2011-11-18 17:08:43

Paix et réconciliation en Afrique: les voies de la tradition


La visite du Pape au Bénin revêt aussi la portée de souligner aux yeux d’une opinion internationale pas toujours bien informée les efforts de tout un continent sur la voie de sa propre réconciliation. Le Bénin, comme il a été dit, est le tout-premier pays d’Afrique francophone à avoir initié, en 1990, une conférence nationale, processus original destiné à aider les forces vives de la nation à tourner la page de l’époque du monopartisme et à s’ouvrir à la démocratie pluripartite.

Dans le contexte ayant suivi l’écroulement du Mur de Berlin en 1989, cette étape fit appel à l’Eglise. C’est en effet l’Archevêque de Cotonou d’alors, Mgr Isidore de Souza, qui dirigea cette conférence et qui en présida la phase suivante de la transition. Ensuite au Gabon, au Congo et en République démocratique du Congo notamment, la société en fit de même, avec plus ou moins de succès.

Depuis lors, l’Afrique n’a cessé de chercher les solutions à des problèmes lancinants comme ceux de la paix et de la justice au cœur du message du Deuxième Synode sur l’Afrique. Ils ont été déclinés sous des formes diverses surtout dans un pays comme le Rwanda, déchiré par un génocide effroyable en plein 1er Synode africain, en 1994. Dans la réflexion qui suit, Albert Mianzoukouta de Radio Vatican, offre quelques traits saillants des formes traditionnelles africaines de paix, justice et réconciliation.


PAIX ET RÉCONCILIATION EN AFRIQUE: LES VOIES DE LA TRADITION

L’inculturation de la Parole de Dieu en Afrique a consisté à traduire le message évangélique dans les contours de la culture de tous les jours pour le rendre reconnaissable des identifiants culturels.
Car, en effet, beaucoup de réalité matérielles de l’Evangile ne peuvent pas directement « parler » à l’Afrique si elles ne sont pas mises en situation. C’est pourquoi, dans beaucoup de traductions bibliques, l’effort a consisté à mettre au service de la compréhension, des concepts non des mots. Au lieu de « Notre pain quotidien », les Textes sacrés inculturés parlent de « Notre manger de tous les jours » : le pain est une notion importée qui, dans certaines sociétés renvoie à des réalités imposées, parfois par la force (colonisation).
Mais dans le sens inverse aussi, il a fallu faire un effort pour ceux qui ont cherché à comprendre la culture africaine de l’extérieur, pour trouver les signifiants les plus proches du vécu vrai à des réalités qui pouvaient paraître bizarres pour le moins. Un chef traditionnel, auquel on obéit aveuglément, est-il la preuve d’une inclination portée vers le despotisme ou la dictature ? Les rites : de sacrifice ou d’initiation sont-ils des manifestations païennes condamnables obligatoirement par le chrétien baptisé ?
De part et d’autre de la recherche culturelle, un effort a donc consisté à puiser dans les pratiques des peuples ce qui pouvait enrichir l’Evangile entendu et vécu par un Bantou de l’Afrique sub-saharienne. Et un peu plus tard, lorsque les peuples sont venus à l’indépendance et l’affirmation de souveraineté de leurs Etats, puiser dans les cultures a permis en certaines situations de trouver les mécanismes de coexistence pacifique dans la vie de ces nations bâties à l’occidentale.

1- La cosmogonie bantoue au service de la communion
Ne pas prendre cela en compte pourrait faire passer à côté les notions comme :
paix (qu’est-ce que ça veut dire ?)
réconciliation (pourquoi et comment ?) dans des nations qui sont des inventions coloniales ; des conglomérats forcés et artificiels de peuples pas si voisins mais si éloignés non plus, si on ne s’intéresse pas d’abord à savoir distinguer qui est mon frère
justice (quels sont ses préalables dans un contexte culturel où la communauté seule décide et l’individu suit ?)

Baignée dans le rationalisme cartésien la pensée, même celle de l’Africain d’aujourd’hui, a du mal à accepter que la vie est un tout qui n’est pas le simple produit biologique, c’est don de Dieu qui ne signifie pas respirer, mais jouir de tous les attributs de l’harmonie et, donc, poser et recevoir les actes qui garantissent cette harmonie avec Dieu, avec les hommes et avec les morts – les esprits ! C’est la clé de la cosmogonie du Bantou [ce thème ainsi que les aspects de la culture africaine sont efficacement décrits par John Mbiti. Cf. Mbiti (John Samuel), African Religions and Philosophy, Edition Heinemann, 1969, 290p], de sa vision « anthropocentrique », [cf. Mbiti, African Religions and Philosophy, Edition Heinemann, 1969, 290p] l’homme était l’aboutissement un cercle vertueux dont le seul ordonnateur est Dieu.
La littérature rapporte de nombreux cas de personnes effectivement mortes parce qu’elles ont été rejetées par leur famille. D’ailleurs, dans de nombreuses contrées africaines, les délinquants ne sont que des personnes en déperdition du fait que leurs familles les ont rejetés – ou qu’ils ont rejeté leurs familles – ou du fait que, sans racines, ils ne peuvent pas citer un seul nom d’ancêtre mort, donc sont dépourvus de référence sociale vitale.
La paix ne s’entend donc que de l’individu vers et avec la communauté, l’extérieur et au-dedans de lui ; la réconciliation ne vise qu’à restaurer l’harmonie avec la communauté des vivants et des morts ; la fraternité est le lien qui unit tous ceux qui partagent de telles valeurs, si possibles au travers d’une même langue, mais surtout en reconnaissance d’un même ancêtre.

