2011-09-27 15:47:10

CAMEROUN: MONS SAMUEL KLEDA AUX FIDELES


AUX FIDELES DE L’ARCHIDIOCESE DE DOUALA ETA TOUS LES HOMMES ET FEMMES DE BONNE VOLONTE

Chers frères et sœurs,
« Que Dieu notre Père Et Jésus Christ notre Seigneur Vous donnent la grâce et la paix ».

1- Je m’adresse à vous, en ce temps où nous nous préparons à un événement important et significatif concernant la vie de notre pays, l’élection présidentielle qui se déroulera le 9 octobre 2011. Nous, Evêques du Cameroun, vos pasteurs, vous avons déjà donné une Lettre pastorale à ce sujet, le 30 mai 2011 ( NOS EVEQUES NOUS PARLENT: Lettre pastorale des Evêques du Cameroun à l’occasion de l’élection présidentielle de 2011). Dans notre Archidiocèse, j’ai été maintes fois interpellé par des questions que vous me posiez, lors de mes visites pastorales ou à d’autres occasions, au sujet de cette élection. Ces questions, sans nul doute, traduisent vos attentes et vos inquiétudes en même temps : « Que pouvons-nous attendre réellement de cette élection ? Sera-t-elle enfin une occasion pour une paix véritable dans notre pays ? » En me tournant vers vous, je porte, moi aussi, ces mêmes interrogations. Je sais bien que la plupart d’entre vous aspirent à une paix véritable, qui se traduit pour chacun par des vrais espoirs.

2- La prochaine élection présidentielle constitue un moment important dans le processus démocratique, en tant qu’elle nous permet de choisir celui ou ceux qui auront la lourde mission de gouverner en notre nom. Elle se démarque de la prise du pouvoir par la force et de la transmission héréditaire du pouvoir. Par son caractère démocratique, elle offre l’opportunité d’un débat contradictoire qui permet de porter un regard critique sur la marche du pays, sur les réponses à apporter à nos problèmes existentiels au premier rang desquels figurent l’éducation, la santé, la justice et l’équité, la gestion des ressources, l’accès aux services sociaux de base. C’est donc un moment d’évaluation et de vérité qui ouvre la porte à une confrontation d’idées, susceptibles de donner aux uns et aux autres de s’écouter et de tirer des leçons pour réajuster leur vision et leur programme, en vue d’un Cameroun meilleur.

3- Cette élection est aussi un moment très délicat, avec le risque de résurgence des démons de la division, des intimidations, de la violence et de bien d’autres travers susceptibles de perturber la cohésion sociale, déjà bien précaire, dans notre pays. Puisque « si le Seigneur ne garde la ville, en vain la garde veille » (Ps 127, 1), il est donc bon pour nous de prier davantage afin que notre cher pays sorte grandi de cette élection. Souvenons-nous toujours que notre nation a été placée sous la protection de la Très Sainte Vierge Marie par nos premiers missionnaires, les Pallotins. Par son intercession, que son Fils Jésus, Prince de la Paix, fasse que la paix fragile, que nous connaissons à présent, devienne une paix véritable et durable pour tous les Camerounais, une paix qui se traduit par un développement intégral pour tous.

4- Grâce à la prière, chaque acteur politique pourra se laisser guider, dans l’organisation de cette élection, par un esprit démocratique qui lui permettra d’agir selon la vérité, de respecter l’opinion de l’autre, de ne pas seulement vouloir se battre pour le pouvoir, mais pour la justice, le droit et la dignité de chaque Camerounais. Une élection organisée de manière libre, transparente, sans fraude aucune, sans violence : voilà ce qui attestera la maturité politique des Camerounais. Chacun d’entre nous est donc invité à faire preuve de cet esprit en vue de rechercher la paix véritable.

