’importance de sa dimension éthique,
avant même de le faire sur les mécanismes qui gouvernent la vie économique : non seulement
pour chercher à endiguer les pertes individuelles ou celles des économies nationales,
mais pour nous donner de nouvelles règles qui assurent à tous la possibilité de vivre
dignement et de développer leurs capacités au bénéfice de la communauté dans son
ensemble. Je désire ensuite rappeler que les effets de l’actuel moment d’incertitude
touchent particulièrement les jeunes. De leur malaise sont nés les ferments qui, les
mois derniers, ont investi, parfois durement, diverses régions. Je me réfère tout
d’abord à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les jeunes, qui souffrent entre
autres de la pauvreté et du chômage et craignent l’absence de perspectives assurées,
ont lancé ce qui est devenu un vaste mouvement de revendication de réformes et de
participation plus active à la vie politique et sociale. Il est difficile actuellement
de tracer un bilan définitif des récents événements et d’en comprendre pleinement
les conséquences pour les équilibres de la Région. L’optimisme initial a cependant
cédé le pas à la reconnaissance des difficultés de ce moment de transition et de changement,
et il me semble évident que la voie adéquate pour continuer le chemin entrepris passe
par la reconnaissance de la dignité inaliénable de toute personne humaine et de ses
droits fondamentaux. Le respect de la personne doit être au centre des institutions
et des lois, il doit conduire à la fin de toute violence et prévenir le risque que
l’attention due aux demandes des citoyens et la nécessaire solidarité sociale se transforment
en simples instruments pour garder ou conquérir le pouvoir. J’invite la communauté
internationale à dialoguer avec les acteurs des processus en cours, dans le respect
des peuples et en étant consciente que la construction de sociétés stables et réconciliées,
opposées à toute discrimination injuste, en particulier d’ordre religieux, constitue
un horizon plus vaste et plus lointain que celui des échéances électorales. J’éprouve
une grande préoccupation pour les populations des pays dans lesquels se poursuivent
tensions et violences, en particulier la Syrie, où je souhaite une rapide fin des
effusions de sang et le commencement d’un dialogue fructueux entre les acteurs politiques,
favorisé par la présence d’observateurs indépendants. En Terre Sainte, où les tensions
entre Palestiniens et Israéliens ont des répercussions sur les équilibres de tout
le Moyen-Orient, il faut que les responsables de ces deux peuples adoptent des décisions
courageuses et clairvoyantes en faveur de la paix. J’ai appris avec plaisir que, suite
à une initiative du Royaume de Jordanie, le dialogue a repris ; je souhaite qu’il
se poursuive afin que l’on parvienne à une paix durable, qui garantisse le droit des
deux peuples à vivre en sécurité dans des États souverains et à l’intérieur de frontières
sûres et internationalement reconnues. La Communauté internationale, de son côté,
doit stimuler sa propre créativité et les initiatives de promotion de ce processus
de paix, dans le respect des droits de chaque partie. Je suis aussi avec grande attention
les développements en Irak, déplorant les attentats qui ont causé encore récemment
la perte de nombreuses vies humaines, et j’encourage ses Autorités à poursuivre avec
fermeté sur le chemin d’une pleine réconciliation nationale. Le bienheureux
Jean-Paul II rappelait que « la voie de la paix est aussi la voie des jeunes » , puisque
ceux-ci sont « la jeunesse des nations et des sociétés, la jeunesse de toute famille
et celle de l’humanité entière » . Les jeunes, donc, nous poussent à considérer sérieusement
leurs demandes de vérité, de justice et de paix. Par conséquent c’est à eux que j’ai
dedié le Message annuel pour la célébration de la Journée Mondiale de la Paix, intitulé
Éduquer les jeunes à la justice et à la paix. L’éducation est un thème crucial pour
toutes les générations, puisque d’elle dépend aussi bien le sain développement de
chaque personne que l’avenir de toute la société. C’est pourquoi elle représente une
tâche de première importance en un temps difficile et délicat. Outre un objectif clair,
comme est celui de conduire les jeunes à une connaissance pleine de la réalité et
donc de la vérité, l’éducation a besoin de lieux. Parmi ceux-ci figure en premier
la famille, fondée sur le mariage d’un homme avec une femme. Il ne s’agit pas d’une
simple convention sociale, mais bien de la cellule fondamentale de toute société.
