« Il faut voir les mouvements de personnes en Méditerranée comme une chance » déclare
le Directeur des OEuvres Pontificales Missionnaires de Tunisie
Tunis (Agence Fides) - « Nous sommes aux côtés du peuple tunisien au cours de cette
phase de transition de son histoire, avec amour et respect » déclare dans le cadre
d'un entretien accordé à l'Agence Fides le Père Jawad Alamat, Directeur national
des OEuvres pontificales missionnaires (OPM) de Tunisie. La Tunisie s'apprête à vivre
le 23 octobre les premières élections vraiment libres et démocratiques de son histoire.
En vue de cette échéance, nous avons adressé quelques questions au Père Jawad, qui
est d'origine jordanienne, à propos de la situation de l'Eglise et du pays.
Comment
l'Eglise est-elle composée en Tunisie ? Nous sommes une petite communauté formée
de personnes de 70 nationalités différentes. Parmi les fidèles, on trouve des entrepreneurs,
des diplomates, des étudiants (la plupart provenant d'Afrique sub-saharienne), des
réfugiés et des touristes même si ces derniers ont vu leur nombre diminuer ces derniers
temps du fait de l'instabilité politique. Nous ne désespérons cependant pas que les
flux touristiques puissent reprendre au même niveau qu'autrefois. A côté de ceux-là,
se trouvent environ 12.000 femmes catholiques mariées à des tunisiens musulmans. Nous
avons enfin une dizaine d'écoles catholiques sachant que la majeure partie des quelques
8.000 élèves est musulmane. Leurs parents ont confiance en nous et apprécient beaucoup
la qualité de l'enseignement qui y est offert.
Comment avez-vous vécu la
phase de la révolution tunisienne ? Vous êtes-vous senti en danger ? Non notamment
parce que nos amis musulmans nous ont protégé et nous ont dit d'être tranquille. Et
c'est ce que nous avons fait. Il est vrai que l'homicide du Père Marek Rybinski (le
missionnaire salésien polonais tué le 18 février à Manouba, voir Fides 19 et 22/02/2011)
a représenté un épisode triste mais il s'est agi d'un crime de droit commun qui n'avait
pas pour but de frapper l'Eglise en tant que telle. Au contraire, 3.000 tunisiens
ont défilé en face de la Cathédrale de Tunis en portant des pancartes qui exprimaient
leur solidarité envers l'Eglise. Il s'est agi d'un très beau geste.
Que
pensez-vous du problème de l'émigration des tunisiens en Europe et de l'alarme sociale
que crée ce phénomène dans certaines zones ? Je me suis rendu dans l'île italienne
de Lampedusa, premier point d'entrée en Europe d'une bonne partie des migrants tunisiens.
Je comprends les réactions d'exaspération des habitants de l'île parce que, lorsqu'une
population de 3.000 personnes, en voit arriver à l'improviste 5.000 autres, il est
physiologique que des problèmes se présentent. Ceci dit, il faut aller au-delà de
l'urgence et penser à la Méditerranée et aux mouvements de personnes entre les rives
nord et sud comme une chance et non pas comme une menace. La Tunisie, avec sa population
jeune et dynamique, est une ressource inexplorée pour l'Europe, en particulier pour
l'Italie qui est dans tous les cas aimée par les tunisiens. Le mouvement migratoire
ne doit pas être nécessairement unidirectionnel, à savoir de la Tunisie vers l'Europe.
Les entrepreneurs européens pourraient venir en Tunisie pour y investir et créer des
emplois.
Pour ce faire, il est nécessaire que la situation politique se
stabilise, certains craignant l'affirmation des partis islamiques lors des prochaines
élections... Les tunisiens apprennent jour après jour les règles du jeu démocratique
et s'engagent afin que les prochaines élections soient un succès. Quant aux islamistes,
il est bien qu'ils soient impliqués dans le processus démocratique, en en acceptant
les règles. Leur exclusion serait dangereuse et injuste. Je rappelle que 70% des chômeurs
sont jeunes et qu'ils disposent de diplômes de l'enseignement secondaire et supérieur
spécialisés. Il s'agit d'un énorme potentiel qui doit être utilisé pour le bien du
pays. L'identité du tunisien est le fruit d'une synthèse entre l'Occident et l'islam.
C'est pourquoi la Tunisie peut très bien constituer un pont entre l'Europe et le monde
arabe. (L.M.) (Agence Fides 04/10/2011)