5- Notre aspiration à la paix véritable doit s’enraciner dans une vision qui transcende une simple accalmie sociale et le silence des armes. Cette paix véritable s’inspire essentiellement du projet de vie de Dieu au centre duquel se trouve la personne humaine, sur qui le Seigneur jette un regard d’amour, lui qui « n'est pas un Dieu de désordre, mais de paix » (1 Co 13,33). Cette paix véritable, c’est celle que le Ressuscité donne au monde entier (Cf. Jn 20 19). Cette paix véritable est la plénitude de la vie et intègre toutes les dimensions de la personne humaine. Elle ne saurait se bâtir ni dans la violation des droits et de la justice, ni dans l’opulence pour les uns et la faim pour les autres, sinon nous considérions notre Dieu, en qui nous croyons, comme un Dieu de désordre.

6- Ouvrons les yeux pour observer la scène politique actuelle : nous sommes nourris de plusieurs discours sur la paix et autres thématiques relatives à la promotion économique et sociale. Dans notre appréciation, laissons-nous guider par les principes du bien commun, le respect de la dignité de la personne, la priorité à accorder aux pauvres, avec un regard critique sur la capacité et la volonté sincère de chaque candidat de combattre la misère et de nous faire sortir de la pauvreté qui nous accable à présent et blesse notre dignité d’homme.

7- Aujourd’hui, l’heure a sonné pour nous de nous efforcer d’entrer dans la voie d’un développement véritable, qui est le nouveau nom de la paix (Cf. Paul VI, Populorum Progressio). Cette paix ne peut être bâtie sans justice sociale et sans le respect des droits de chacun ; n’ayons pas peur de le dire ! Notre devoir est donc d’éliminer de notre société ce qui est susceptible de provoquer des conflits ; les Pères conciliaires donnaient les conditions pour construire la paix : « La toute première condition est l’élimination des causes de discorde entre les hommes : elles nourrissent les guerres, à commencer par les injustices. Nombre de celles-ci proviennent d’excessives inégalités d’ordre économique, ainsi que du retard à y apporter les remèdes nécessaires. D’autres naissent de l’esprit de domination, du mépris des personnes et, si nous allons aux causes plus profondes, de l’envie, de la méfiance, de l’orgueil et des autres passions égoïstes » (Gaudium et Spes, § 83).

8- La bataille que nous avons à livrer aujourd’hui, surtout ceux-là qui nous gouvernent, c’est de créer la cohésion sociale entre tous les Camerounais en détruisant les grandes inégalités dont la plupart d’entre nous sont victimes. C’est pourquoi nous sommes appelés à veiller à ce que chacun d’entre nous dispose de ce qui est nécessaire pour son épanouissement. Cela ne peut se réaliser que par le changement radical de mentalité de la part de chaque Camerounais, par la volonté sincère de servir selon la vérité et dans un esprit d’amour, en acceptant humblement que nous nous sommes trompés en ce qui concerne la gestion des affaires publiques de notre pays. Une telle démarche nous permettra, nous l’espérons bien, d’ouvrir les yeux pour voir les vrais problèmes de notre pays, ainsi que les conditions misérables dans lesquelles vivent la plupart des Camerounais.

Chers frères et sœurs,

9- Je suis solidaire de vous tous, vous qui recherchez la paix véritable. Mes préoccupations profondes, et les vôtres aussi, naissent et se justifient par cet autre enseignement donné par les Pères Conciliaires : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur » (Gaudium et Spes, § 1).

10- Beaucoup d’entre nous, en effet, croupissent dans la misère en dépit de l’immense richesse de notre sol et de notre sous-sol, richesse à laquelle chacun d’entre nous a légitimement droit. Nous sommes témoins au quotidien de la triste réalité du manque d’emplois que vous vivez, surtout vous les jeunes ; vous êtes condamnés à la débrouillardise pour survivre ; la majorité d’entre vous est sans avenir, vit sous le toit des parents ; il ne vous est pas possible de vous construire une maison, de fonder une famille ; notre société vous a poussés aux abois, et la plupart d’entre vous ne songent qu’à quitter notre pays, qu’à partir du Cameroun, pour pouvoir chercher, trouver et donner un sens à leur propre vie. Tournons-nous vers tous ces enfants dits de la rue, dont le nombre augmente considérablement dans notre ville, sans doute ailleurs aussi ; vers toutes ces familles qui n’ont pas de logement et qui vivent dans des conditions inhumaines. L’insalubrité de nos quartiers, à laquelle s’ajoute l’accès difficile à l’eau potable et aux soins de santé, rend très vulnérables nos populations constamment menacées par des pandémies, tel le choléra. Cette triste situation place chacun d’entre nous devant le jugement incorruptible de la conscience où Dieu demande à chacun, comme il le fit autrefois avec Caïn : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » (Gn 4, 10).