Par conséquent, les politiques qui portent atteinte à la famille menacent la dignité
humaine et l’avenir même de l’humanité. Le cadre familial est fondamental dans le
parcours éducatif et pour le développement même des individus et des États ; en conséquence
il faut des politiques qui le valorisent et qui aident à la cohésion sociale et au
dialogue. C’est dans la famille que l’on s’ouvre au monde et à la vie et, comme j’ai
eu l’occasion de le rappeler au cours de mon voyage en Croatie, « l’ouverture à la
vie est un signe de l’ouverture à l’avenir » . Dans ce contexte de l’ouverture à la
vie, j’accueille donc avec satisfaction la récente sentence de la Cour de Justice
de l’Union européenne, qui interdit de breveter les processus relatifs aux cellules
staminales embryonnaires humaines, comme aussi la Résolution de l’Assemblée parlementaire
du Conseil de l’Europe, qui condamne la sélection prénatale en fonction du sexe.
Plus généralement, en regardant surtout le monde occidental, je suis convaincu
que s’opposent à l’éducation des jeunes et par conséquent à l’avenir de l’humanité,
les mesures législatives qui non seulement permettent, mais parfois même favorisent
l’avortement, pour des motifs de convenance ou des raisons médicales discutables. Continuant
notre réflexion, un rôle tout autant essentiel pour le développement de la personne
est rempli par les institutions éducatives : elles sont les premières instances à
collaborer avec la famille et elles ont du mal à accomplir leur tâche propre si vient
à manquer une harmonie d’objectifs avec la réalité familiale. Il faut mettre en œuvre
des politiques de formation afin que l’éducation scolaire soit accessible à tous et
qu’en plus de promouvoir le développement cognitif de la personne, elle prenne soin
de la croissance harmonieuse de la personnalité, y compris son ouverture au Transcendant.
L’Église catholique a toujours été particulièrement active dans le domaine des institutions
scolaires et académiques, remplissant une œuvre appréciée à côté de celle des institutions
étatiques. Je souhaite donc que cette contribution soit reconnue et valorisée aussi
par les législations nationales. Dans cette perspective on comprend bien qu’une
œuvre éducative efficace requiert également le respect de la liberté religieuse. Celle-ci
est caractérisée par une dimension individuelle, ainsi que par une dimension collective
et une dimension institutionnelle. Il s’agit du premier des droits de l’homme, parce
qu’elle exprime la réalité la plus fondamentale de la personne. Trop souvent, pour
des motifs divers, ce droit est encore limité ou bafoué. Je ne puis évoquer ce thème
sans commencer par saluer la mémoire du Ministre pakistanais Shahbaz Bhatti, dont
l’infatigable combat pour les droits des minorités s’est achevé par une mort tragique.
Il ne s’agit pas, malheureusement, d’un cas unique. Dans de nombreux pays les chrétiens
sont privés des droits fondamentaux et mis en marge de la vie publique ; dans d’autres
ils souffrent des attaques violentes contre leurs églises et leurs habitations. Parfois,
ils sont contraints à abandonner des pays qu’ils ont contribué à édifier, à cause
des tensions continuelles et de politiques qui fréquemment les relèguent comme spectateurs
secondaires de la vie nationale. Dans d’autres parties du monde, on trouve des politiques
orientées à marginaliser le rôle de la religion dans la vie sociale, comme si elle
était cause d’intolérance, plutôt que contribution appréciable dans l’éducation au
respect de la dignité humaine, à la justice et à la paix. Le terrorisme motivé religieusement
a fauché l’an passé également de nombreuses victimes, surtout en Asie et en Afrique,
et c’est pourquoi, comme je l’ai rappelé à Assise, les responsables religieux doivent
répéter avec force et fermeté que « telle n’est pas la vraie nature de la religion.