2- Les tribunaux traditionnels « Gaçaça » du Rwanda
Une illustration de ces notions nous est fournie par le Rwanda. En 1994, ce pays plongeait dans l’effroyable : entre 800.000 et 1 million de personnes périssait dans un génocide aux contours ethnico-politiques. Le 8 novembre 1994, la résolution 955 du Conseil de sécurité de l’ONU créait un Tribunal spécial international, avec siège à Arusha (Tanzanie) pour juger les coupables du génocide. De leur côté, les juges rwandais parvenaient à jeter en prison quelque 120.000 « génocidaires » de tous genres qu’ils commencèrent à juger à partir de décembre 1996.
De 1995 à avril 1999, le Tribunal d’Arusha avait pu juger 15 suspects, 31 autres attendaient de l’être. Dans le même temps, la justice rwandaise affirmait avoir pu trancher le cas de 6.000 suspects. A ce rythme-là, il aurait fallu 200 ans pour juger tous les coupables de génocide. D’où le recours aux tribunaux traditionnels gaçaça, littéralement « sur l’herbe ».Il s’agit de juridictions qui reposent la notion de justice sur le principe de la reconnaissance de la faute commise et du pardon accepté et donné par l’ensemble de la communauté. Les gaçaça siègent sur l’herbe du village, pas dans des palais de justice ; le coupable est au centre où il reconnaît ou nie les faits et demande pardon puis reçoit ce pardon de l’ensemble de la communauté.
Grâce à ces tribunaux, la justice rwandaise a pu vider les prisons de la grande majorité des incarcérés à partir de juin 2006. [Une intéressante lecture complémentaire sur les mécanismes traditionnels de guérison sociale au Rwanda après le génocide de 1994 pourrait être l’analyse de Mme Clay. Cf. Rebecca A. Clay, Healing the scars from Rwandan’s war, APA Monitor on line, April 1999]

3- Eglise-Famille
Dans le soubassement culturel décrit ci-dessus, on mesure assez l’intuition prophétique du Pape Jean-Paul II, d’abord de convoquer un Synode continental pour l’Afrique en 1994, ensuite d’asseoir les conclusions pastorales de celui-ci sur la notion d’Eglise-Famille. Vue comme membres du Corps mystique du Christ, l’Eglise catholique africaine est donc invitée à réévaluer le degré de son engagement évangélique et la manipulation de termes qui, autrement, n’auraient qu’un sens désincarné. « Fraternité », « solidarité » mais aussi « pardon », « réconciliation » et même « justice » deviennent ainsi des réalités qui s’appréhendent mieux lorsqu’elles sont considérées à l’intérieur du moule de la famille, qui est une réalité très concrète aux yeux de l’Africain.
Même les notions de « hiérarchie », de « prêtre » trouvent leur adhésion automatique lorsqu’elles renvoient au fonctionnement d’un village typique, mais surtout d’une famille africaine modèle.
Vu ainsi, il devient plus facile d’expliquer, appréhender, appliquer une ecclésiologie qui chemine avec la réalité et le vécu de l’homo-africanicus. Dans le village africain - et donc dans la famille africaine –, les habitants ne sont pas des individus quelconques : ils sont les descendants d’une même lignée clanique, dont les ancêtres reposent dans un même cimetière et assurent ainsi la « protection » du village tout entier. Les cas de disputes, de maladie, de distorsions sociales se jugent en référence aux valeurs partagées. Un menteur peut être invité à « jurer au nom de l’ancêtre », en cas de doute sur sa sincérité. Le chef du village, aidé du dépositaire mystique du pouvoir de médiation occulte avec les ancêtres – que les Occidentaux à leur arrivée en Afrique ont appelé « sorcier » ou « féticheur » - seconde le chef du village dans l’addition des deux pouvoirs qui garantissent l’harmonie culturelle : le respect des us et coutumes et le dialogue avec le monde des disparus, devenus médiateurs de vie.
Dans Eglise-Famille, Dieu devient effectivement le Père qui donne la vie et la protège ; ses fils agissent dans l’obéissance des lois qui ne l’offensent pas ; tous ceux qui se reconnaissent dans cette réalité sont frères et sœurs et se doivent les uns aux autres tous les devoirs d’assistance et de respect que les membres d’une même famille ont l’obligation de se porter.[Pour une poursuite de la réflexion sur cette notion d’Eglise-famille, on lira opportunément le livre: Ramazani Bishwende A., « Eglise-famille-de-Dieu », Esquisse d’ecclésiologie africaine, L’Harmattan, Paris 2001, 214 p.]







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