11- Nous connaissons tous aujourd’hui les coupures intempestives d’électricité et d’eau dans notre ville, et nous sommes obligés de revenir à l’usage des groupes électrogènes, à creuser des puits et à faire des forages pour avoir de l’eau potable, mais ce ne sont que quelques Camerounais qui peuvent s’offrir cela. Dans le secteur de l’éducation, les problèmes sont aussi graves : nos salles de classe, du niveau primaire au niveau universitaire, connaissent des effectifs pléthoriques qu’aucun enseignant ne peut supporter. Si le niveau intellectuel de nos enfants baisse, si nos enfants ne connaissent une éducation de qualité, cela n’est point une surprise pour personne, et rien ne se fait pour résoudre ces problèmes. Les quartiers qui naissent de jour en jour dans notre ville de Douala manquent de structures scolaires ou d’autres, sinon quelques établissements privés.

12- Combien de Camerounais mangent normalement à leur faim ? Il faut bien noter que le pouvoir d’achat des Camerounais a fortement diminué. Nous pouvons continuer de décrire cette triste réalité que vit quotidiennement la plupart des familles camerounaises ; mais cela pourra bien être complété par tous ceux qui vivent cette situation.

13- Que nous ont apporté les cinquante ans d’indépendance que nous venions de célébrer avec tant de bruit ? Pourquoi n’avons-nous pas réussi à construire un Etat ? Que nous a-t-il manqué, alors que notre pays dispose d’un potentiel humain remarquable et susceptible de le bâtir ? Tous les candidats qui luttent pour accéder à la magistrature suprême, se posent-ils ces questions ? Une chose essentielle nous manque aujourd’hui, à nous les Camerounais, c’est la volonté de construire un Etat. Cette œuvre exige, d’un peuple qui veut se prendre en charge, le sacrifice, le renoncement, l’amour, le sens du devoir et de l’honneur. C’est grâce à ces valeurs acceptées que bien des peuples, au prix de l’abnégation, ont reconstruit et développé leur pays au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale. Ces valeurs nous manquent aujourd’hui ; chacun travaille pour son compte et recherche avant tout ses propres intérêts au détriment du bien commun. Combien de Camerounais se sont-ils enrichis de manière illicite ? Nous savons tous que leur richesse est le fruit du vol, et pourtant certains sont même fiers d’avoir volé, signe d’intelligence et de bravoure dans notre pays ! Bien des discours sur la lutte contre la corruption sont prononcés, cela reste sans effet, malheureusement. Dans la Lettre des Evêques citée plus haut, nous avons demandé à ce que soit appliquée la loi 66 de notre Constitution, qui stipule que certains responsables des pouvoirs publics doivent « faire une déclaration de leurs biens et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction ». Jusqu’alors, cela n’a trouvé encore d’échos chez aucun acteur politique. Tout ne nous fait-il pas présager que les maux qui minent notre pays resteront sans solution ?

14- Aujourd’hui, il nous reste à adopter l’attitude de conversion de Zachée, cet homme, ce collecteur d’impôts (détourneur de deniers publics) qui a désiré ardemment rencontrer Jésus, parce qu’il voulait se convertir, retourner son cœur vers le Seigneur, volonté qu’il traduisit en ces termes : « Voici, Seigneur, je vais donner la moitié de mes biens aux pauvres, et si j'ai extorqué quelque chose à quelqu'un, je lui rends le quadruple » (Lc 19, 8). Combien de Camerounais décident-ils de remettre ce qu’ils ont volé de la caisse de l’Etat ou chez leurs frères ?