C’est au contraire son antithèse, qui contribue à sa destruction » . La religion ne
peut être utilisée comme prétexte pour mettre de côté les règles de la justice et
du droit en faveur du « bien » qu’elle poursuit. Dans cette perspective, je suis fier
de rappeler, comme je l’ai fait dans mon pays natal, que pour les Pères constituants
de l’Allemagne la vision chrétienne de l’homme a été la vraie force inspiratrice,
comme, du reste, elle l’a été pour les Pères fondateurs de l’Europe unie. Je voudrais
mentionner aussi des signes encourageants dans le domaine de la liberté religieuse.
Je me réfère à la modification législative grâce à laquelle la personnalité juridique
publique des minorités religieuses a été reconnue en Géorgie; je pense aussi à la
sentence de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur de la présence du Crucifix
dans les salles de classes italiennes. Et justement je désire adresser à l’Italie
une pensée particulière, en conclusion du cent-cinquantième anniversaire de son unification
politique. Les relations entre le Saint-Siège et l’État italien ont traversé des moments
difficiles après l’unification. Au cours du temps, cependant, la concorde et la volonté
réciproque de coopérer ont prévalu, chacun dans son domaine propre, pour favoriser
le bien commun. Je souhaite que l’Italie continue à promouvoir une relation équilibrée
entre l’Église et l’État, constituant ainsi un exemple, auquel les autres nations
puissent se référer avec respect et intérêt. Sur le continent africain, que j’ai
visité de nouveau en me rendant récemment au Bénin, il est essentiel que la collaboration
entre les communautés chrétiennes et les Gouvernements aide à parcourir un chemin
de justice, de paix et de réconciliation, où les membres de toutes les ethnies et
de toutes les religions soient respectés. Il est douloureux de constater que, dans
divers pays de ce continent, ce but est encore lointain. Je pense en particulier à
la recrudescence des violences qui touche le Nigeria, comme l’ont rappelé les attentats
commis contre plusieurs églises durant le temps de Noël, aux séquelles de la guerre
civile en Côte d’Ivoire, à l’instabilité persistante dans la Région des Grands Lacs
et à l’urgence humanitaire dans les pays de la Corne de l’Afrique. Je demande, une
fois encore, à la Communauté internationale d’aider avec sollicitude à trouver une
solution à la crise qui perdure depuis des années en Somalie. Enfin, je tiens
à souligner qu’une éducation correctement comprise ne peut que favoriser le respect
de la création. On ne peut oublier les graves calamités naturelles qui, au cours de
2011, ont touché diverses régions du Sud-Est asiatique et les désastres écologiques
comme celui de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon. La sauvegarde de l’environnement,
la synergie entre la lutte contre la pauvreté et celle contre les changements climatiques
constituent des domaines importants pour la promotion du développement humain intégral.
Par conséquent je souhaite que, suite à la XVIIème session de la Conférence des États
Parties à la Convention de l’ONU sur les changements climatiques, qui s’est conclue
récemment à Durban, la Communauté internationale se prépare à la Conférence de l’ONU
sur le développement durable (« Rio + 20 ») comme une authentique « famille des nations
» et, donc, avec un grand sens de la solidarité et de la responsabilité envers les
générations présentes et celles du futur.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
La naissance du Prince de la paix nous enseigne que la vie ne finit pas dans
le néant, que son destin n’est pas la corruption, mais l’immortalité. Le Christ est
venu pour que les hommes aient la vie et l’aient en abondance (cf. Jn 10, 10). « C’est
seulement lorsque l’avenir est assuré en tant que réalité positive que le présent
devient aussi vivable » . Animé par la certitude de la foi, le Saint-Siège continue
à donner sa propre contribution à la Communauté internationale, selon cette double
intention que le Concile Vatican II – dont le cinquantième anniversaire a lieu cette
année – a clairement définie : proclamer la grandeur suprême de la vocation de l’homme
et la présence en lui d’un germe divin, et offrir à l’humanité une coopération sincère,
qui instaure la fraternité universelle qui correspond à cette vocation . Dans cet
esprit, je vous renouvelle à tous, aux membres de vos familles et à vos collaborateurs
mes vœux les plus cordiaux pour la nouvelle année.