15- Dans ce même sens, nous avons encore le témoignage de tout un peuple, les fils d’Israël, qui ont reconnu leurs péchés devant le Seigneur et se sont engagés à changer leur manière de vivre ; présentons-nous à notre tour devant le Seigneur et confessons nos péchés avec une grande sincérité. Suivons leur démarche de conversion, qu’expose le prophète Daniel en ces termes : « Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité, nous avons fait le mal, nous avons trahi et nous nous sommes détournés de tes commandements et décisions … Yahvé, à nous la honte au visage, à nos rois, à nos princes, à nos pères, parce que nous avons péché contre toi… » (Dn 9, 5.8). Cette prise de conscience doit induire un comportement nouveau chez tous les membres de la communauté, du plus petit au plus grand, du simple citoyen à la plus grande autorité. Il nous faut aujourd’hui nous engager dans une voie nouvelle, celle de la vérité. Cette voie nouvelle, qui est imitation de Jésus Christ, chemin de paix véritable, nous engage résolument dans la lutte pour la transformation de notre pays au prix de l’abnégation et du sacrifice.

16- Ce que nous attendons tous de la prochaine élection présidentielle, c’est de nous offrir une équipe de dirigeants capables d’apporter de vraies solutions aux graves problèmes face auxquels chaque Camerounais se trouve confronté, et ce, dans les différents domaines. Pour cela, ne nous laissons pas corrompre par des dons flatteurs et des discours mensongers. Engageons-nous pour la vérité, pour le bien de tous les Camerounais et pour la paix véritable. Puisque nous partageons la vie quotidienne avec les différents candidats ou leurs mandataires, la période préélectorale nous donne d’apprécier leur programme à la lumière de leurs rapports avec nous et à partir de leur capacité de répondre aux nombreux défis sociaux, économiques et politiques de notre pays.

17- A ce tournant de notre histoire, il importe de nous assurer que tous les candidats et leurs mandataires, dans le respect mutuel, proposent des stratégies pour que demain le Cameroun soit un pays de paix véritable, de justice, un pays où nous sommes tous réconciliés les uns avec les autres, parce que moins corrompu, mieux gouverné, prospère et effectivement émergeant dès aujourd’hui.

18- Lors des précédentes consultations électorales, des cas de violation de la loi électorale ont été décriés. Le rapport de la Commission Justice et Paix de l'Archidiocèse de Douala, sur les dernières élections législatives et municipales, a relevé pour le déplorer qu'il y avait de nombreux dysfonctionnements préjudiciables au bon déroulement du scrutin dans la ville de Douala. Espérons que ces dysfonctionnements ne se répéteront plus pour réveiller les germes dormants de la haine qui, sous d’autres cieux, ont alimenté des conflits violents et meurtriers, et ont ouvert la porte à l’intervention humanitaire de la Communauté internationale jugée salutaire pour les uns et destructrice pour d’autres. Pour ce faire, nous devons respecter les règles démocratiques et démontrer notre maturité politique par une gestion responsable et transparente de cette élection, par le dépassement de tout triomphalisme susceptible d’engendrer la frustration et la haine. Que celui qui remportera cette élection, de manière libre et transparente, gouverne.

19- Que cette élection, au-delà du choix d’un président, soit en outre l’occasion d’un nouveau départ pour un Cameroun où la bonne gouvernance permet de créer des conditions favorables au développement intégral dans nos villes et villages, où les jeunes travaillent dans l’allégresse, et surtout où les gouvernants comprennent que « …Tout commandement, tout exercice de l’autorité est un service. … Dieu veuille que ceux sur qui pèse la responsabilité de la communauté humaine accueillent, eux aussi de bon cœur, cette dernière et grande leçon du Jeudi Saint, et sachent reconnaître que leur autorité sera mieux acceptée par leurs peuples qu’ils l’exerceront dans un esprit d’humble service et de total dévouement au bien de tous» (Discours de Jean XXIII devant le corps diplomatique le jeudi saint 11 avril 1963).

Chers frères et sœurs,

20- Prions ensemble avec foi afin que l’élection présidentielle prochaine renforce nos acquis et pose les jalons d’un changement radical pour une paix véritable dans notre cité, dans notre pays. Que le Seigneur Dieu fasse descendre sur chacun d’entre nous sa bénédiction.

Donnée à Douala, le 21 septembre 2011,
En la fête de Saint Matthieu, Apôtre et Evangéliste.


Samuel KLEDA, Archevêque Métropolitain de Douala.







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